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[ 18 juin 2020 ] Imprimer

Droit des assurances

Indemnisation du témoin d’un attentat terroriste : encore faut-il caractériser l’infraction

L’indemnisation par le FGTI du témoin d’un attentat exige du juge des référés qu’il caractérise une infraction constitutive d’un acte de terrorisme.

Après avoir été témoin de l’attentat terroriste du magasin Hyper Cacher de 2015, une femme s’était inscrite sur la liste des victimes de cet attentat. Elle avait à ce titre reçu des sommes provisionnelles du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), qu’elle avait ultérieurement assigné en paiement d’une provision supplémentaire à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices psychologique et professionnel.

Statuant en référé, la cour d’appel, après avoir relevé qu’il était établi que cet attentat constituait un acte de terrorisme et qu’il incombait à la prétendue victime, conformément au droit commun de la preuve, d’attester de cette qualité, retint d’une part que celle-ci démontrait s’être trouvée dans « la zone de danger » au moment de l’attentat et d’autre part, que cet événement lui avait causé un traumatisme psychologique d’une exceptionnelle intensité, constaté par l’expert judiciaire, en lien direct, certain et exclusif avec les faits. La cour en déduisit que la demanderesse était, avec l’évidence requise en référé, victime de l’attentat considéré, sans qu’il fût besoin que la juridiction précisât la nature et les éléments matériels de l’infraction qu’elle retint comme ayant été commise au préjudice de cette victime.

Par un arrêt notable publié sur son site officiel, la Cour de cassation juge qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il lui appartenait de caractériser une infraction constitutive d’un acte de terrorisme prévue par l’article 421-1 du Code pénal, ouvrant droit de manière non sérieusement contestable à l’indemnisation par le FGTI sollicitée par la demanderesse, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Il résulte des articles L. 126-1 et L. 422-1 du Code des assurances, en leur rédaction applicable à la cause, ainsi que de l’article 421-1 du Code pénal, que la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne subis par les victimes d’infractions constitutives d’actes de terrorisme, recensées par le dernier de ces textes, est garantie par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), selon une procédure spéciale d’indemnisation. L’instruction de la demande d’indemnisation par cet organisme spécifique ne prive cependant pas les victimes de saisir le juge des référés compétent (C. assur. L. 422-2) et dans ce cadre, le Fonds n’est pas davantage privé de la possibilité de contester l’éligibilité de la prétendue victime à l’octroi d’une indemnisation. En effet, le versement de sommes provisionnelles par le FGTI en vertu de l'article L. 422-2, alinéa 1, du Code des assurances à la personne qui en fait la demande n’ôte pas à celui-ci le droit de contester ultérieurement la qualité de victime du demandeur même s’il est, tel qu’en l’espèce, inscrit sur une liste spécialement établie par le Parquet du tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire de Paris) de Paris (Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-10.456).

En l’espèce, les premiers juges s’étaient à tort satisfaits de cette seule inscription pour condamner le FGTI à verser à la demanderesse une somme provisionnelle et juger sa contestation infondée au motif que cette liste faisait foi, conformément aux prescriptions d’une instruction ministérielle.

En appel, les juges statuant en matière de référé avaient également à tort jugé suffisamment probantes les circonstances précédemment exposées - situation géographique de la victime et troubles psychologiques – pour statuer dans le même sens.

La Cour de cassation prend alors soin de préciser l’office du juge des référés en cette matière, dont l’obligation de motivation de ses décisions qui doit en constituer la déclinaison la plus essentielle : l’attribution par le FGTI d’une indemnisation dépend de la caractérisation des éléments constitutifs d’une infraction constitutive d’un acte de terrorisme au sens de la loi pénale, seule à même d’établir l’existence d’une obligation incontestable, justifiant l’allocation en l’espèce demandée d’une provision complémentaire. La rigueur de la Cour s’explique par le caractère limitatif de la liste des infractions constitutives d’actes de terrorisme dressées à l’article 421-1 du Code pénal et entrant dans le champ d’application de la procédure d’indemnisation du FGTI, définissant les actes de terrorisme comme les infractions qu’il cite et parmi lesquelles figurent les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Elle se justifie surtout par la nécessité pour les juges statuant en référé de caractériser, pour octroyer une provision, l’existence d’une obligation qui ne peut être sérieusement contestable, en sorte qu’en l’espèce, la cour d’appel ne pouvait sans encourir la cassation pour défaut de base légale décider de condamner le FGTI à allouer une indemnité provisionnelle complémentaire sans préciser la nature et les éléments matériels de l’infraction qu’elle retint, sans d’autre motivation, comme ayant été commise. Pour rendre une telle décision, il lui appartenait d’établir le caractère incontestable de l’obligation justifiant l’allocation d’une provision, ce qui supposait qu’elle recherchât puis exposât les éléments constitutifs de l’infraction terroriste, c’est-à-dire qu’elle procédât à l’opération de qualification pénale dont dépend l’octroi d’une indemnisation par le FGTI. Au contraire, comme le lui reproche la Haute cour pour casser sur ce point sa décision, la qualité de victime d'acte de terrorisme de la demanderesse restait contestable dès lors que cette qualité dépendait de la qualification de l'infraction commise à son préjudice, que la juridiction d’appel n’avait donc point déterminée.

Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.780

Référence

 Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-10.456 P: D. 2018. 350 ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon

 

Auteur :Merryl Hervieu


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