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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Géolocalisation d’un téléphone mobile : la nécessité d’un juge…une solution a minima
Mots-clefs : Géolocalisation, Preuve, Droit au respect de la vie privée
En vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la technique dite de « géolocalisation » constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge.
La loi n°2004-204 du 9 mars 2004 sur la criminalité organisée a expressément autorisé les officiers de police judiciaire à participer à des opérations de surveillance. Ce texte, de portée limitée, ne vise qu'une forme précise de surveillance qui n'inclut pas celle effectuée à l'aide de moyens techniques spéciaux destinés à localiser une personne. Si la loi autorise les sonorisations et fixations d'images de certains lieux, elle est revanche muette concernant la surveillance des déplacements d'une personne ou d'un véhicule à l'aide d'un dispositif électronique (GPS) ou d'un réseau de téléphonie mobile digitale. Une telle technique, précieuse dans la recherche des preuves, heurte néanmoins le droit au respect de la vie privée.
Par deux arrêts, la chambre criminelle censure le recours à la technique de géolocalisation des téléphones mobiles au cours de l’enquête policière.
Dans les deux affaires, une enquête préliminaire avait été ouverte, pour association de malfaiteurs constituée en vue de la préparation d’actes de terrorisme dans la première, et pour trafic de stupéfiants dans la seconde. les officiers de police judiciaire, autorisés par le procureur de la République, avaient alors adressé à des opérateurs de téléphonie des demandes de localisation géographique en temps réel, qualifiée de « suivi dynamique » et dite de « géolocalisation », des téléphones mobiles utilisés par le suspect. Une telle demande avait aussi été ordonnée par un juge d’instruction spécialisé du tribunal de grande instance de Paris en exécution d’une commission rogatoire délivrée par ce magistrat dans la première espèce. Mis en examen, les intéressés avaient présenté, une requête aux fins d’annulation des différentes mesures de géolocalisation.
Dans les deux affaires, les juges de la chambre de l’instruction ont refusé de faire droit à cette demande en considérant que le recours à cette technique trouvait un fondement dans les articles 12, 14 et 41 du Code de procédure pénale, lesquels confient à la police judiciaire le soin de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, sous le contrôle du procureur de la République. Par ailleurs, ces mesures s’apparenteraient à de simples investigations techniques ne portant pas atteinte à la vie privée et n’impliquant pas, aux dires des juges, de recourir, pour leur mise en œuvre, à un élément de contrainte ou de coercition.
Le raisonnement des juges du fond n’est pas sans rappeler un arrêt de la Cour de Strasbourg qui s’était prononcé, pour la première fois, sur la compatibilité avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme d’une surveillance par système de géolocalisation par satellite (GPS) ordonnée dans le cadre d’une enquête pénale (CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne). Dans cette décision, la Cour reconnaissait notamment que les critères dégagés par elle en matière d’interception de télécommunications « ne sont pas applicables en tant que tels aux affaires comme le cas d’espèce qui a trait à la surveillance par GPS de déplacements en public et donc à une mesure qui, par rapport à l’interception de conversations téléphoniques, doit passer pour constituer une ingérence moins importante dans la vie privée de la personne concernée » (§ 66). Sans doute, les juges français ont-ils cru pouvoir transposer en l’espèce cette affirmation.
Tel n’est pas l’avis de la chambre criminelle, qui, au visa de l’article 8 de la Conv. EDH (Droit au respect de la vie privée et familiale) et par un attendu de principe, affirme « qu’il se déduit de ce texte que la technique dite de “géolocalisation” constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge ».
La solution ainsi dégagée doit être approuvée tant il n’est pas question ici de la géolocalisation d’un véhicule mais d’un individu par le biais de son téléphone. Cette solution a également le mérite de tenir mieux compte des éléments dégagés par la Cour européenne dans son arrêt contre l’Allemagne laquelle avait notamment souligné que la surveillance par GPS n’avait été mise en œuvre que pour une courte durée, ne « touchant » le requérant que lorsqu’il se déplaçait dans la voiture de son complice. Or, en l’espèce, la géolocalisation par le biais du téléphone revêt un caractère continu, tout individu ayant généralement son téléphone en permanence sur soi.
