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[ 11 janvier 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

La dignité en droit des contrats : illustration à propos d’un voyageur handicapé

Le respect par le transporteur de ses obligations de mise aux normes relatives à l’accessibilité des personnes handicapées exclut l’atteinte à la dignité de la personne.

Civ. 1re, 25 novembre 2020, n° 19-18.786 P

L’atteinte à la dignité du voyageur handicapé est exclue lorsque le transporteur respecte ses obligations légales de mise en conformité, même progressive, aux normes permettant de garantir aux personnes handicapées ou à mobilité réduite la meilleure circulation possible à l’intérieur de ses trains et un accès effectif à ses services. Tel est l’enseignement essentiel de l’arrêt rapporté. 

Un voyageur atteint d’un handicap l’obligeant à se déplacer en fauteuil roulant avait été contraint de voyager dans l’allée centrale du wagon auquel l’avait assigné sa réservation et également privé de la possibilité d’accéder aux toilettes ainsi qu’au bar du train emprunté. Après avoir demandé au transporteur la réparation de son préjudice, le voyageur avait vu sa demande accueillie en appel au motif que, bien la SNCF n’ait pas manqué à ses obligations légales en matière d’accessibilité à ses équipements de transport dues aux personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite, celle-ci avait cependant manqué à son « obligation générale de soins » comme à celle d’« assurer un transport dans des conditions normales d’hygiène, de sécurité et de confort », dont sont créanciers, au même titre que les voyageurs valides, les voyageurs handicapés. Ils en avaient déduit que l’inconfort résultant de l’impossibilité pour la victime d’accéder aux toilettes constituait une atteinte à sa dignité justifiant de faire droit à sa demande en réparation.

Devant la Cour de cassation, le pourvoi incident formé par le voyageur avait pour but de contester l’inapplication par l’arrêt attaqué des articles 22 à 24 du Règlement européen du 1371/2007 du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, mettant à la charge des entreprises ferroviaires et des gestionnaires de gares une obligation d'assistance dans les gares et à bord des trains et en définissant à la fois les conditions et les modalités. La victime considérait à ce titre que la dérogation prévue par l’article L. 2151-2 du Code des transports, ayant réalisé la transposition de ces dispositions réglementaires et permettant de déroger temporairement à leur application, n’avait plus lieu, à la date du litige, d’être prise en compte. Le pourvoi principal formé par le transporteur ferroviaire faisait quant à lui grief à la cour d’appel d’avoir caractérisé une « atteinte à la dignité » du voyageur. Dans cette perspective, il considérait que « si le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi, le juge ne peut rattacher une obligation à un contrat à titre accessoire, qu’à la condition que cette obligation n’ait pas été déjà édictée par l’usage ou le législateur ». Or, le législateur ayant défini les obligations incombant aux transporteurs ferroviaires en matière d'accessibilité de ses services aux personnes handicapées, qu’il a de surcroît inscrites dans un calendrier précis et garanties par des plans de financement à l’effet de les rendre effectives dans les meilleurs délais, le transporteur qui avait, comme la juridiction d’appel l’avait d’ailleurs relevée, respecté l’ensemble de ces obligations, ne pouvait engager à ce titre sa responsabilité contractuelle.

Adhérant à la thèse du pourvoi principal, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond. Si au visa des articles 2 paragraphes 4 et 5, et 22 à 24 du Règlement du 23 octobre 2007 ainsi que des articles L. 2151-2 et L. 1112-2-1 à L. 1112-3 du Code des transports, elle considère qu’en effet, les articles 22 à 24 du Règlement étaient bien applicables à l’espèce, elle écarte cependant la responsabilité contractuelle du transporteur, au visa de l’ancien article 1135 du Code civil, obligeant le débiteur à exécuter ses obligations contractuelles en équité, ainsi que des articles L. 1112-2-1 à L. 1112-3 et L. 2151-1 et suivants du Code des transports, définissant les obligations incombant à la SNCF au titre de la mise en conformité du matériel roulant aux normes destinées à en permettre l'accès aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, notamment celles relatives à la dimension des couloirs et des toilettes. En effet juge la Cour, dès lors qu’il avait été établi que la SNCF avait respecté « ses obligations légales quant à la mise aux normes progressive des voitures destinées à assurer l’accessibilité des couloirs et des toilettes dans les trains aux personnes handicapées ou à mobilité réduite », l’arrêt d’appel, qui avait alors à tort retenu une atteinte à la dignité du voyageur, devait être cassé pour violation de la loi.

