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[ 7 décembre 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’anonymat des donneurs de gamètes non levé

Mots-clefs : Don de gamètes ; Principe d’anonymat ; Droit au respect de la vie privée et familiale ; Atteinte (non)

Le Conseil d’État confirme que la règle de l’anonymat des donneurs de gamètes n’est pas incompatible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Une femme conçue au moyen d’un don de gamètes demande aux structures hospitalières concernées la levée partielle du secret de ses origines en raison du risque de consanguinité né du fait que son mari, avec lequel elle a une fille, est lui-même issu d’un don de gamètes. Devant leur refus, elle porte l’affaire devant le tribunal administratif de Montreuil, puis devant la cour administrative d’appel de Versailles, les deux ayant rejeté ses demandes. Elle forme alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. 

Dans la décision rapportée, le Conseil d’État devait principalement se prononcer sur la compatibilité des différentes dispositions législatives, inscrites à la fois dans le Code de la santé publique (art. L. 1211-5), dans le Code civil (art. 16-8) et dans le Code pénal (art. 511-10), et sur le fondement desquelles l’accès à ces données avait été refusé à la requérante, et également prescrites par la Convention européenne des droits de l’homme, notamment, dans son article 8, qui garantit le droit à la vie privée et familiale, tandis qu’il résulte de la combinaison des dispositions législatives précitées un principe d’anonymat du donneur de gamètes, auquel il ne peut être dérogé qu’en cas de nécessité thérapeutique. Or, s’agissant de l’accès aux données permettant d’identifier l’auteur d’un don de gamètes, le Conseil d’État relève que la règle protégeant son anonymat répond à l’objectif de préservation de la vie privée du donneur et de sa famille. S’il reconnaît que la règle de l’anonymat s’oppose à la satisfaction de certaines demandes d’information de la personne conçue à partir du don de gamètes, celle-ci n’implique par elle-même aucune atteinte, faute d’intrusion, à la vie privée et familiale de cette personne, d’autant qu’il appartient aux seuls parents de décider de lever ou non le secret sur la conception de cette dernière. 

Par l’exercice d’un contrôle de proportionnalité, le Conseil d’État en conclut que le législateur, en fixant, par le biais de plusieurs dispositions, la règle de l’anonymat du donneur de gamètes, n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il dispose en vue d’assurer un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, à savoir ceux du donneur et de sa famille, du couple receveur, de l’enfant issu du don de gamètes et de la famille de l’enfant ainsi conçu. Cette règle n’est donc pas incompatible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui justifie le rejet du pourvoi. 

Ainsi le Conseil d’État reprend-il le raisonnement qu’il avait développé dans son avis du 13 juin 2013 (CE, avis, n° 362981). 

S’agissant de l’accès aux données « non identifiantes » mais de nature médicale, le Conseil d’État juge en l’espèce, également, selon la même méthode dite de « balance des intérêts », que la conciliation opérée par le législateur entre les intérêts en cause relève de la marge d’appréciation que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme réserve au législateur national, après avoir relevé l’existence d’exceptions strictement encadrées par la loi au principe d’interdiction de communiquer des informations relatives au donneur (comme au receveur) de gamètes. 

Puis il précise, compte tenu de l’argumentation dont il était saisi dans la présente affaire (la requérante ne souhaitait pas connaître l’identité de son père biologique), que les dispositions permettant à un médecin d’accéder à de telles données, en cas de nécessité thérapeutique, ne font pas obstacle à ce que de telles informations soient obtenues à des fins préventives, et notamment dans le cas d’un couple de personnes issues l’une et l’autre d’un don de gamètes qui souhaiteraient vérifier qu’elles n’ont pas le même père biologique. Mais le Conseil d’État a relevé qu’en l’espèce, la décision contestée rejetait une demande d’accès qui devait en effet être jugée irrecevable dès lors que la requérante l’avait présentée directement et non par l’intermédiaire d’un médecin. 

La solution rendue peut sembler un peu rigide, s’agissant de données non identifiantes. Une décision favorable n’était d’ailleurs pas inenvisageable, la Cour de cassation ayant déjà, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (V. notamment CEDH 25 sept. 2012, Godelli c/ Italie, n° 33783/09 : dans cette décision, éventuellement transposable au don de gamètes, la Cour avait condamné l’Italie pour avoir privé un enfant de toute possibilité d’obtenir des informations sur sa génitrice dans le cadre d’une affaire d’accouchement sous X), consacré le droit à la connaissance de ses origines (Civ. 1re, 13 nov. 2014, n° 13-21.018). La requérante déçue entend désormais saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Sans doute seront alors plus étroitement mis en balance que dans la présente affaire le droit de l’enfant à connaître ses origines et celui du donneur à garder l’anonymat.

CE 12 novembre 2015, n° 372121

Références

■ Code de la santé publique

Article L. 1211-5

■ Code civil

Article 16-8 

■ Code pénal 

Article 511-10

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981Lebon ; AJDA 2013. 1246 ; D. 2013. 1626, obs. R. Grand ; ibid. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 405, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2013. 1051, concl. E. Crépey.

■ CEDH 25 sept. 2012, Godelli c/ Italie, n° 33783/09D. 2012. 2309; ibid. 2013. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1235, obs. REGINE ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 554, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 104, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 13 nov. 2014, n° 13-21.018D. 2015. 1070, note H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 54, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2015. 103, obs. J. Hauser.

 

Auteur :M. H.


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