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La loi doit-elle écrire l’histoire ?
Mots-clefs : Lois mémorielles, Histoire, Reconnaissance, Génocide, Crime contre l’humanité
Le récent débat sur le génocide arménien de 1915 qui a relancé la polémique sur la légitimité des lois mémorielles permet à Dalloz Actu Étudiant de faire un point sur cette notion.
■ Qu’est-ce qu’une loi mémorielle ?
Selon le rapport d’information de novembre 2008 de Bernard Accoyer, président l’Assemblée nationale, le concept même de lois mémorielles est très récent. Il apparaît en 2005 pour désigner rétrospectivement un ensemble de textes dont le plus ancien ne remonte qu’à 1990. Cette notion désigne des « lois, [qui] au-delà des différences de leur contenu, semblent procéder d’une même volonté : “ dire ” l’histoire, voire la qualifier, en recourant à des concepts juridiques contemporains comme le génocide ou le crime contre l’humanité, pour, d’une manière ou d’une autre, faire œuvre de justice au travers de la reconnaissance de souffrances passées ».
■ Combien existe-t-il de lois mémorielles votées sous la Cinquième République ?
Le rapport de M. Accoyer en recense sept.
1. La loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (loi « Gayssot ») : l’histoire et la mémoire de la Shoah pénalement protégées au nom de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
2. La loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie : la mémoire des victimes militaires (les harkis) d’un conflit.
3. La loi n°99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l’expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l’expression « à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc » : le droit mis au diapason de l’histoire et de la mémoire.
4. La loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France : la mémoire de « l’irréparable » et des Justes de France, commémoration de l’anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver à Paris le 16 juillet.
5. La loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 : la reconnaissance d’un crime extrême par sa qualification.
6. La loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 — dite « Loi Taubira » — tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité : la qualification d’un fait historique au nom du devoir de mémoire.
7. La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés : la mémoire des victimes civiles d’un conflit.
■ La proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi votée en termes identiques par l’Assemblée nationale (22 déc. 2011) et le Sénat (23 janv. 2012) est-elle une « loi » mémorielle ?
Avant l’amendement de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, le titre initial était le suivant : proposition de loi portant sur la transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l'existence du génocide arménien (il s’agit de la décision-cadre européenne 2008/913/JAI du Conseil du 28 nov. 2008 relative à la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal). Mais à la suite d’un amendement, la Commission de l’Assemblée nationale a opté pour un intitulé plus général permettant de réprimer l’existence de tous les génocides reconnus par la loi. Force est de constater, qu’en dehors de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 créant une incrimination pénale spécifique tendant à protéger l’histoire et la mémoire de la Shoah du négationnisme et de l’antisémitisme (L. du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse, art. 24 bis), le seul génocide reconnu actuellement publiquement par la loi française est celui du génocide arménien de 1915 (L. n° 2001-70 du 29 janv. 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien ; art. 1er, et unique). Ainsi, la loi de 2001 peut être considérée comme une loi mémorielle ; en revanche, la proposition de loi évoquée ci-dessus n’est que la pénalisation de la négation d’un génocide reconnu par la loi française.
Lors de son audition par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les questions mémorielles (retranscrite dans le rapport de M. Accoyer de 2008), Robert Badinter s’est exprimé de la façon suivante : « … Mais une chose est la commémoration sous ses formes multiples, autre chose est le recours à la loi. Il est un principe constitutionnel fondamental, que le Conseil a été amené maintes fois à rappeler : la loi n'est l'expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution [...]. S'agissant de la loi sur le génocide arménien [loi de 2001], beaucoup se sont interrogés sur la compétence du Parlement français à légiférer sur un évènement historique — à mes yeux indiscutable — qui est survenu il y a près d'un siècle dans un territoire étranger, sans qu'on ne connaisse ni victimes françaises, ni auteurs français. Mais l'important est ailleurs : [...] à l'évidence, l'article 34 de la Constitution ne permet pas au Parlement de se prononcer ainsi sur un évènement historique ».
Le 31 janvier 2012, le secrétariat général du Conseil constitutionnel a enregistré une saisine présentée par au moins 60 députés et au moins 60 sénateurs (Const. 58, art. 61) relative à la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi. Il est dès à présent possible de s’interroger sur la conformité de cette loi à la Constitution au regard du domaine de la loi (Const. 58, art. 34).
Références
■ Rapport d’information de B. Accoyer, « Rassembler la Nation autour d’une mémoire partagée », n° 1262, nov. 2008.
■ Décision-cadre européenne 2008/913/JAI du Conseil du 28 nov. 2008 relatives à la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32008F0913:FR:NOT
■ Article 24 bis de la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse
« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Le tribunal pourra en outre ordonner :
1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »
■ Article 1er de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915
« La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. »
■ Constitution du 4 octobre 1958
« La loi fixe les règles concernant :
- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;
- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie.
La loi fixe également les règles concernant :
- le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ;
- la création de catégories d'établissements publics ;
- les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État ;
- les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé.
La loi détermine les principes fondamentaux :
- de l'organisation générale de la Défense nationale ;
- de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ;
- de l'enseignement ;
- de la préservation de l'environnement ;
- du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;
- du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.
Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.
Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.
Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.
Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. »
« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation. »
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