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Droit de la famille
Le cantonnement de l’adoption aux couples mariés jugé conforme à la Constitution
Mots-clefs : Adoption simple, Autorité parentale, PASC, Concubinage, Couple homosexuel, Art. 365 C. civ.
Par une décision du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que l’article 365 du Code civil, qui interdit de fait aux couples de même sexe d’adopter un enfant, n’était pas contraire aux droits et libertés garanties par la Constitution.
Rappelons qu’en France coexistent deux types d’adoptions : l’adoption simple et l’adoption plénière.
Dans cette affaire, deux femmes vivaient ensemble (sous le régime du PACS ou du concubinage, cela n'est pas connu en l'espèce). L'une des partenaires avait antérieurement donné naissance à un enfant. En conséquence de quoi, sa partenaire souhaitait également exercer l'autorité parentale sur l'enfant, au motif que leur union garantissait à cet enfant de grandir dans une famille structurée.
Les juges du fond avaient écarté cette possibilité, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point. Les plaignantes avaient alors déposé une question prioritaire de constitutionnalité, que la première chambre civile avait transmise au Conseil constitutionnel. Ce dernier devait trancher la question suivante : l'interdiction faite aux couples homosexuels d'adopter est-elle contraire aux droits et libertés garantis par la constitution ?
L’adoption plénière faire disparaître le lien de filiation existant entre l’enfant et ses parents biologiques, qu’elle remplace par un lien de filiation créé de toutes pièces par le droit entre l’adoptant et l’adopté. Ce lien est irrévocable.
À l’inverse, l’adoption simple laisse subsister le lien de filiation biologique, auquel elle ajoute la filiation adoptive. Dès lors, elle engendre moins d’effets juridiques que l’adoption plénière entre l’adoptant et l’adopté. Ainsi, cette filiation peut être révoquée pour des motifs graves, aux termes de l’article 370 du Code civil.
En principe, ces deux types d’adoption laissent la porte ouverte à l’adoption par une personne seule. En pratique, les services sociaux refusent le plus souvent l’agrément à une personne célibataire, au motif que la présence d’un seul « référent » est contraire à l’intérêt de l’enfant (v. infra, F. Terré, D. Fenouillet).
En l’état actuel du droit français, l’adoption par deux personnes « ensemble » ne peut se faire qu’au sein d’un couple marié. Les concubins et les partenaires liés par un PACS ne peuvent engager une démarche en commun en vue d’une adoption, qu’elle soit simple ou plénière.
Cependant, en cas d’adoption simple par une personne, la législation permet au conjoint de cette dernière d’obtenir l’autorité parentale en commun avec l’adoptant, lorsque l’adopté est l’enfant biologique du conjoint. En pratique, il s’agit, pour le mari ou la femme du parent biologique d’adopter l’enfant de ce(tte) dernier (ère), et de consentir au partage de l’autorité parentale avec son conjoint. Les familles recomposées peuvent alors constituer une cellule familiale constituée de deux « référents » chargés de protéger l’enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne ».
Ce système de dévolution concurrente de l’autorité parentale est permis par l’article 365 du Code civil, qui le réserve au « conjoint du père ou de la mère de l’adopté ». Dès lors, en l’absence de conjoint, donc de mariage, l’autorité parentale ne peut être exercée que par l’adoptant. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 20 février 2007, confirmé par un arrêt du 19 déc. 2007, qui rappelait aux juges du fond que la notion de conjoint s’appliquait exclusivement à « des personnes unies par les liens du mariage ».
