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[ 25 janvier 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

La preuve de la reconnaissance de dette

Mots-clefs : Mention manuscrite (en chiffres, en lettres), Reconnaissance de dette, Commencement de preuve par écrit, Prêt, Acte sous seing privé, La cause, Présomption, Versement effectif, Conditions de forme, Licéité

Il n’est pas nécessaire pour prouver une reconnaissance de dette que cette dernière réponde au formalisme de la mention manuscrite, l’article 1132 du Code civil instituant une présomption que la cause de l’obligation invoquée existe et est licite.

Un homme s’appuyant sur une reconnaissance de dette a assigné son épouse en paiement de la somme prêtée. Cette dernière avait reconnu dans l’acte avoir reçu cette somme à titre de prêt. Pour rejeter la demande du mari la cour d’appel retient que la reconnaissance de dette, qui ne répond pas aux conditions de l’article 1326 du Code civil, faute de mention manuscrite en chiffres et en lettres de la somme due, ne constitue qu’un commencement de preuve par écrit. Le mari conteste la décision des juges du fond devant la Cour de cassation.

La reconnaissance de dette doit-elle impérativement répondre aux conditions de forme prescrites par l’article 1326 du Code civil pour prouver l’existence de la cause de l’obligation invoquée ?

La Haute Cour répond par la négative et casse l’arrêt d’appel, considérant « que la règle énoncée par l’article 1132 du code civil, qui institue une présomption que la cause de l’obligation invoquée existe et est licite, n’impose pas, pour son application, l’existence d’un acte répondant aux conditions de forme prescrites par l’article 1326 du même code ».

En effet rappelons que selon l’article 1132 du Code civil, une convention est valable même si la cause n’y est pas exprimée. En d’autres termes, l’existence de la cause est présumée du seul fait que la promesse est produite. En effet le créancier peut réclamer l’exécution de l’obligation sans avoir à établir la cause de l’engagement du débiteur envers lui. De prime abord, on pourrait penser que ce texte établirait la validité de principe de l’engagement abstrait et consacrerait donc les contrats sans cause. Sa seule signature suffirait donc à lier le débiteur. Mais cette interprétation n’a pas été retenue, car elle est contraire à la tradition juridique française et à l’esprit du droit français, en vertu desquels la volonté sans cause ne peut-être source d’obligation. En effet selon cette conception, le consentement doit obligatoirement être justifié.

Mais il existe quelques exceptions où les promesses abstraites sont admises. En effet la doctrine classique considère que les titres négociables (billets à ordrelettres de change) sont des actes abstraits, qui doivent pouvoir circuler aisément pour remplir leur fonction. Ils sont en effet « détachés de leur cause et efficaces par la seule vertu des signatures ».

Ce refus d’admettre l’engagement abstrait, induit la Haute cour à découvrir dans ce texte une simple règle de preuve. Par conséquent, même si elle n’est pas exprimée dans l’acte instrumentaire, la cause de l’acte juridique est présumée exister. Cette présomption d’existence de la cause est parfaitement compatible avec l’article 1331 du Code civil, qui fait de la cause une des conditions de validité du contrat (Civ. 1re, 21 juin 2005).

En outre cette interprétation de l’article 1132 « est celle qui rend le mieux compte de la psychologie des intéressés : de ce qu’une personne s’est reconnue débitrice, même sans mentionner la cause, on peut (en effet) conclure que son obligation avait une cause, car un débiteur sain d’esprit ne prend généralement pas d’engagement sans cause » (v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette).

Par application de la présomption susvisée, c’est sur celui qui conteste l’existence de la cause que pèse la charge de la preuve (Civ.1re, 7 déc. 1961). L’administration de cette preuve peut être faite par tous moyens. C’est ce qu’avait déjà décidé la Cour de cassation (Civ.1re, 9 nov. 1964) et ce qu’elle confirme dans l’arrêt commenté. On retiendra donc que l’exigence d’une telle présomption dont l’objet est la cause de l’engagement, évince la règle de la preuve écrite, édictée par l’article 1326 du Code civil.

La règle formulée à l’article 1132 ne s’applique pas à l’égard des tiers. En effet, la Cour de cassation a décidé que « la présomption d’existence de cause licite que l’écrit crée au profit du créancier était inapplicable à l’égard des tiers et que le créancier devait prouver l’existence de la cause du billet non causé » (Req., 14 janv. 1941).

Civ. 1re, 12 janv. 2012, n°10-24.614

Références

 Billet à ordre

[Droit commercial]

« Titre négociable par lequel une personne, le souscripteur, s’engage à payer à une époque déterminée une somme d’argent à un bénéficiaire ou à son ordre. Ce titre n’est pas commercial par la forme, à la différence de la lettre de change. »

■ Commencement de preuve par écrit

[Droit civil]

« Tout titre signé, émanant de celui contre lequel la demande est formée, mais qui ne peut, pour des raisons de fond ou de forme, constituer un écrit nécessaire à la preuve des actes juridiques (ex. : une reconnaissance d’enfant naturel faite sous seing privé, et non en la forme authentique n’est qu’un commencement de preuve par écrit) ; la production d’un tel document, s’il rend vraisemblable le fait allégué, autorise l’audition des témoins. »

■ Lettre de change

[Droit commercial]

« Titre par lequel une personne, appelée tireur, donne l’ordre à l’un de ses débiteurs, appelé tiré, de payer une certaine somme, à une certaine date, à une troisième personne appelée bénéficiaire ou porteur, ou à son ordre. La lettre de change ou traite, est un acte de commerce par la forme. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 10e éd., coll. « Précis » Dalloz, 2009, n°356, p. 376.

■ Code civil

Article 1132

« La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée. »

Article 1326

« L'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres. »

Article 1331

« Les registres et papiers domestiques ne font point un titre pour celui qui les a écrits. Ils font foi contre lui : 1° dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu ; 2° lorsqu'ils contiennent la mention expresse que la note a été faite pour suppléer le défaut du titre en faveur de celui au profit duquel ils énoncent une obligation. »

■ Civ. 1re, 21 juin 2005, n° 04-10.673, RDC 2005. 1013, obs. D. Mazeaud.

■ Civ.1re, 7 déc. 1961Bull. civ. I, n°587.

■ Civ.1re, 9 nov. 1964Bull. civ. I, n°490.

■ Req., 14 janv. 1941, S. 1941. 1. 110.

 

Auteur :Y. D.


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