L’on sait depuis longtemps que l’ancien article 1135 du Code civil (V. désormais : art. 1194) permet au juge de greffer au contrat des obligations complémentaires à celles qu’il contient expressément pour des raisons tenant à l’équité, à l’usage ou au primat de la loi, qui domine celle des parties : « Le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, les juges ont adjoint au contrat de transport une obligation de sécurité (Civ. 21 nov. 1911) que l’équité commandait d’imposer au transporteur, au-delà de l’exécution matérielle du transport stricto sensu, afin de protéger la sécurité de ses voyageurs dont il devait alors garantir l’arrivée, sains et saufs, à destination. 

En l’espèce, la cour d’appel, en retenant que l’inconfort généré par l’inaccessibilité du voyageur à certaines prestations annexes au transport ferroviaire caractérisait une atteinte à la dignité du voyageur handicapé, avait en fait implicitement entendu ajouter au contrat une nouvelle obligation, accessoire à l’obligation essentielle de transporter les voyageurs, définie comme une obligation générale de soins imposant au transporteur d’assurer un transport dans des conditions normales d’hygiène, de sécurité et de confort. Or par la simple lecture du texte de l’article 1194 du Code civil, l’argumentation révèle sa faiblesse : en effet, cette disposition prévoit que le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage « ou la loi ». Cette dernière hypothèse, alternative des autres qui souvent l’occultent par la place première qu’elles occupent dans le texte et aussi, sans doute, par l’évidence de la soumission de la loi des parties aux suites que la loi civile impose à son exécution, trouvait en l’espèce à s’appliquer. En effet, l’année précédant le litige, la loi avait mis à la charge des transporteurs ferroviaires de nouvelles obligations en matière d’accessibilité de leurs services aux personnes handicapées, auxquelles la SNCF s’était, comme le relève la Cour, scrupuleusement conformée : « la SNCF justifiait avoir mis en place un schéma directeur d'accessibilité des services ferroviaires nationaux (SDNA), élaboré en concertation avec les associations de personnes handicapées et souscrit au schéma des Ad'AP (Agenda d'adaptabilité programmée) en réalisant un schéma intégré pour SNCF Mobilités et pour SNCF Réseau, pour le compte de l'État, validé le 29 août 2016, et avait ainsi respecté ses obligations légales (…) ». L’objet de cette loi et du dispositif en conséquence mis en œuvre par le transporteur recoupait donc celui, partant superfétatoire, de l’obligation de soins justifiée par des considérations d’équité que la juridiction d’appel avait entendu ajouter au contrat de transport. En effet, « cette mise aux normes progressive des voitures », impérative et en l’occurrence respectée, était précisément « destinée à assurer l'accessibilité des couloirs et des toilettes dans les trains aux personnes handicapées ». Bien que non encore parachevée, l’application par le transporteur de ces normes évinçait le grief d’atteinte à la dignité, que résidait en vérité pour la juridiction d’appel dans l’absence d’identité de traitement entre les voyageurs valides et les voyageurs handicapés (V. les moyens annexes de la décision), les récentes obligations légales édictées en matière d’accessibilité ayant précisément pour but de placer, dans la mesure du possible, l’ensemble des voyageurs dans des conditions égales de circulation et d’accès aux prestations annexes au contrat de transport. Autrement dit, l’équité avancée pour suppléer les prétendus manquements du transporteur à ses obligations d’assurer un égal accès à ses services et un transport dans des conditions normales d'hygiène n’était pas fondée dès lors que les modalités d’accessibilité des personnes handicapées aux transports ferroviaires, y compris en matière d’hygiène et de confort, étaient déjà encadrées par la loi et respectées, en l’occurrence, par le transporteur attaqué.

Référence

■ Civ. 21 nov. 1911 GAJC, 11e éd., n° 262 ; DP 1913.1.249 (1e esp.), note Sarrut ; S. 1912.1.73, note Lyon-Caen

 

Auteur :Merryl Hervieu


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