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[ 5 juillet 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’assignation à résidence d’un individu radicalisé, ordonnée dans le cadre de l’état d’urgence, n’a pas porté une atteinte disproportionnée à sa liberté de circulation

L’assignation à résidence d’un individu radicalisé ayant fait l’objet d’une saisie d’armes et de munitions, pour une durée de trois mois et deux jours, n’emporte pas violation du droit à la liberté de circulation (art. 2 du protocole n° 4 du 16 septembre 1963 de la Conv. EDH).

CEDH 15 juin 2023, Fanouni c/ France, req. n° 31185/18

La présente affaire concerne un ressortissant français, détenteur d’armes et de munitions et membre licencié d’un club de tir. Une « note blanche » des services de renseignement rapporte que le requérant « attire régulièrement l’attention par son discours prosélyte et radicale (…), a comparé les djihadistes à des résistants et qualifié ses filles de “soldats” (…), se vante régulièrement de porter sur lui son arme de poing à l’extérieur du stand (…) » (§ 17). Faisant l’objet d’une procédure de dessaisissement de l’ensemble de ses armes, il remet son arme de poing, trois fusils, et quelques munitions aux forces de l’ordre, et assure ne plus avoir d’armes chez lui (§ 5). Suite aux attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence est déclaré par un décret du 14 novembre 2015. Le 15 novembre, le requérant fait l’objet d’une perquisition administrative. « Plusieurs centaines de munitions (…), un revolver de défense tirant des balles en caoutchouc, une carabine à plombs (…) » sont saisis (§ 7). Le lendemain, il est assigné à résidence par le ministre de l’Intérieur, et obligé de se présenter plusieurs fois par jour à la gendarmerie.

■ Recours en excès de pouvoir et référé liberté. Le requérant introduit des recours en excès de pouvoir à l’encontre des deux arrêtés l’assignant à résidence, et demande la suspension de leur exécution par référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Notons que le référé liberté est une procédure « justifiée par l’urgence », utilisée si une décision administrative porte une « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale. Le juge des référés doit se prononcer dans les 48 heures afin de minimiser l’atteinte éventuelle. Le référé liberté est rejeté par deux ordonnances du 30 septembre 2015. Le recours en excès de pouvoir est examiné par le tribunal administratif. Par deux jugements du 18 février 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise annule pour excès de pouvoir les arrêtés portant assignation à résidence, considérant que le ministre de l’Intérieur a commis une erreur d’appréciation concernant la menace pour la sécurité et l’ordre public que constituerait l’intéressé. Cela entraîne la fin de l’exécution de la mesure d’assignation à résidence, après une durée de trois mois et deux jours (§ 54). Le ministre de l’Intérieur fait appel de ces jugements.

■ Principe du contradictoire, appel et pourvoi en cassation. En cours d’instruction, le ministre de l’Intérieur adresse un document à la cour administrative d’appel. Ce document n’est pas communiqué au requérant. Concluant que le ministre n’a pas effectué d’erreur d’appréciation, la cour administrative d’appel de Versailles (RG n°16VE01130) annule les deux jugements et infirme la solution retenue en première instance par un arrêt du 21 juin 2017.

Rappelons que la procédure contentieuse administrative est contradictoire (art. L. 5R. 611-1 et R. 611-7 du Code de justice administrative). Ce principe, destiné à garantir l’équité du procès, signifie que chacune des parties doit avoir la possibilité de présenter elle-même ses propres arguments et pièces et être informé des arguments et pièces présentés par la partie adverse. Or, tel n’a pas été le cas en l’espèce. Le document adressé par le ministre de l’Intérieur n’a pas été communiqué au requérant. Le requérant se pourvoit, par conséquent, en cassation.

