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[ 26 juin 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Gestion d’affaires : une immixtion sans droit à rémunération

La gestion d’affaires n’accorde au gérant que le remboursement de ses dépenses utiles ou nécessaires mais non le paiement d’une rémunération, même lorsqu’il a agi en sa qualité de professionnel.

Une société d’archives généalogiques avait démarché à son domicile un héritier potentiel pour lui proposer la souscription d’un contrat de révélation de succession, finalement non conclu. Elle l’avait ensuite assigné en paiement de ses honoraires sur le fondement de la gestion d’affaires. Après le décès du souscripteur en cours d’instance, ses héritiers furent, en cause d’appel, condamnés à verser à la société une certaine somme, moins élevée que celle demandée, les juges du fond estimant que celle-ci ne pouvait obtenir, sur le fondement de la gestion d’affaires, une rémunération, mais uniquement le remboursement des dépenses utiles qu’elle avait engagées pour les besoins de l’élucidation de l’affaire litigieuse, à savoir les diligences, que la société avait su justifier, mais à l’exclusion des charges globales de gestion et de fonctionnement inhérentes à l’exercice de la profession de généalogiste.

La société forma un pourvoi en cassation au moyen que si, en règle générale, la gestion d’affaire obéit à un principe d’altruisme et de gratuité qui fait obstacle à ce que le gérant d’affaire puisse obtenir, en plus du remboursement de ses dépenses utiles ou nécessaires, le paiement d’une véritable rémunération, cette règle reçoit exception lorsque le gérant est un professionnel conduit, en raison de la nature même de l’activité qu’il exerce, à œuvrer de façon habituelle en tant que gérant d’affaire, tel un généalogiste ; qu’en cette hypothèse particulière, le gérant d’affaire a alors droit à la juste rémunération de son travail, dès lors que le maître en a bénéficié et que son intervention lui a été utile, et est donc fondé à obtenir une indemnité représentative, non seulement des frais et dépenses exposés pour les besoins de la recherche des héritiers et l’établissement de la dévolution successorale dans le dossier considéré, mais également de la valeur du travail fourni, telle qu’elle peut être appréciée en tenant compte des usages de la profession. Elle soutenait également que dans la mesure où l’affaire avait bien été administrée, aucune distinction ne devait être opérée entre les dépenses exposées pour l’élucidation de celle-ci et les engagements personnels du gérant constitués de ses charges globales de gestion et d’investissement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu’en cas de gestion d’affaires, l’article 1375 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 octobre 2016, n’accorde au gérant que le remboursement des dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites, mais non le paiement d’une rémunération, quand bien même il aurait agi à l’occasion de sa profession et, s’agissant du montant de ce remboursement, elle précise que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel a estimé (…) que ceux-ci ne permettaient pas d’évaluer les dépenses spécifiques, utiles et nécessaires, exposées par celle-ci pour établir la qualité certaine d’héritier du défunt souscripteur au-delà de la somme qu’elle a retenue ».

La gestion d’affaire suppose qu’une personne (le gérant d’affaires) accomplisse un acte, juridique ou matériel, pour le compte d’un tiers (le maître de l’affaire) en dehors de tout mandat donné par celui-ci, à l’insu ou sans opposition de celui-ci. L’hypothèse sur laquelle raisonne implicitement le Code civil (C. civ., art. 1301 s., anc. art. 1372 s.) est celle de l’absence du propriétaire d’un fonds, sur lequel un voisin accomplit, de sa propre initiative, des actes qui ne peuvent attendre le retour du propriétaire (réparation urgente par ex.). Cette immixtion dans les affaires d’autrui doit être volontairement accomplie par le gérant d’affaires en dehors de toute convention. La volonté et la spontanéité de l’intervention du gérant expliquent que la gestion d’affaires appartienne à la catégorie des quasi-contrats, donnant naissance à des obligations voisines de celles d’un mandat (V. S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz Hyper Cours). 

Essentielle à la qualification de la gestion d’affaires, le caractère désintéressé de l’immixtion réalisée au profit d’autrui est également déterminante de ses effets, notamment de ceux relatifs aux rapports entre le gérant et le maître de l’affaire. Ainsi, concernant, les obligations du maître (C. civ., art. 1301-2, 1375 anc.), ce dernier ne peut être qu’éventuellement contraint, à la condition essentielle que la gestion ait été utile (Req. 28 févr. 1910) d’indemniser le gérant de toutes les dépenses et frais engagés. Il n’a, en revanche, aucune obligation de rémunérer le gérant (solution constante, V. par ex. Com. 15 déc. 1992, n° 90-19.608). La solution se comprend au regard du caractère intrinsèquement désintéressé de la gestion, impliquant qu’elle ne puisse être source de profit pour le gérant, et ce même, ce qu’illustre la décision rapportée, lorsque ce dernier est intervenu en sa qualité de professionnel (V. aussi, à propos d’un entrepreneur, Civ. 1re, 18 avr. 2000, n° 97-20.879).

En l’espèce, en l’absence de contrat de révélation de succession conclu entre le défunt et la société de généalogistes, seules pouvaient donc trouver application les règles de la gestion d’affaires. Par conséquent, la société ne pouvait prétendre à une rémunération pour son intervention ; elle pouvait seulement prétendre au remboursement des dépenses utiles qu’elle avait engagées, ce qui supposait qu’elle pût établir que son intervention avait bien été utile ou nécessaire à l’héritier décédé ; or il ressortait des éléments versés aux débats que le travail effectué par la société avait certes permis au défunt de lui apprendre qu’il était en capacité d’hériter d’un membre éloigné de sa famille, donc que les investigations menées avaient bien présenté une certaine utilité à l’héritier mais, selon l’appréciation souveraine des juges du fond, la société ne rapportait toutefois pas la preuve nécessaire qu’elle avait effectué dans l’intérêt de l’héritier un service autre que la présentation du tableau généalogique établissant son droit à succéder, outre le fait qu’elle ne l’avait pas représenté dans le déroulement de la succession en sorte que, nonobstant le fait qu’il était sûr que la société avait engagé des dépenses spécifiques utiles et nécessaires à la gestion d’affaire de l’héritier, son indemnisation devait être limitée à une certaine somme, moindre que celle demandée.

Civ. 1re , 29 mai 2019, n° 18-16.999

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Gestion d’affaires

■ Req. 28 févr. 1910: GAJC, 11e éd., n° 224 ; DP 1911. 1. 137, note Dupuich.

■ Com. 15 déc. 1992 , n° 90-19.608 P : RTD civ. 1993. 577, obs. J. Mestre

■ Civ. 1re, 18 avr. 2000, n° 97-20.879 P : D. 2000. 177

 

Auteur :Merryl Hervieu


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