Si l’exigence d’un juge pour autoriser la géolocalisation est solution satisfaisante, elle paraît néanmoins insuffisante. Dans le premier arrêt, la Cour approuve les juges d’avoir retenu que « cette surveillance, fondée sur l’article 81 du Code de procédure pénale, répond aux exigences de prévisibilité et d’accessibilité de la loi et qu’elle a été effectuée sous le contrôle d’un juge constituant une garantie suffisante contre l’arbitraire ; que les juges ajoutent que cette ingérence dans la vie privée de la personne concernée était proportionnée au but poursuivi, s’agissant d’une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme portant gravement atteinte à l’ordre public, et qu’elle était nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Une telle conclusion semble peu conforme aux attentes de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’investigations attentatoires à la vie privée. En effet, le seul fait que les opérations soient placées sous l'autorité d'un juge d'instruction ne saurait suffire. À plusieurs reprises, la juridiction strasbourgeoise a indiqué que pour éviter tout risque d'abus de pouvoir, ces mesures doivent se fonder sur une loi particulièrement précise fixant les critères, tels que la nature, l'étendue et la durée de la mesure, les infractions pouvant servir de fondement à sa mise en œuvre, la qualité des autorités compétentes pour les prescrire, exécuter et contrôler… (v. en matière d’écoutes téléphoniques : CEDH 24 avr. 1990, Kruslin c/ France et Huvig c/ France ; d’écoutes au parloir : CEDH 20 déc. 2005, Wisse c/ France).
Les garanties offertes par le droit interne étant inexistantes, sous la seule précision de la chambre criminelle de la nécessité d’un juge, on ne peut rejoindre la doctrine qui avait déjà émis le vœu de l'adoption d'un texte « pour combler harmonieusement l'actuel vide juridique, conformément aux exigences européennes » (v. Haritini Matsopoulou).
Crim. 22 oct. 2013, n°13-81.945
Crim. 22 oct. 2013, n°13-81.949
Références
■ CEDH 2 sept. 2010, Uzun c/ Allemagne, n°35623/05.
■ CEDH 24 avr. 1990, Kruslin c/ France, n°11801/85
■ CEDH 24 avr. 1990, Huvig c/ France, n°11105/84
■ CEDH 20 déc. 2005, Wisse c/ France, n°71611/01.
■ Haritini Matsopoulou, « La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme », D. 2011. 724.
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Code de procédure pénale
La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre.
Elle est chargée, suivant les distinctions établies au présent titre, de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte.
Lorsqu'une information est ouverte, elle exécute les délégations des juridictions d'instruction et défère à leurs réquisitions.
« Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale.
À cette fin, il dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal.
Le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. Il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an ; il tient à cet effet un registre répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans ces différents locaux. Il adresse au procureur général un rapport concernant les mesures de garde à vue et l'état des locaux de garde à vue de son ressort ; ce rapport est transmis au garde des sceaux. Le garde des sceaux rend compte de l'ensemble des informations ainsi recueillies dans un rapport annuel qui est rendu public.
Il a tous les pouvoirs et prérogatives attachés à la qualité d'officier de police judiciaire prévus par la section II du chapitre Ier du titre Ier du présent livre, ainsi que par des lois spéciales.
Il peut se transporter dans toute l'étendue du territoire national. Il peut également, dans le cadre d'une demande d'entraide adressée à un État étranger et avec l'accord des autorités compétentes de l'État concerné, se transporter sur le territoire d'un État étranger aux fins de procéder à des auditions.
En cas d'infractions flagrantes, il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 68.
Le procureur de la République peut également requérir, suivant les cas, une personne habilitée dans les conditions prévues au sixième alinéa de l'article 81 ou, en cas d'impossibilité matérielle, le service pénitentiaire d'insertion et de probation de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé.