Le Conseil d’Etat, par une décision du 28 décembre 2017 (n° 406112), annule l’arrêt de la cour administrative d’appel au motif que le principe du contradictoire a été méconnu (pt. 3 de l’arrêt n° 406112). Examinant le fond de l’affaire, le Conseil d’Etat rejoint la position de la cour d’appel, concluant que « c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur le motif tiré de l’erreur d’appréciation du ministre de l’Intérieur » (pt. 6 de l’arrêt n° 406112). Les jugements du tribunal administratif, ayant eu pour effet d’annuler l’assignation à résidence du requérant, sont annulés. Malgré cette annulation, l’assignation à résidence n’est pas mise en exécution (§ 20).

■ Liberté de circulation. Le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), faisant valoir que son assignation à résidence est contraire à la liberté de circulation (art. 2 du protocole n° 4 à la Conv. EDH). En effet, l’article 2 §1 prévoit que toute personne se trouvant régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler et d’y choisir librement sa résidence. Une assignation à résidence constitue effectivement une restriction à la liberté de circulation (§ 44). Il est néanmoins essentiel de relever qu’une telle restriction n’emporte pas systématiquement violation du droit à la liberté de circulation. Ce droit peut, en vertu de l’article 2 §3, faire l’objet de restrictions prévues par la loi, nécessaires et proportionnées à la poursuite d’un but légitime.

La Cour européenne examine la légalité de la restriction. En l’espèce, une base juridique existe : l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’Etat d’urgence. Elle considère que cette loi constitue une « base légale prévisible » (§ 51), en ce qu’elle offre des garanties procédurales suffisantes en rapport avec l’importance du droit en jeu (§ 47 et s.). La question du but légitime ne soulève pas de difficultés. La Cour admet que les objectifs poursuivis par l’ingérence sont la préservation de la sécurité nationale, de la sûreté publique, et le maintien de l’ordre. Ces buts légitimes sont expressément prévus au sein de l’article 2 §3.

■ Nécessité et proportionnalité de l’assignation à résidence. La CEDH poursuit par un examen de la nécessité et de la proportionnalité de l’ingérence. La Cour note que la restriction doit « ménager un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits de l’individu » (§ 44 ; v. aussi CEDH, gr. ch., 23 févr. 2017, De Tommaso c/ Italie, req. n° 43395/09, § 104 et s.). Rappelant « qu’une telle restriction à la liberté de circulation ne saurait se fonder exclusivement sur les convictions ou la pratique religieuse d’un individu » (§ 62), la Cour européenne constate que la liberté de circulation du requérant a été « particulièrement restreinte », mais que la durée de l’ingérence, soit trois mois et deux jours, est « limitée » (§ 54 ; v. pour comparaison CEDH 19 janv. 2023, Pagerie c/ France, req. n° 24203/16). La Cour relève que la décision d’assignation à résidence a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel, ayant permis au requérant de faire valoir ses arguments ; et que l’atteinte au principe du contradictoire a été remédié par le Conseil d’Etat (§ 58). Sur le fond, l’assignation à résidence a été fondée « sur un ensemble d’éléments précis concernant spécifiquement le requérant » (§ 57), et « la production de la note blanche a été accompagnée de garanties procédurales suffisantes » (§ 61).

Eu égard pour ces considérations, accordant une importance particulière au « besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes », au comportement du requérant et aux garanties procédurales dont il a bénéficié, la Cour estime que l’assignation à résidence n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

Bien que l’assignation à résidence ait constitué une ingérence à la liberté de circulation du requérant, cette restriction était prévue par la loi, nécessaire et proportionnée à la poursuite du but légitime de préservation de la sécurité nationale, de la sûreté publique et du maintien de l’ordre. Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme conclut, à l’unanimité, à la non-violation l’article 2 du protocole n° 4 de la Convention.

Références :

■ CE 28 déc. 2017, req. n° 406112 

■ CEDH gr. ch., 23 févr. 2017, De Tommaso c/ Italie, req. n° 43395/09 : RSC 2017. 625, obs. D. Roets ; ibid. 632, obs. D. Roets.

■ CEDH 19 janv. 2023, Pagerie c/ France, req. n° 24203/16 AJDA 2023. 103 ; RSC 2023. 193, obs. J.-P. Marguénaud.

 

Auteur :Egehan Nalbant


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