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[ 2 octobre 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La CEDH se prononce sur l’anonymat du don de gamètes en France

Le refus d’autoriser l’accès à des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux informations relatives à leurs donneurs en raison du principe de l’anonymat du don de gamètes n’enfreint pas le respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Conv. EDH.

CEDH 7 sept. 2023, Gauvin et Silliau c/ France, nos 21424/16 et 45728/17

Dans deux affaires similaires, des requérants nés d’une assistance médicale à la procréation (AMP) ont saisi entre 2010 et 2016 les juridictions françaises aux fins d’obtenir des informations sur leur père biologique. Leurs demandes furent rejetées par le tribunal administratif de Montreuil, la cour d’appel de Versailles puis par le Conseil d’État en vertu de l’anonymat du don de gamètes en vigueur au moment des faits (v. notamment sur la règle de l’anonymat du don de gamète : CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981). Les deux requérants ont alors saisi la CEDH en invoquant une violation de leur vie privée garantie à l’article 8 de la Convention (sur la compatibilité du principe de l’anonymat avec l’art 8 de la Conv. EDH, v. CE 28 déc. 2017, n° 396571).

■ Le cadre législatif applicable au moment des faits

La loi bioéthique du 29 juillet 1994 (n° 94-654) a consacré le principe de l’anonymat absolu du don de gamète (C. civ., art. 16-8 et CSP, art. L. 1211-5). Les personnes conçues par don ne pouvaient ni connaître l’identité de leur géniteur, ni obtenir des informations non identifiantes sur ce dernier. Deux exceptions à ce principe avaient été prévues par le législateur au profit d’un médecin en cas de nécessité thérapeutique et lorsqu’était diagnostiquée une anomalie génétique grave chez le donneur.

À la suite d’un processus de réflexion évolutif sur la nécessité de la levée de l’anonymat du don de gamète il a été mis fin à ce principe (v. I. Corpart, « Levée de l’anonymat du don de gamètes en AMP : les modalités précisées », Dalloz actualité, 12 sept. 2022).

■ Le cadre législatif applicable depuis le 1er septembre 2022

La loi bioéthique du 2 août 2021 (n° 2021-1017) reconnaît depuis le 1er septembre 2022 (date d’entrée en vigueur des dispositions de la loi) le droit aux personnes nées d’une AMP d’accéder à l’identité de leur donneur (C. civ., art. 16-8-1 et CSP, art. L. 2143-6). En outre, tout don de gamète est désormais subordonné au consentement exprès des donneurs à ce que leur identité et des données non identifiantes soient recueillies et conservées puis communiquées aux personnes conçues par AMP si elles en font la demande auprès de la commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD ; CSP, art. L. 2143-2 à L. 2143-9).

De plus, en application de l’article L. 1244-6 du Code de la santé publique le médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité médicale et, lorsqu’une anomalie génétique est découverte chez le donneur, l’information doit être transmise à la personne issue du don ; celle-ci est également transmise au donneur si elle est découverte chez la personne conçue par don (CSP, art. L. 1131-1-1).

Pour les enfants nés d’une AMP sous l’ancien régime, le nouveau dispositif leur offre la possibilité de saisir depuis le 1er septembre 2022 la CAPADD qui est alors chargée de contacter les tiers donneurs pour recueillir leur consentement à la communication de ces informations. Les donneurs peuvent également se manifester spontanément auprès de la CAPADD pour consentir à la transmission de leurs données.

■ La décision de la CEDH

La CEDH relève tout d’abord la complexité de la question de l’anonymat du don de gamète qui a fait l’objet de débats approfondis. Des débats publics sous forme d’état généraux ont précédé l’adoption des lois bioéthiques. L’absence de consensus sur la reconnaissance du droit d’accès aux origines des personnes nées de don, la sensibilité et la difficulté de l’ouverture d’un tel droit, amènent la Cour à en déduire que le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation et qu’on ne peut lui reprocher son rythme d’adoption de la réforme.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’accès restrictif des informations médicales non identifiantes, la Cour rappelle que « les informations relatives à la santé constituent un principe essentiel du système juridique de toutes les Parties contractantes à la Convention » (§ 125 ; CEDH 25 févr. 1997, Z c/ Finlande, n° 22009/93, § 95). L’ancienne législation ne faisait pas obstacle à ce qu’un médecin puisse accéder à des informations médicales et qu’il les transmette à la personne issue du don en cas de nécessité thérapeutique ou en cas de maladie génétique découverte chez le donneur. Ainsi « le rejet des demandes des requérants pour des raisons liées au respect du secret médical ne caractérise pas un manquement par la France à son obligation positive de garantir le droit de ces derniers au respect de leur vie privée » (§ 129).

Enfin, sur les lacunes de la législation en vigueur pour les enfants issus d’une AMP nés sous le régime de la législation antérieure, la Cour ne sous-estime pas les craintes liées aux difficultés à retrouver les informations des donneurs. Notamment par le fait que ces derniers ne consentent pas à la divulgation de leurs identités ou données non identifiantes dans la mesure où un anonymat absolu et définitif leur avait été garanti. Selon la Cour « la décision du législateur procède du souci de respecter les situations nées sous l’empire de textes antérieurs » (§ 131 ; v. Cons. const., 9 juin 2023, n° 2023-1052 QPC) et elle « ne voit pas comment il aurait pu régler la situation différemment » (§ 131).

La CEDH conclut, en l’espèce, à la non-violation du respect de la vie privée des requérants garantie à l’article 8 de la Conv. EDH. Notons toutefois, que la Cour est parvenue à ce constat à 4 voix contre 3. Des opinions dissidentes communes de trois juges se trouvent annexées à l’arrêt. Ils estiment que « les années de secret garanti par la loi ont privé la requérante d’une partie fondamentale de son identité qu’aucune intervention législative postérieure ne pourra compenser ».

En quelques années, la législation française en matière d’anonymat des donneurs a considérablement évolué. Elle est passée d’un système qui accordait l’anonymat absolu et définitif aux donneurs de gamètes à un système qui donne la priorité à l’accès aux origines des enfants nés d’une AMP. La question d’un droit rétroactif était complexe. La difficulté pour le législateur se trouvait alors dans l’équilibre du droit au respect de l’anonymat des donneurs avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et celui du droit des enfants conçus par AMP à connaître leurs identités. À la lecture de cet arrêt, on peut penser que cet équilibre reste sur un fil.

Références :

■ CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981 A : AJDA 2013. 1246 ; D. 2013. 1626, obs. R. Grand ; ibid. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 405, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2013. 1051, concl. E. Crépey.

■ CE 28 déc. 2017, n° 396571 A AJDA 2018. 5 ; ibid. 497, chron. S. Roussel et C. Nicolas ; D. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2019. 505, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2018. 181, obs. J. Houssier ; ibid. 68, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2018. 86, obs. A.-M. Leroyer.

■ CEDH 25 févr. 1997, Z c/ Finlande, n° 22009/93 RSC 1998. 385, obs. R. Koering-Joulin.

■ Cons. const., 9 juin 2023, n° 2023-1052 QPC D. 2023. 1122, et les obs. ; AJ fam. 2023. 408, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 357, obs. A. Dionisi-Peyrusse.

 

Auteur :Elisabeth Autier


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