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[ 17 juin 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’absence de violation du principe ne bis in idem en cas de non-exécution d’une première sanction pénale

Mots-clefs : Principe ne bis in idem, Charte des droits fondamentaux l’UE, Sanction pénale

Le principe ne bis in idem est affirmé à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce principe est repris par la convention d’application de l’accord Schengen de manière plus restrictive, puisqu’elle conditionne l’application de ce principe à l’exécution de la sanction contrairement à la Charte qui ne vise que la condamnation définitive ou l’acquittement. Ainsi une nouvelle procédure, dans un autre État membre, pourra être ouverte pour les mêmes faits, malgré une condamnation définitive, si la personne n’a pas déjà subi la sanction ou si celle-ci n’est pas en cours d’exécution. Le paiement de l’amende n’est pas suffisant pour reconnaître la réalisation de l’exécution si celle-ci a été prononcée avec une peine d’emprisonnement.

La Cour est une nouvelle fois intervenue dans le cadre de la procédure d'urgence du renvoi préjudiciel afin de vérifier la protection effective des droits fondamentaux au regard de l'application d'une disposition du droit de l'Union et plus spécifiquement de la convention d’application de l’accord Schengen (CAAS) qui prévoit que le principe ne bis in idem ne s’applique que si la sanction pénale prononcée a été subie ou est en cours d’exécution. Le prononcé d’un jugement définitif ayant autorité de la chose jugée ne suffit pas à faire obstacle à l’ouverture d’une nouvelle procédure dans un autre État membre.

Cette disposition semble violer le contenu même du principe ne bis in idem, figurant à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne puisqu’elle subordonne l’application du principe à l’exécution de la peine. La Cour retient cependant une solution inverse.

À l’origine du litige, il y a un homme de nationalité serbe qui s'est rendu coupable d'escroquerie en Italie. Dans cet État membre, il a été condamné pour ce comportement à une amende et à une peine d'emprisonnement. Si l'amende de 800 euros a été payée, la peine d'emprisonnement n'a pas été encore exécutée. Aussi, pour les mêmes faits, l’homme est poursuivi en Allemagne, un mandat d'arrêt européen ayant été déposé à son encontre. Or il estime que l’Allemagne porte atteinte au principe ne bis in idem, ce qui explique que la Cour ait été saisie afin de se prononcer sur la portée de ce principe dans le cadre de la CAAS.

La Cour de justice reconnait la licéité de la procédure allemande en opérant un contrôle sur le fondement de l'article 52, paragraphes 1 et 7 de la Charte des droits fondamentaux.

L’article 52, paragraphe 7, est essentiel étant donné qu’il fait référence expressément aux limites fixées dans la CAAS et précise qu’il s’agit d’une limite entrant dans le champ d’application de l’article 52, paragraphe 1er, de la Charte. Ce dernier article impose que les restrictions aux droits fondamentaux soient explicitement prévues par la loi, afin de répondre à un objectif d’intérêt général, le contenu de la disposition visée devant portée une atteinte proportionnée au droit en cause.

La reconnaissance expresse de cette limite ne posant pas de difficultés conformément à l’article 52, paragraphe 7, la Cour vérifie les conditions liées :

– tout d’abord, à l’existence d’un objectif légitime. La Cour considère l'exception comme justifiée au regard de l’objectif de sécurité publique. Ainsi la Cour admet une nouvelle fois l'objectif de sécurité publique comme constituant une limite aux droits fondamentaux (CJCE 3 sept. 2008, Kadi ; CJUE 4 juin 2013, ZZ). Plus précisément, la disposition en cause a pour objectif de lutter contre l'impunité, élément de la sécurité publique. La Cour indique que cette disposition ne remet pas en cause le principe en lui-même. La disposition en limite seulement la portée dans des hypothèses précises, ce qui est une exigence de la Cour au regard de son interprétation de l’article 52, paragraphe 1er, interdisant toute négation d’un droit (CJUE 22 janv. 2013, Sky Osterreich GmbH) ;

– ensuite, à la proportionnalité de la mesure. Les juges précisent que la mesure est proportionnée au regard de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En effet, cette disposition est la seule permettant de garantir l’exécution des sanctions pénales et ainsi de lutter contre l’impunité.

En outre, la Cour indique que le seul paiement de l'amende ne suffit pas à considérer que la sanction a été effectuée, permettant ainsi l'ouverture de poursuite par un autre État membre sur les mêmes faits.

CJUE 27 mai 2014, Zoran Spasic, C-129/14 PPU 

Références

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 50 - Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

Article 52 - Portée et interprétation des droits et des principes 

« 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. 

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l'objet de dispositions dans les traités s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci. 

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. 

4. Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions. 

5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en oeuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes. 

6. Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte. 

7. Les explications élaborées en vue de guider l'interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union et des États membres. »

■ Article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie contractante de condamnation. »

 CJCE 3 sept. 2008, Kadi, C-402/05 P et C-415/05 P, D. 2009. 1118, note DelcourtRSC 2009. 75, obs. Rouidi.

 CJUE 4 juin 2013, ZZ, C-300/11, AJDA 2013. 1684.

 CJUE 22 janv. 2013, Sky Osterreich GmbH, C-283/11.

 

Auteur :V. B.


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