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[ 8 avril 2010 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Forum de discussion : responsabilité du producteur du service

Mots-clefs : Presse, Service de communication par voie électronique (Forum internet), Producteur (responsabilité, oui), Fixation préalable (non)

Lorsqu'une infraction prévue par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, à défaut du directeur et de l'auteur du message, le producteur du service sera poursuivi comme auteur principal, même si ce message n'a pas été fixé préalablement à sa communication au public.

Qui est responsable en cas de diffusion de propos injurieux ou diffamatoires sur des forums de discussion ou autres espaces permettant aux internautes de déposer des messages, le plus souvent anonymement ou sous pseudonymes ? La chambre criminelle confirme, par deux arrêts du 16 février 2010, sa jurisprudence qui la conduit à retenir la responsabilité du producteur, et ce même à défaut de fixation préalable.

Dans la première espèce (n° 08-86.301), un individu avait porté plainte et s'était constitué partie civile du chef d'injures publiques envers un particulier, en raison de trois textes diffusés en septembre 2006 sur un forum de discussion du site Internet exploité par une société de production dirigée par un journaliste, également directeur de la publication. Ce dernier fut mis en examen mais une ordonnance de non-lieu fut rendue ; celle-ci fut confirmée par la chambre de l'instruction qui estima, d'une part, que les messages mis en ligne sur le forum de discussion n'avaient pas fait l'objet d'une fixation préalable à leur communication au public, d'autre part, que leurs auteurs et l'éventuel producteur n'avaient pas été identifiés. Cette décision est cassée au visa des articles 58 de la loi du 29 juillet 1881 (droit de se pourvoir en cassation), 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 et 593 du Code de procédure pénale, la chambre criminelle estimant qu'« en statuant ainsi, sans rechercher si le directeur de la publication n'avait pas également la qualité de producteur au sens de l'article 93-3 […], la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ».

Dans la seconde espèce (n° 09-81.064), c'est le maire d'une commune qui avait fait citer directement devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, le président d'une association défendant les intérêts d'habitants, en raison de la publication, en février 2007, sur l'espace de contributions personnelles du site de ce groupement, de propos d'un internaute le mettant en cause. Là encore, les juges du premier degré avaient renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et débouté la partie civile de ses demandes ; ce jugement avait été confirmé en appel, l'arrêt ayant relevé que le site en question ne faisait pas l'objet d'une modération a priori, et qu'en l'absence de fixation préalable des messages déposés par les internautes, la responsabilité du prévenu en tant que directeur de la publication ne pouvait être engagée. Or, une nouvelle censure est prononcée au visa de l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, la chambre criminelle relevant qu'« ayant pris l'initiative de créer un service de communication au public par voie électronique en vue d'échanger des opinions sur des thèmes définis à l'avance, [le prévenu] pouvait être poursuivi en sa qualité de producteur, sans pouvoir opposer un défaut de surveillance du message incriminé ».

L'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle est le pendant de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; il détermine l'imputation des infractions de presse (celles prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juill. 1881 et commises un moyen de communication au public par voie électronique), en instaurant un système dit « de responsabilité en cascade ». Il indique ainsi que le directeur de la publication (ou le codirecteur ; v. art. 93-2, al. 2, L. 1982) sera poursuivi comme auteur principal, et à défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur. Une nuance est toutefois apportée par le texte : le premier n'engage sa responsabilité que « lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public ». Il s'agit d'assurer que le directeur de publication a bien eu la maîtrise éditoriale des messages diffusés, qu'il a bien exercé un contrôle sur l'information avant sa diffusion au public (Crim. 8 juin 1999 ; CEDH, 30 mars 2004). Cette disposition ne saurait bénéficier au producteur : ainsi, à défaut de poursuites contre l'auteur du message illicite, le producteur du service peut être poursuivi comme auteur principal, même si ce message n'a pas été fixé préalablement à sa communication au public (Crim. 8 déc. 1998).

Crim. 16 févr. 2010, FS-P+B, n° 08-86.301

Crim. 16 févr. 2010, FS-P+B, n° 09-81.064

 

Références

 Injure

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Dans la mesure où elle n’est pas précédée de provocations, l’injure est un délit lorsqu’elle est publique, et une contravention lorsqu’elle n’est pas publique.

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Article 58

« Le droit de se pourvoir en cassation appartiendra au prévenu et à la partie civile quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils. Le prévenu sera dispensé de se mettre en état.

La partie civile pourra user du bénéfice de l'article 585 du Code de procédure pénale sans le ministère d'un avocat à la Cour de cassation. »

Article 42

« Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir :

1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, les codirecteurs de la publication ;

2° À leur défaut, les auteurs ;

3° À défaut des auteurs, les imprimeurs ;

4° À défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs.

Dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, la responsabilité subsidiaire des personnes visées aux paragraphes 2°, 3° et 4° du présent article joue comme s'il n'y avait pas de directeur de la publication, lorsque, contrairement aux dispositions de la présente loi, un codirecteur de la publication n'a pas été désigné. »

■ Loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle

Article 93-3

« Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public.

À défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.

Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l'auteur sera poursuivi comme complice.

Pourra également être poursuivi comme complice toute personne à laquelle l'article 121-7 du code pénal sera applicable.

Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. »

Article 93-2

« Lorsque le directeur de la publication jouit de l'immunité parlementaire dans les conditions prévues par l'article 26 de la Constitution et par les articles 9 et 10 du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des communautés européennes, il désigne un codirecteur de la publication choisi parmi les personnes ne bénéficiant pas de l'immunité parlementaire et, lorsque le service de communication est assuré par une personne morale, parmi les membres de l'association, du conseil d'administration, du directoire ou les gérants suivant la forme de ladite personne morale. »

■ Article 593 du Code de procédure pénale

« Les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.

Il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public. »

■ Crim. 8 juin 1999Bull. crim. n° 128 ; RSC 2000. 194, obs. Bouloc ; Dr pénal 1999. 141, obs. Véron.

■ CEDH, 30 mars 2004D. 2004. Somm. 2757, obs. de Lamy.

■ Crim. 8 déc. 1998Bull. crim. n° 335 ; RSC 1999. 607, obs. Francillon ; JCP 1999. II. 10135, note Lassalle ; Gaz. Pal. 1999. 2. Somm. 83, note Cousin ; ibid. 2001. Doctr. 697, obs. Daoud.

 

 

Auteur :S. L.


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