Ces diligences doivent être prescrites avant toute réquisition de placement en détention provisoire, en cas de poursuites contre un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l'infraction, lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement, et en cas de poursuites selon la procédure de comparution immédiate prévue aux articles 395 à 397-6 ou selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13.
A l'exception des infractions prévues aux articles 19 et 27 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, en cas de poursuites pour une infraction susceptible d'entraîner à son encontre le prononcé d'une mesure d'interdiction du territoire français d'un étranger qui déclare, avant toute saisine de la juridiction compétente, se trouver dans l'une des situations prévues par les articles 131-30-1 ou 131-30-2 du code pénal, le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition d'interdiction du territoire français s'il n'a préalablement requis, suivant les cas, l'officier de police judiciaire compétent, une personne habilitée dans les conditions prévues au sixième alinéa de l'article 81 ou, en cas d'impossibilité matérielle, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, afin de vérifier le bien-fondé de cette déclaration.
Le procureur de la République peut également recourir à une association d'aide aux victimes ayant fait l'objet d'un conventionnement de la part des chefs de la cour d'appel, afin qu'il soit porté aide à la victime de l'infraction. »
« Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.
Il est établi une copie de ces actes ainsi que de toutes les pièces de la procédure ; chaque copie est certifiée conforme par le greffier ou l'officier de police judiciaire commis mentionné à l'alinéa 4. Toutes les pièces du dossier sont cotées par le greffier au fur et à mesure de leur rédaction ou de leur réception par le juge d'instruction.
Toutefois, si les copies peuvent être établies à l'aide de procédés photographiques ou similaires, elles sont exécutées à l'occasion de la transmission du dossier. Il en est alors établi autant d'exemplaires qu'il est nécessaire à l'administration de la justice. Le greffier certifie la conformité du dossier reproduit avec le dossier original. Si le dessaisissement momentané a pour cause l'exercice d'une voie de recours, l'établissement des copies doit être effectué immédiatement pour qu'en aucun cas ne soit retardée la mise en état de l'affaire prévue à l'article 194.
Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152.
Le juge d'instruction doit vérifier les éléments d'information ainsi recueillis.
Le juge d'instruction procède ou fait procéder, soit par des officiers de police judiciaire, conformément à l'alinéa 4, soit par toute personne habilitée dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, à une enquête sur la personnalité des personnes mises en examen, ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale. Toutefois, en matière de délit, cette enquête est facultative.
Le juge d'instruction peut également commettre une personne habilitée en application du sixième alinéa ou, en cas d'impossibilité matérielle, le service pénitentiaire d'insertion et de probation à l'effet de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne mise en examen et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressée. A moins qu'elles n'aient été déjà prescrites par le ministère public, ces diligences doivent être prescrites par le juge d'instruction chaque fois qu'il envisage de placer en détention provisoire un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l'infraction lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement.
Le juge d'instruction peut prescrire un examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles.
S'il est saisi par une partie d'une demande écrite et motivée tendant à ce qu'il soit procédé à l'un des examens ou à toutes autres mesures utiles prévus par l'alinéa qui précède, le juge d'instruction doit, s'il n'entend pas y faire droit, rendre une ordonnance motivée au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande.
La demande mentionnée à l'alinéa précédent doit faire l'objet d'une déclaration au greffier du juge d'instruction saisi du dossier. Elle est constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat. Si le demandeur ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Lorsque le demandeur ou son avocat ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffier peut être faite au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Lorsque la personne mise en examen est détenue, la demande peut également être faite au moyen d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée par le chef de l'établissement pénitentiaire qui la signe, ainsi que le demandeur. Si celui-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l'établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou copie et par tout moyen, au greffier du juge d'instruction.
Faute par le juge d'instruction d'avoir statué dans le délai d'un mois, la partie peut saisir directement le président de la chambre de l'instruction, qui statue et procède conformément aux troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article 186-1. »
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