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[ 24 septembre 2012 ] Imprimer

Droit pénal spécial

La tauromachie dans l’arène du Conseil constitutionnel. Olé !

Mots-clefs : Tauromachie, Art. 521-1 C. pén., Principe d'égalité, Tradition locale ininterrompue

Le Conseil constitutionnel rejette le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité et déclare la première phrase du septième alinéa de l’article 521-1 du Code pénal conforme à la Constitution. L’exception selon laquelle les courses de taureaux ne tombent pas sous le coup de la loi pénale lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ne méconnaît aucun droit constitutionnellement garanti.

À l’origine de cette affaire, une décision par laquelle le ministre de la Culture et de la Communication a inscrit, en application de l'article 12 de la convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, la corrida au patrimoine immatériel de la France. Le tribunal administratif de Paris fut saisi d'un recours de deux associations anti-corrida tendant à l'annulation de cette décision.

Dans le cadre de ce litige, la discussion s’est cristallisée autour de l’article 521-1 du Code pénal. Le premier alinéa de cet article punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». Toutefois, le septième alinéa de ce même article prévoit que les dispositions ne sont pas applicables aux courses de taureaux « lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». Ces « courses de taureaux » incluent aussi bien les corridas avec ou sans mise à mort que les courses à proprement parler. Une exception similaire existe en matière de combat de coqs.

L'article 521-1 du Code pénal permet, par dérogation à l'incrimination qu'il institue, le maintien de pratiques tauromachiques traditionnelles sur plusieurs parties du territoire national. Était donc soulevée une question non dénuée de rapport avec les termes du litige qui devait, par suite, être regardée comme étant applicable au litige dont fut saisi le tribunal administratif. Le Conseil d’État, par un arrêt du 20 juin 2012, renvoya la question de la conformité à la Constitution de cet article au Conseil constitutionnel.

Les requérants soutenaient qu’en prévoyant que les faits que la loi pénale incrimine ne sont pas pénalement sanctionnés lorsqu'ils sont commis selon des pratiques traditionnelles locales, celle-ci serait contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. De surcroît, la notion « de tradition locale ininterrompue », sur laquelle repose cette exception prévue par l’antépénultième alinéa de l’article 521-1, serait contraire au principe de clarté de la loi pénale qui découle de l’article 8 de la DDHC de 1789.

Tel n’est pas l’avis du Conseil constitutionnel qui estime que l’exception coutumière est conforme au principe selon lequel la loi pénale doit être la même pour tous « soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et suffisamment précise pour garantir contre l’arbitraire.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi est repoussé par les Sages de la rue Montpensier. Ce principe impose de traiter de manière identique des personnes placées dans une situation identique mais «ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (Décis. du 18 mars 2009Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion). Une modulation de l’application de la loi pénale est donc possible, y compris une modulation dans l’espace. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il déjà admis qu’une différenciation géographique soit opérée par le législateur en matière pénale (zone Schengen : Décis. du 5 août 1993Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité ; département de la Guyane, Décis. du 22 avril 1997Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration).

Appliqué à l’espèce, le Conseil constitutionnel estime que « qu’en procédant à une exonération restreinte de la responsabilité pénale, le législateur a entendu que les dispositions du premier alinéa de l’article 521-1 du code pénal ne puissent pas conduire à remettre en cause certaines pratiques traditionnelles qui ne portent atteinte à aucun droit constitutionnellement garanti ; que l’exclusion de responsabilité pénale instituée par les dispositions contestées n’est applicable que dans les parties du territoire national où l’existence d’une telle tradition ininterrompue est établie et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition ; que, par suite, la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Concernant l’intelligibilité et l'accessibilité de la loi, les requérants contestaient le caractère équivoque de la notion « tradition locale ininterrompue » sur laquelle repose la différence de traitement. Le Conseil leur rétorque que s’il s’agit d’une notion pour laquelle il appartient aux juges d’apprécier les situations de fait y correspondant, toutefois, il n’en résulte pas nécessairement qu’il s’agit d’une notion équivoque. La solution n’est pas nouvelle. Il a déjà été jugé par le passé que des incriminations pénales fondées sur des notions qu’il appartient au juge d’interpréter pour apprécier les situations de fait y correspondant n’en sont pas pour autant des incriminations arbitraires (Décis. du 22 oct. 2009). On rappellera que cette notion de « tradition locale ininterrompue» a fait l’objet d’une abondante jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire dans ce domaine (ex : Civ. 2e, 10 juin 2004) ou administrative (ex : CE 4 nov. 1959 ; 10 févr.1967).

Cons. cont. 21 sept. 2012, n° 2012-271 QPC

Références

 Article 521-1 du Code pénal

«Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende. 

En cas de condamnation du propriétaire de l'animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal statue sur le sort de l'animal, qu'il ait été ou non placé au cours de la procédure judiciaire. Le tribunal peut prononcer la confiscation de l'animal et prévoir qu'il sera remis à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, qui pourra librement en disposer. 

Les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent article encourent également les peines complémentaires d'interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal et d'exercer, pour une durée de cinq ans au plus, une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l'infraction. Cette interdiction n'est toutefois pas applicable à l'exercice d'un mandat électif ou de responsabilités syndicales. 

Les personnes morales, déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal, encourent les peines suivantes : 

– l'amende suivant les modalités prévues à l'article 131-38 du code pénal ; 

– les peines prévues aux 2°, 4°, 7°, 8° et 9° de l'article 131-39 du code pénal. 

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. 

Est punie des peines prévues au présent article toute création d'un nouveau gallodrome. 

Est également puni des mêmes peines l'abandon d'un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, à l'exception des animaux destinés au repeuplement. »

■ Article 12 de la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel - Inventaires

« 1. Pour assurer l'identification en vue de la sauvegarde, chaque État partie dresse, de façon adaptée à sa situation, un ou plusieurs inventaires du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire. Ces inventaires font l'objet d'une mise à jour régulière.

2. Chaque État partie, lorsqu'il présente périodiquement son rapport au Comité, conformément à l'article 29, fournit des informations pertinentes concernant ces inventaires. »

■ Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789

Article 6

« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Article 8

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

■ CE 20 juin 2012, n° 357798, inédit au recueil Lebon.

■ Cons. const. 18 mars 2009, n° 2009-578 DC, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

 Cons. const. 5 août 1993, n° 93-323 DC, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité.

■ Cons. const. 22 avr. 1997, n° 97-389 DC, Loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration.

■ Cons. const. 22 oct. 2009n° 2009-590 DC, Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.

 Civ. 2, 10 juin 2004, n° 02-17.121.

■ CE 4 nov. 1959, Lebon 579.

■ CE 10 févr.1967, Lebon 69.

■ P. Soubelet, « Corridas : confusion sur la “tradition locale ininterrompue” », D. 2002. 2267.

 

Auteur :C. L.


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