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[ 6 janvier 2017 ] Imprimer

Droit de la famille

Famille je vous hais… Belle-famille, je vous aime !

Mots-clefs : Famille, Mariage, Formation, Prohibition, Empêchements, Alliés en ligne directe, Vie privée et familiale, Proportionnalité

L’annulation du mariage d’un septuagénaire avec la fille de son ex-femme ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.

Après son divorce, un époux avait épousé en secondes noces, à 75 ans, la fille de son ex-femme, alors âgée de 27 ans mais qu’il avait connue lorsqu’elle n’était qu’une enfant, lors de son premier mariage avec sa mère. Ils avaient vécu ensemble huit ans, jusqu’au décès de l’époux. Nés d’un précédent mariage, les enfants du défunt avaient assigné la jeune veuve aux fins d’annulation du mariage, sur le fondement de l’article 161 du Code civil, qui prohibe le mariage entre les alliés en ligne directe. La cour d’appel fit droit à leur demande d’annulation dudit mariage, contracté en violation de la prohibition des liens d’alliance en ligne directe. 

Devant la Cour de cassation, la veuve soutenait qu’une telle décision portait une atteinte disproportionnée au droit du mariage et constituait une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8 et 12). Après avoir rappelé les exigences du Code civil et la méthode d’analyse appliquée en cette matière par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme qu’aucun des textes invoqués à l’appui du pourvoi formé par la veuve n’a en l’occurrence été violé, dès lors que cette dernière avait « vécu, alors qu’elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu’elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu’elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique ; (que) son union (…) n’avait duré que huit années lorsque les (…) (enfants du défunt) ont saisi les premiers juges aux fins d’annulation ; (et) qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée ».

Sous l’angle purement légal, la solution allait de soi. En effet, après la dissolution de leur mariage, les divorcés et les veufs ne peuvent pas librement se marier avec les proches parents de leur ancien conjoint ; s’il est admis, depuis 1975, qu’ils peuvent se marier avec leurs anciens beaux-frères ou belles-sœurs, la loi continue de leur interdire toute alliance avec leurs alliés en ligne directe (C. civ., art. 161), c’est-à-dire avec les ascendants et les descendants de leur ancien conjoint et donc notamment, avec leurs beaux-parents ou leurs beaux-enfants. Non dirimant, cet empêchement à mariage n’est toutefois pas absolu : il est susceptible d’être contourné sur décision du Président de la République « pour des causes graves », « lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée » (C. civ., art. 164). Ainsi, lorsqu’une femme entend s’unir à son ancien beau-père, elle peut y être exceptionnellement autorisée après le décès de son ex-mari, ce qui n’était pas l’hypothèse de l’espèce. Et sous cette réserve, aucune dérogation n’est possible.

Cependant, sous l’angle jurisprudentiel, la solution était moins évidente. En effet, depuis quelques années et en application de la méthode de la balance des intérêts et du principe de proportionnalité qui en découle, la prohibition du mariage entre alliés a été progressivement tempérée, tant par les juges internes qu’européens. Dans une décision rendue le 13 septembre 2005 (B. et L. c/ Royaume-Uni, n° 36536/02), la Cour de Strasbourg a considéré que les autorités anglaises avaient porté une atteinte excessive à la liberté du mariage en s’opposant au projet marital d’un quinquagénaire et de son ancienne bru. L’empêchement français était pourtant plus sévère que celui prévu par la règle britannique, rendant possible la levée de l’interdiction même dans le cas où « la personne qui a créé l’alliance » n’est pas décédée. A la suite de cette affaire, la question de la compatibilité de l’article 161 du Code civil avec la Convention européenne des droits de l’homme pouvait donc légitimement se poser. 

Presque dix ans plus tard, la Cour de cassation y avait répondu dans une affaire proche des circonstances de celle rapportée (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066). Après son divorce, une femme avait épousé le père de son ancien époux, son ancien beau-père et vécu avec lui jusqu’à sa mort, après laquelle le premier époux de la veuve avait demandé l’annulation du mariage ayant uni feu son père à son ex-femme. Les juges du fond avaient, en application de l’article 161 du Code civil, fait droit à cette demande, avant d’être contredits par la Cour de cassation qui avait considéré, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que « le prononcé de la nullité (…) revêtait, à l’égard de (l’épouse), le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cependant, la portée de cet arrêt d’espèce devait être cantonnée aux données propres au cas particulier examiné, l’union ayant tout à la fois été célébrée sans opposition et duré plus de vingt ans. 

Et la Cour de renouveler en l’espèce la même analyse, factuelle et circonstanciée, pour aboutir cette fois-ci à la solution inverse à celle qu’elle avait précédemment adoptée. Prenant en compte la réunion de plusieurs critères, tels que la relative courte durée du mariage, l’absence d’enfant issu de ce mariage et la circonstance que le défunt mari avait été pour celle devenue son épouse, en sa première qualité d’ancien beau-père, un père symbolique, la Cour juge alors légitime, par son absence de disproportion, en fait, avec l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse, l’annulation de ce mariage. En conclusion et en application du principe de proportionnalité, si le principe de la prohibition du mariage entre alliés n’est pas intangible, il n’est pas davantage remis en question. Tout dépend des circonstances.

Civ. 1re, 8 déc. 2016, n° 15-27.201

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 12

« Droit au mariage.  A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »

■ CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, n° 36536/02, RTD civ. 2005. 735, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 758, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066 P, D. 2014. 179, obs. C. de la Cour, note F. Chénedé ; ibid. 153, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2014. 124, obs. S. Thouret ; ibid. 2013. 663, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2014. 88, obs. J. Hauser ; ibid. 307, obs. J.-P. Marguénaud.

 

Auteur :M. H.


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