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[ 9 octobre 2015 ] Imprimer

Droit des obligations

Exception d’inexécution et résolution : le manquement contractuel doit exister et être suffisamment grave

Mots-clefs : Contrat d’entreprise, Maîtrise d’ouvrage, Maîtrise d’œuvre, Règlement des factures, Retard, Inexécution contractuelle, Gravité suffisante, Exception d’inexécution, Résolution unilatérale, Rupture abusive

Un simple retard pris par le maître d’ouvrage pour régler deux factures, quoiqu’il explique le refus d’intervention d’entreprises concernées sur le chantier, ne revêt pas une gravité suffisante pour justifier la rupture unilatérale du contrat et en raison du silence du même contrat sur la facturation desdites entreprises, ne constitue pas une inexécution contractuelle autorisant l’auteur de la rupture permettant de justifier sa propre inexécution.

Pour la construction d'une villa, un maître d’ouvrage avait confié à un maître d’œuvre une mission qualifiée de coordination de travaux. Celui-ci ayant, en cours de chantier, résilié ce contrat avec effet immédiat en raison du non-paiement de certaines factures entraînant un défaut d’intervention des entreprises concernées sur le chantier, son cocontractant l'avait assigné en indemnisation pour rupture abusive. La cour d’appel lui donna gain de cause au motif que le contrat ne comportant aucune stipulation quant au paiement des factures des entreprises, le maître d’œuvre ne pouvait se fonder sur un retard du maître d'ouvrage dans le paiement des factures des entreprises pour invoquer une exception d’inexécution à son égard et qu’en outre, il ne rapportait pas la preuve d'un manquement suffisamment grave de son cocontractant pour justifier la rupture unilatérale du contrat. Le pourvoi formé contre cette décision est rejeté par la cour.

L’étude des règles propres au contrat synallagmatique conduit notamment à s’intéresser à la réaction d’un contractant lorsque l’obligation dont il est créancier n’est pas exécutée. Ce dernier dispose d’une solution provisoire, l’exception d’inexécution, mais aussi et surtout d’une solution définitive à l’inexécution, la résolution du contrat. 

Or l’intérêt de la décision rapportée réside dans le rappel des conditions et des effets de ces deux mécanismes. L’exception d’inexécution permet à une partie, confrontée à la défaillance de son partenaire, de suspendre l’exécution du contrat. Si le Code civil ne contient pas expressément ce principe, il y fait néanmoins parfois référence, notamment pour la vente (C. civ., art. 1612). L’exigibilité des obligations est ainsi mise entre parenthèse, sans qu’il soit nécessaire de recourir au juge. Est ainsi évité le risque du dommage qui résulterait de ce qu’une des parties exécuterait unilatéralement ses obligations en attendant qu’intervienne une décision de justice prononçant la résolution. Dès lors que le créancier constate un manquement du débiteur, il peut donc invoquer sans recourir au juge l’exception d’inexécution et suspendre ses propres prestations. Mais encore faut-il, au titre des conditions de fond d’application du mécanisme, que l’inexécution, totale ou partielle, soit suffisamment grave pour justifier la suspension du contrat. La même exigence est d’ailleurs également requise en matière de résolution contractuelle, judiciaire comme unilatérale. 

L’on sait que depuis 1998 (Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485), la Cour de cassation admet la résolution unilatérale du contrat, la résolution devenant ainsi une prérogative contractuelle qui ne procède plus ni du juge, ni d’un accord des parties (résolution conventionnelle). Au nom d’un certain souci d’efficacité économique mais aussi d’une volonté d’harmonisation du droit français avec la plupart des droits étrangers, la Cour autorise le contractant déçu à clore une relation contractuelle privée de toute utilité économique en raison de la gravité des manquements dont cette relation est l’objet, sans avoir à attendre l’hypothétique décision d’un juge, ce qui lui permettra de conclure immédiatement un nouveau contrat indispensable à la réalisation de l’opération qu’il poursuit. 

On autorise ainsi une partie à mettre fin au contrat, sans recourir au juge, en raison de la gravité du comportement de son cocontractant. Mais comme en matière de résolution judiciaire, la gravité du comportement d’une partie à un contrat est requise pour justifier la rupture du contrat, à cette différence près que contrairement à la résolution judiciaire traditionnelle, l’appréciation de cette gravité intervient a posteriori

La gravité du manquement contractuel est appréciée au cas au cas, par les juges du fond, dont la motivation est contrôlée par la Cour de cassation. 

En l’espèce, la gravité de l’inexécution imputée au maître d’ouvrage n’a pu être démontrée par le maître d’œuvre, en sorte que ce dernier ne pouvait valablement imposer à ce dernier l’inexécution de ses propres obligations comme une rupture des relations conventionnelles. Certes, certains paiements dus par le maître d’ouvrage n’avaient pas été effectués à temps, en sorte que les entreprises censées intervenir sur le chantier n’avaient, en conséquence de ce retard, logiquement pas souhaité réaliser leurs prestations. Cependant, le contrat liant les parties était muet quant au paiement des factures des entreprises chargées de l’exécution des travaux de la villa. En effet, il ne prévoyait de modalités de paiement que pour le règlement des honoraires du maître d’œuvre, lequel ne pouvait donc se prévaloir d’une inexécution contractuelle du maître d’ouvrage, dont la gravité ne méritait donc même pas d’être appréciée, permettant de justifier sa propre inexécution. Au surplus, et pour respecter les conditions issues des dispositions de l’article 1184 du Code civil, l’auteur de la rupture aurait dû rapporter la preuve de l’existence d’un manquement suffisamment grave de la part de son cocontractant pour justifier une rupture unilatérale du contrat. En effet, il ne s’agissait que d’un retard de règlement de deux factures, quand la jurisprudence déduit généralement la gravité du manquement du caractère répété et persistant du refus de procéder au règlement (V. par exemple Civ. 1re, 9 juill. 2002, n° 99-21.350). 

Civ. 3e, 15 septembre 2015, n° 13-24.726 et 13-25.229.

Références

■ Code civil

Article 1612

« Le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose, si l'acheteur n'en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement. »

Article 1184

« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »

 Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485, Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1999. 197, note C. Jamin ; ibid. 115, obs. P. Delebecque ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre ; ibid. 506, obs. J. Raynard.

 Civ. 1re, 9 juill. 2002, n° 99-21.350, Bull. civ. I, n° 187.

 

Auteur :M. H.


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