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[ 6 juin 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La difficile effectivité de l’initiative citoyenne européenne

Mots-clefs : Initiative citoyenne européenne, Base juridique, Identité constitutionnelle, Politique de cohésion, Discrimination, Politique culturelle

Le Tribunal de l’Union confirme la décision de la Commission de ne pas enregistrer une proposition fondée sur le droit d’initiative citoyenne en raison du défaut de base juridique dans les traités. Le Tribunal apporte également des précisions quant aux limites des compétences de l’Union face à l’identité institutionnelle des États membres, l’Union ne pouvant créer des unités administratives spécifiques.

L’initiative citoyenne européenne, énoncée à l’article 11, paragraphe 4 du traité sur l’Union européenne, rencontre un vif succès du côté des ressortissants des différents États membres. Cependant, la pertinence du processus reste à prouver dès lors que les propositions n’aboutissent pas. En effet, les propositions qui se situent en dehors du champ d’application de l’article 11 du traité sur l’Union européenne, sont refusées par la Commission. C’est ainsi que la Commission européenne a écarté le 23 juillet 2013, la proposition d’un million de citoyens visant à promouvoir le développement des zones géographiques peuplées par des minorités ethniques.

Le Tribunal a confirmé le refus d’enregistrement de la Commission en écartant le recours en annulation des requérants. Dans ce cadre, le Tribunal rappelle l’importance de fonder un acte juridique de l’Union sur une base juridique valide. La base juridique est déterminée, conformément à la jurisprudence, à partir des objectifs et du contenu de l’acte (CJCE 26 mars 1987, Commission c/ Conseil, n° C-45/86), la Cour de justice considérant qu’il s’agit de critères objectifs. 

La proposition en cause visait à adopter un acte entrant dans le champ de la politique de cohésion de l’Union (TFUE, art. 174). La proposition contenait trois objectifs principaux. Le premier était de prévenir les écarts de développements notamment à l’égard des zones géographiques dont les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques diffèrent de celles des zones environnantes. Le second objectif était de définir la notion de régions à minorités nationales, ces régions pouvant être différentes des unités administratives existantes dans un État membre. Le troisième objectif visait à imposer aux États membres le respect des engagements internationaux à l’égard des minorités.

Pour se prononcer, le Tribunal va rechercher si l’Union européenne détient la compétence pour faire une telle proposition. Cet examen va s’opérer au regard du contenu des articles 4, paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne, et 174, 167 et 19 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Concernant l’article 4, paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne, le Tribunal rappelle que dans le cadre de la politique de cohésion, l’Union doit respecter la situation politique, administrative et institutionnelle des États membres. En effet, l’Union européenne se montre indifférente à l’organisation interne des États membres et doit dès lors respecter leur choix d’organisation. Cette obligation s’inscrit dans le respect de l’identité institutionnelle des États membres. Dès lors le Tribunal en tire la conséquence que l’Union ne peut créer au sein des États membres des régions à minorité nationale qui bénéficieraient d’un régime spécifique au sein de la politique de cohésion. Ceci violerait l’article 4, paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne sous l’angle de l’identité nationale des États membres. Le Tribunal tient cette position vis-à-vis de régions ne correspondant pas à des unités administratives existantes, mais également à l’égard d’unités administratives existantes étant donné que cette approche n’entre pas cette fois dans le champ de l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne sur la politique de cohésion. Cette position se fonde également sur les objectifs de la politique de cohésion qui visent uniquement à promouvoir le développement harmonieux de l’ensemble de l’Union et notamment à réduire les écarts de développement des diverses régions, notamment celles qui souffrent de handicaps graves et permanents. Or les requérants ne prouvent pas que les régions à minorité nationale souffrent d’un retard de développement ou que ceci constitue un handicap grave et permanent. Le Tribunal écarte à ce titre que l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pourrait être utilisé à des fins de lutte contre les discriminations en lien avec les articles 2 et 21 de la Charte. Cet article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne peut pas constituer une base juridique valide au regard des objectifs qu’il comporte et du contenu de l’acte souhaité.

Ensuite le Tribunal écarte l’article 167 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la politique culturelle. Au regard de cet article, l’Union ne peut intervenir que de manière limitée par des actions d’encouragements, mais elle ne peut pas en revanche adopter des dispositions législatives et réglementaires pour harmoniser ce domaine. Elle peut également adopter des recommandations. Or, la proposition faite vise à adopter un contenu législatif qui ne peut entrer dans le champ de cet article. 

Enfin le tribunal écarte l’article 19 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à la lutte contre les discriminations. En effet la proposition faite ne vise pas, pour les juges, à lutter contre des discriminations affectant des personnes ou des populations implantées dans des régions à minorité nationale, mais à prévenir des écarts de développement économique. Cet article ne peut constituer une base juridique adéquate au regard de l’absence de concordance entre les objectifs de la proposition et le contenu de l’article 19 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Cet arrêt rappelle plus largement l’exigence du respect du principe d’attribution des compétences à l’Union. Dès lors que l’initiative ne peut entrer dans le champ des compétences de l’Union, elle ne peut qu’être écartée et ne pas être enregistrée.

Tribunal de l’Union 10 mai 2016, Balazq Arpad Izsak, n° T-529/13

Références

■ Traité sur l’Union européenne

Article 4, § 2

« 2. L'Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

Article 11, §4

« 4. Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application des traités. »

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 19

« 1. Sans préjudice des autres dispositions des traités et dans les limites des compétences que ceux-ci confèrent à l'Union, le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après approbation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. 

2. Par dérogation au paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent adopter les principes de base des mesures d'encouragement de l'Union, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, pour appuyer les actions des États membres prises en vue de contribuer à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1. »

Article 167

« 1. L'Union contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun.

2. L'action de l'Union vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants: 

- l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l'histoire des peuples européens,

- la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne, 

- les échanges culturels non commerciaux, 

- la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l'audiovisuel. 

3. L'Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l'Europe. 

4. L'Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures. 

5. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article: 

- le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité des régions, adoptent des actions d'encouragement, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres; 

- le Conseil adopte, sur proposition de la Commission, des recommandations. »

Article 174

« Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de l'Union, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale. En particulier, l'Union vise à réduire l'écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées. Parmi les régions concernées, une attention particulière est accordée aux zones rurales, aux zones où s'opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’UE

Article 2

« Droit à la vie. 1. Toute personne a droit à la vie. 

2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. »

Article 21

« Non discrimination. 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. 

2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. »

■ CJCE 26 mars 1987Commission c/ Conseil, n° C-45/86.

 

Auteur :V. B.


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