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[ 8 juin 2016 ] Imprimer

Introduction au droit

La loi peut se suffire à elle-même !

Mots-clefs : Loi, Publication, Entrée en vigueur, Exception, Décret d’application, Précision de la loi, Clarté de la loi, Jeu de l’exception (non)

Même en attente de son décret d’application, une loi suffisamment précise et n’ayant pas fait dépendre son entrée en vigueur à celle dudit décret doit être jugée comme étant entrée en vigueur dès le lendemain de sa publication.

Une commune avait adressé à l’une de ses habitantes, le 9 mars 2012, une facture par laquelle elle lui réclamait, sur le fondement d'un relevé constatant une surconsommation d’eau, le paiement d’une certaine somme. 

La destinataire de la facture avait alors assigné la commune aux fins de voir prononcer l'annulation du titre de recettes exécutoire délivré à son égard. La cour d’appel déclara le titre valable, mais à concurrence d’une somme modique en raison du fait que la commune n'ayant pas avisé l’habitante du problème, elle avait manqué aux dispositions de l'article L. 2224-12-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), issu de l’article 2 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, imposant dans ce cas au service des eaux d’en informer l'abonné.

La commune forma un pourvoi en cassation, fondé sur la détermination de la date d’entrée en vigueur des dispositions appliquées. Ainsi reprocha-t-elle à la cour d’appel d’avoir jugé l'article 2 de la loi précitée explicite, clair et précis, en sorte d’arrêter sa date d’entrée en vigueur au 19 mai 2011, lendemain du jour de sa publication, aux motifs que ladite loi définit sans ambiguïté le fait générateur de l'obligation d'information pesant sur le service des eaux, à savoir la constatation d'une augmentation anormale du volume d'eau consommé, qu'elle précise également le volume d'eau au-delà duquel la consommation doit être considérée comme anormale, ainsi que la date requise pour la délivrance de l’information (dès que le service constate une augmentation anormale du volume d'eau consommé) et que le décret d'application du 24 septembre 2012, succinct, n’apporte pas de précision supplémentaire déterminante alors que selon la demanderesse, l’article 2 de ladite loi, dépendante de son décret d’application, ne se suffit pas à lui-même et comporte plusieurs incertitudes quant au champ d'application et au contenu de l'obligation d'information pesant sur le service des eaux, à la date limite à laquelle ce dernier doit remplir son obligation, en sorte que les dispositions de ce texte n'ont pu entrer en vigueur immédiatement, mais seulement au jour de l'entrée en vigueur du décret d'application prévu par le texte lui-même, c’est-à-dire à une date postérieure aux faits litigieux dont aucune responsabilité de la commune ne pouvait, en conséquence, être déduite. 

Son pourvoi est rejeté au motif que la cour d'appel a exactement déduit, d'une part, du caractère suffisamment précis du paragraphe III bis inséré dans l'article L. 2224-12-4 du CGCT par l'article 2 de la loi précitée, d'autre part, de l'absence d'indication que l'entrée en vigueur de cette disposition aurait été subordonnée à celle du décret en Conseil d'État dont elle prévoyait l'adoption aux fins de préciser ses modalités d'application, que le paragraphe III bis de l'article L. 2224-12-4 du CGCT, dont l'exécution ne nécessitait pas une telle mesure d'application, était entré en vigueur dès la publication de la loi du 17 mai 2011 précitée, si bien que la responsabilité de la commune pouvait être engagée, à hauteur de la part de la consommation n'excédant pas le double de la consommation moyenne de la défenderesse.

De l’article 1er du Code civil découlent deux principes essentiels. En principe, la loi devient obligatoire à la date qu’elle fixe elle-même ; à défaut, elle devient obligatoire le lendemain de sa publication, ce qui, jadis, constituait la règle unique, fondée sur le fait que le délai laissait le temps au citoyen de prendre connaissance de la loi. 

Ces principes connaissent cependant deux exceptions. D’une part, l’entrée en vigueur de la loi peut être anticipée ; en effet, en cas d’urgence, la loi devient obligatoire dès le jour de sa publication. D’autre part, l’entrée en vigueur de la loi peut être retardée ; lorsque des mesures d’application de la loi, autrement dit, des décrets d’application, sont nécessaires, la loi ne devient obligatoire qu’à la date d’entrée en vigueur de ces mesures, ce qui s’explique par le fait que la bonne application de la loi dépend des précisions apportées par les décrets pris pour clarifier son contenu. Ainsi, dès lors que la loi ne se suffit pas à elle-même et nécessite des mesures d’application, l’absence de décret d’application empêche la loi de recevoir application (Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 02-50.049). Cependant, de la même manière que l’interprétation de la loi, par le législateur lui-même ou par le juge, suppose un besoin d’interpréter, proscrivant par là-même l’interprétation d’un texte clair, reporter l’entrée en vigueur de la loi à celle de ses mesures d’application n’a de sens que si la loi ne « se suffit pas à elle-même », comme l’expriment ici les juges. Dès lors que la loi, même en attente de son décret d’application, est déjà suffisamment claire et précise pour recevoir application, il n’est plus utile, logiquement, de suspendre son entrée en vigueur à celle de son décret, et ce d’autant plus lorsque comme en l’espèce, la loi ne faisait pas dépendre l’entrée en vigueur de ses dispositions à celle de son décret d’application et que ce dernier, par son laconisme, n’apportait pas de précisions complémentaires majeures, rétablissant à sa juste valeur l'incidence relative de la mesure nécessaire à la mise en œuvre de la loi et, notamment, de la disposition litigieuse. 

Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 15-12.120

Référence

■ Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 02-50.049 P.

 

Auteur :M. H.


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