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[ 9 décembre 2019 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Existe-t-il un droit à devenir grands-parents ?

La Cour européenne des droits de l’homme déclare irrecevable la demande d’une requérante de transférer les gamètes de son fils décédé vers un établissement à l'étranger en mesure de procéder à une insémination artificielle. 

En l’espèce, le fils unique de la requérante est décédé le 13 janvier 2017, à l'âge de 23 ans, des suites d'une tumeur cancéreuse agressive, diagnostiquée le 21 novembre 2014. Il avait procédé, dès le 25 novembre 2014, à un dépôt de gamètes au CECOS de l'hôpital Cochin à Paris. 

La requérante (la femme du réalisateur Claude Lanzmann) avait ensuite demandé, au printemps 2017, au président du CECOS de transmettre à l'Agence de la biomédecine sa demande tendant au transfert des gamètes de son fils vers un établissement de santé en Israël, le président avait refusé verbalement. Elle avait alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code justice administrative, afin qu'il soit enjoint à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l'exportation des gamètes de son fils décédé en Israël. Le juge des référés du tribunal administratif comme celui du Conseil d’État (CE 4 déc. 2018, n° 425446) ont décidé que le refus ne portait pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En effet, il résulte des dispositions du Code de la santé publique (art. L. 2141-2L. 2141-11 et R. 2141-18, III) que, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du Code de la santé publique et, la conservation des gamètes ne peut être poursuivie après le décès du donneur. La législation française ne permet pas la PMA post-mortem. Cette interdiction ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de Convention européenne des droits de l’homme souligne le Conseil d’État. De plus, ne méconnaissent pas non plus l’article 8 précité les dispositions du Code de la santé publique qui interdisent également que les gamètes déposés en France puissent faire l'objet d'une exportation, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national. Le Conseil d’État rappelle que « la compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention ». Dans ce cas le juge français apprécie « concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l'atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en oeuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n'est pas excessive. » (V. par ex. : CE, ass., 31 mai 2016, n° 396848 : autorisation du transfert en Espagne des gamètes du mari décédé en vue d’une PMA post-mortem pour la veuve). Mais, en l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a relevé que le fils décédé n’avait aucun projet parental précis et n'avait pas non plus autorisé sa mère à utiliser ses gamètes aux fins d’une insémination post mortem.

La mère du fils décédé a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme qui a déclaré sa requête irrecevable le 5 décembre 2019. 

En effet, « le droit de décider de quelle manière et à quel moment un individu souhaite devenir parent est un droit intransférable ». De plus, l’article 8 (Conv. EDH) « ne garantit pas de droit à devenir grands-parents  aussi respectable que soit l’aspiration personnelle de la requérante à la continuité de la parenté génétique. ».

Devenir parent : un droit intransférable. En l’espèce, les droits revendiqués par la requérante concernent les droits de son fils défunt. La Cour rappelle que « le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables » (V. CEDH, décis., 26 oct. 2000, Sanles Sanles c/ Espagne, n° 48335/99). Il s’ensuit que la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme au nom de son fils défunt. La Cour précise que « cette partie de son grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée ».

Devenir grands-parents : un droit non garanti par la Convention. La Cour relève notamment que l’impossibilité pour la requérante d’être grand-mère ne porte « pas atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Convention compte tenu des intérêts qui fondent la loi française, à savoir, au regard de l’objectif jusque-là assigné à la procréation médicalement assistée en France, remédier à l’infertilité pathologique d’un couple . En d’autres termes, le juge interne a considéré que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. La Cour n’entend pas se démarquer de cette position. » De plus, « la requérante souligne davantage les conséquences du refus litigieux quant à la perte de la mémoire de la famille Lanzmann. Aussi respectable que soit cette aspiration personnelle à la continuité de la parenté génétique, la Cour ne saurait considérer qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Celui-ci ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents. En conséquence, cette partie du grief doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention ».

Le juge a-t-il le pouvoir d’autoriser à ce qu’un enfant naisse délibérément orphelin de père pour que sa grand-mère paternelle puisse avoir un petit-enfant ?

CEDH, décis., 5 déc. 2019, n° 23038/19

Références

■ CE 4 déc. 2018n° 425446

■ CE, ass., 31 mai 2016, n° 396848 A : Dalloz Actu Étudiant, 22 juin 2016 ; AJDA 2016. 1398, chron. Dutheillet de la Motte et Odinet; AJ fam. 2016. 439, note Siffrein-Blanc; D. 2016. 1472, note Fulchiron; ibid. 1477, note Haftel; RFDA 2016. 754, note Delvolvé; ibid. 2017. 855, note Prévost-Gella; RTD civ. 2016. 600, note Hauser.

■ CEDH, décis., Sanles Sanles c/ Espagne, n° 48335/99

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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