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[ 24 mars 2011 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La CEDH clôt le dossier de la banderole anti-Ch’tis

Mots-clefs : Liberté d'association, Procès équitable, Décret, Dissolution administrative, Violences, Association de supporters

En estimant irrecevable le recours de l’Association nouvelle des Boulogne Boys à l’encontre du décret du Premier ministre ayant prononcé sa dissolution, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) valide, dans un arrêt du 22 février 2011, la conventionalité de la procédure française de dissolution administrative d’une association de supporters.

Ni le grief tiré du manquement au droit à un procès équitable (art. 6 § 1 de la Conv. EDH), ni l’atteinte à la liberté d’association (art. 11 de la Conv. EDH) n’ont été accueillis par la Cour.

Dans la présente affaire, la CEDH s’est penchée sur la légalité du décret procédant à la première application du nouveau régime de dissolution administrative d’une association de supporters en raison des faits de violence commis par ces derniers, régime institué par la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (C. sport, art. L. 332-18) et renforcé par la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (art. 10).

Le facteur déclenchant la signature du décret du Premier ministre du 17 avril 2008 fut le déploiement par l’association nouvelle des Boulogne Boys, supporters du Paris Saint-Germain, d’une banderole contenant les inscriptions suivantes : « pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue chez les ch’tis », lors de la finale de la coupe de la Ligue en mars 2008. Pour autant, le décret du Premier ministre évoquait également des actes répétés de violence ou d’incitation à la haine et à la discrimination lors de rencontres sportives entre 2006 et 2008.

Il faut souligner, en premier lieu, que la CEDH reconnaît le droit à l’association, même dissoute, de faire valoir ses droits (CEDH 30 juin 2009, Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne). L’association s’est fondée sur les mêmes arguments que devant le juge français (CE 25 juill. 2008) en invoquant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à l’égard de deux griefs. Sur le premier, l’association se plaignait de ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense devant la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives. Or, la Cour se fonde sur le fait que cette commission n’a qu’un rôle consultatif et « se limite à recueillir les observations de l’association concernée et à émettre ensuite un avis consultatif au Premier ministre » pour considérer « que cette procédure ne portait pas sur une contestation au sens de l’article 6 de la Convention qui, dès lors, ne trouve pas à s’appliquer ».

Sur le second grief, l’association alléguait une motivation insuffisante du décret de dissolution en ce qu’il ne rapporterait pas la preuve de la réunion de tous les éléments nécessaires à sa dissolution. La CEDH estime que cette contestation relève du droit au procès équitable et donc du champ de l’article 6 mais, de manière assez elliptique, « elle n’estime toutefois pas nécessaire d’examiner la question de savoir si cette contestation portait sur les droits et obligations de caractère civil de la requérante puisque le grief est en tout état de cause irrecevable ». De ce fait, « la Cour observe que le décret litigieux n’apparaît pas insuffisamment motivé. Il fait en effet mention de plusieurs événements violents dans lesquels plusieurs membres de l’association requérante ont pris part, événements qui ont tous été commis en relation ou à l’occasion de manifestations sportives ».

Enfin, les Boulogne Boys alléguaient une atteinte à sa liberté d’association sur le fondement de l’article 11 de la Convention (grief qui n’avait pas été soulevé devant le Conseil d’État, arrêt préc.). Cette contestation pose directement la question de la conventionalité de la procédure française de dissolution administrative d’une association de supporters, telle qu’initiée par la loi du 5 juillet 2006. La Cour rappelle, qu’effectivement, « la mesure de dissolution constitue une ingérence dans le droit de la requérante à sa liberté d’association », mais elle précise que pareille immixtion peut être justifiée si elle répond à trois exigences :

- Elle doit être prévue par la loi ;

- Elle doit poursuivre un but légitime ;

- Elle doit être proportionnée.

Sur les deux premiers critères, le législateur français a bien entendu justifié les dispositions de l’article L. 332-18 du Code du sport par la défense de l’ordre et la prévention du crime. Il restait à savoir si la question de proportionnalité, plus délicate, pouvait être remplie : la dissolution est-elle justifiée par rapport aux buts recherchés ? « La Cour observe que les faits reprochés à la requérante, et plus particulièrement à plusieurs de ses membres, sont particulièrement graves et constitutifs de troubles à l’ordre public. Elle rappelle qu’en marge de plusieurs matches de football, des incidents ont opposé des membres de l’association aux forces de l’ordre, qu’au terme du match entre le PSG et l’équipe de Tel-Aviv le 23 novembre 2006, cent cinquante supporters parisiens ont entrepris de se livrer à des actes de violence à l’encontre des supporters israéliens, que des affrontements ont eu lieu à cette occasion et que plusieurs supporters parisiens ont frappé à coups de ceinture un policier tombé au sol. Ce dernier a dû faire usage de son arme pour se sortir d’une situation difficile et a tué un supporter parisien qui le menaçait. Enfin, la Cour ne peut que constater que les termes contenus dans la banderole déployée au stade de France le 29 mars 2008 sont particulièrement injurieux à l’égard d’une certaine catégorie de la population. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la mesure de dissolution était proportionnée au but recherché ».

La position de la CEDH, dans cette affaire, a de quoi conforter les décisions ultérieures prises par le juge français sur le fondement de l’article L. 332-18 du Code du sport : les jets de projectiles sur les forces de l’ordre et la participation à des faits graves de violence au cours desquels on a pu déplorer le décès d’un supporter constituent un acte d’une particulière gravité justifiant la dissolution de deux associations de supporters du Paris Saint-Germain (CE 13 juill. 2010). Surtout, elle conforte le choix du Conseil d’État de refuser de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 332-18. La Haute juridiction administrative avait considéré que ces dispositions, « qui permettent le prononcé de mesures qui présentent le caractère de mesure de police administrative, répondent à la nécessité de sauvegarder l’ordre public, compte tenu de la gravité des troubles qui lui sont portés par les membres de certains groupements et associations de soutien des associations sportives, et ne portent pas d’atteinte excessive au principe de la liberté d’association qui est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (CE 8 oct. 2010).

CEDH déc., 22 févr. 2011, Association Nouvelle des Boulogne Boys c. France, n° 6468/09.

Références

Article L. 332-18 du Code du sport

« Peut être dissous ou suspendu d'activité pendant douze mois au plus par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l'article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l'occasion d'une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d'une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Les représentants des associations ou groupements de fait et les dirigeants de club concernés peuvent présenter leurs observations à la commission.

Cette commission comprend :

1° Deux membres du Conseil d'État, dont le président de la commission, désignés par le vice-président du Conseil d'État ;

2° Deux magistrats de l'ordre judiciaire, désignés par le premier président de la Cour de cassation ;

3° Un représentant du Comité national olympique et sportif français, un représentant des fédérations sportives et un représentant des ligues professionnelles, nommés par le ministre chargé des sports ;

4° Une personnalité choisie en raison de sa compétence en matière de violences lors des manifestations sportives, nommée par le ministre chargé des sports.

Les conditions de fonctionnement de la commission sont fixées par décret en Conseil d'État. »

Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 § 1— Droit à un procès équitable

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

Article 11 — Liberté d’association

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »

CEDH 30 juin 2009, Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, n° 25803/04.

CE 25 juill. 2008, req. 315723, AJDA 2008. 1518.

CE 13 juill. 2010, Assoc. Les Authentiks, req. n° 339257, AJDA 2010. 1452.

CE 8 oct. 2010, Groupement de fait de brigade sud de Nice et M. Zamolo, req. n° 340849.

 

Auteur :J-M P.


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