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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La liberté syndicale du militaire : la fin de l’interdiction absolue
Mots-clefs : Liberté syndicale, Armée, Gendarmerie, Interdiction, Nécessité dans une société démocratique
Si la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes, l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence même de cette liberté, une atteinte prohibée par la Convention.
« La force publique est essentiellement obéissante ; nul corps armé ne peut délibérer ». Cette affirmation contenue dans la Constitution de 1792 (titre IV, art. 12) résume parfaitement la position du droit français quant à une possible ouverture aux militaires de la liberté syndicale…
À l’heure actuelle, l'interdiction pour les militaires d'adhérer à des groupements professionnels est affirmée à l'article L. 4121-4, alinéa 2, du Code de la défense aux termes duquel : « L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».
Selon le Conseil d’État, ces « dispositions (...), qui ne font en rien obstacle à ce que les militaires adhèrent à d’autres groupements que ceux qui ont pour objet la défense de leurs intérêts professionnels, constituent des restrictions légitimes au sens de ces stipulations de l’article 11 » de la Convention (CE 11 déc. 2008, Association de défense des droits des militaires), rejoignant la position du Comité européen des droits sociaux qui a considéré, en citant les travaux préparatoires de la Charte sociale européenne, que « les États sont autorisés à apporter “ n’importe quelle limitation et même la suppression intégrale de la liberté syndicale des membres des forces armées” » (§ 28, décis. du 4 déc. 2000 sur le bien-fondé de la réclamation 2/1999).
Reste la question de la constitutionnalité de cette disposition, non tranchée, au regard du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui énonce, en son alinéa 6, que : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
Certaines armées étrangères européennes ont acquis le droit de se syndiquer et les deux décisions de la Cour européenne viennent d’ouvrir la porte aux militaires français.
En l’espèce, dans le premier arrêt (Mately c/ France), plusieurs gendarmes membres d’une association « Forum gendarmes et citoyens » avaient reçu l’ordre d’en démissionner sans délai. Le directeur général de la gendarmerie nationale estimait que ladite association présentait les caractéristiques d’un groupement professionnel à caractère syndical dont l’existence était prohibée par le Code de la défense, compte tenu de la mention faite dans la définition de son objet de « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ».
Dans le second arrêt (ADEFDROMIL c/ France), une association (Association de défense des droits des militaires – ADEFDROMIL) avait été créée, avec pour objet statutaire « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels, des militaires ». Cette association avait initié plusieurs recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’actes administratifs dont elle estimait qu’ils affectaient la situation matérielle et morale des militaires, lesquels avaient été rejetés par le Conseil aux motifs que l’association requérante contrevenait aux prescriptions de l’article L. 4121-4 du Code de la défense et qu’il en résultait qu’elle n’était pas recevable à demander l’annulation des actes en cause.
Invoquant l’article 11 de la Conv. EDH – lequel garantit le droit à la liberté d’association dont la liberté syndicale est l’un des aspects–, les requérants se plaignaient d’une ingérence dans l’exercice de leur liberté d’association.
Pour parvenir à un constat de violation, la Cour européenne rappelle tout d’abord que si les dispositions de l’article 11 n’excluent aucune profession ou fonction de son domaine, le § 2 prévoit que des « restrictions légitimes » peuvent être apportées par les États membres aux forces armées. Néanmoins, pour être conformes à la Convention, ces restrictions doivent se limiter à l’« exercice » des droits en question, sans porter atteinte à l’essence même du droit de s’organiser. La Cour s’attache donc à vérifier, de manière classique que celles-ci ont une base légale, poursuivent un but légitime et sont proportionnées.
Les deux premières conditions ne posaient pas de difficultés en l’espèce. L’ingérence était bien prévue par la loi, puisque le Code de la défense distingue précisément l’adhésion à de simples associations, permise, et l’adhésion à des groupements professionnels, interdite. Cette interdiction poursuit un but légitime de préservation de l’ordre et de la discipline nécessaire aux forces armées (dont la gendarmerie fait partie).
C’est en réalité sur la question de savoir si cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique que le bât blesse.
Si la Cour reconnaît que la spécificité des missions de l’armée exige une adaptation de l’activité syndicale et autorise des restrictions, mêmes significatives, celle-ci ne doit pas priver les militaires du droit général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux. L’interdiction pure et simple faite aux militaires de constituer un syndicat ou d’y adhérer emporte violation de l’article 11 de la Convention. Une telle interdiction qui touche, non à la mise en œuvre du droit, mais à sa substance même, n’est pas proportionnée et n’est donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».
Il appartient maintenant à la France de prendre acte de ces décisions de condamnations et de modifier sa législation.
Rappelons que si la CEDH ne peut annuler la norme nationale contraire à la Convention, il appartient à l'État mis en cause de remédier à la violation constatée selon les moyens qu'il choisit. En vertu de l'article 46 de la Convention, les États s'engagent à se conformer aux arrêts de la Cour en faisant cesser la violation constatée et en effaçant les conséquences.
Le temps est donc venu pour la France de suivre la recommandation du Comité des ministres aux États membres (CM/Rec(2010)4) du 24 février 2010 qui a considéré que « Les membres des forces armées devraient bénéficier du droit d’adhérer à des instances indépendantes défendant leurs intérêts et du droit syndical et de négociation collective. Lorsque ces droits ne sont pas accordés, la validité de la justification donnée devrait être réexaminée, et les restrictions inutiles et disproportionnées au droit à la liberté de réunion et d’association devraient être levées » (§ 54).
CEDH 2 oct. 2014, Matelly c/ France (n° 10609/10) & ADEFDROMIL c/ France (n° 32191/09)
Références
■ CE 11 déc. 2008, Association de défense des droits des militaires, n° 306962, 307403 et 307405, AJDA 2009. 148.
■ Article L. 4121-4 du Code de la défense
« L'exercice du droit de grève est incompatible avec l'état militaire.
L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème de caractère général qui parviendrait à sa connaissance. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 11 - Liberté de réunion et d’association
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
Article 46 - Force obligatoire et exécution des arrêts
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.
4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.
5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »
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