En l’espèce, les requérantes, contestaient l’interprétation que la Cour de cassation faisait de l’article 365 du Code civil, arguant qu’elle était contraire au droit de mener une vie familiale normale, prévue par le 10e alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Elles souhaitaient que le Conseil invalide la position de la Cour de cassation et permette à la partenaire de la mère biologique d’adopter l’enfant et de se voir reconnaître l’autorité parentale. Elles considéraient que le droit de mener une vie familiale normale impliquait nécessairement la reconnaissance du lien de filiation entre les deux parents et l’enfant, peu importe qu’ils / elles soient de même sexe. Le Conseil constitutionnel réfute cette interprétation, en relevant que les concubins ou les partenaires de même sexe peuvent vivre ensemble, et qu’ils peuvent nouer des liens affectifs avec l’enfant, sans que l’établissement du lien de filiation soit nécessaire à cette fin.
Les requérantes se fondaient également sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui protége l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Le Conseil refuse d’admettre la rupture d’égalité en l’espèce, considérant que le législateur a pu décider que la situation familiale des couples mariés et des couples non mariés était différente en fait, et méritait par conséquent un traitement législatif différent. Le Conseil laisse au Parlement, seul doté d’un pouvoir « d’appréciation » des situations de fait dans l’exercice de son pouvoir législatif, le soin de traiter cette question.
Les couples de même sexe devront attendre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui vient de déclarer recevable la requête de deux plaignantes françaises, sur le fondement de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Cette décision sur la recevabilité, qui ne préjuge aucunement du jugement au fond de l’affaire, pourrait malgré tout agrandir le fossé qui existe entre l’interprétation conventionnelle des textes internationaux liant la France et l’interprétation constitutionnelle assurée par le Conseil, comme c’est le cas en matière de statut du ministère public (v. Blog Dalloz).
Cons. const., décis. n° 2010-39, 6 oct. 2010
Références
« Adoption laissant subsister des liens juridiques entre l'enfant et sa famille d'origine, tout en créant des liens de filiation entre l'adoptant et l'adopté. »
« Ensemble des prérogatives conférées par la loi aux père et mère sur la personne et les biens de leur enfant mineur et non émancipé. Chaque prérogative est constituée d'un droit (agir) et d'un devoir (d'agir dans l'intérêt du mineur). Les parents doivent ainsi protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne. Jadis conférée au seul père, sous le nom de « puissance paternelle », l'autorité parentale est, en principe, exercée en commun par les père et mère.
« Union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple, alors que l'union conjugale n’a pas été célébrée. L'union de fait peut ou non être accompagnée d'un pacte civil de solidarité (PACS). »
■ Pacte civil de solidarité (PACS)
« Dénomination donnée à l'accord conclu entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe, en vue d'organiser leur vie en commun. Ce pacte engendre un devoir de vie commune, d'aide matérielle et d'assistance réciproques et crée une solidarité des partenaires pour le paiement des dettes ménagères sauf dépenses manifestement excessives. Il produit de multiples conséquences : imposition commune des revenus et du capital, allégement des droits de mutation à titre gratuit, attribution de la qualité d'ayant droit pour les assurances maladie et maternité, transmissibilité du bail d'habitation… La déclaration conjointe des partenaires est enregistrée au greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel ils fixent leur résidence et publiée en marge de l'acte de naissance de chaque partenaire. Il peut y être mis fin d'un commun accord ou par volonté unilatérale. »
■ Question prioritaire de constitutionnalité
« À l’occasion d’une instance en cours (administrative, civile ou pénale), une partie peut soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative applicable au litige ou à la procédure ou qui constitue le fondement des poursuites, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux et si cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, la juridiction saisie doit statuer sans délai sur sa transmission au Conseil d’État ou à la Cour de cassation selon le cas. La haute juridiction saisie se prononce alors, dans un délai de trois mois, sur le renvoi au Conseil constitutionnel. Si ce dernier déclare la disposition non conforme à la Constitution, elle est abrogée. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
« L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité.
Les droits d'autorité parentale sont exercés par le ou les adoptants dans les conditions prévues par le chapitre Ier du titre IX du présent livre.
Les règles de l'administration légale et de la tutelle des mineurs s'appliquent à l'adopté. »
« S'il est justifié de motifs graves, l'adoption peut être révoquée, à la demande de l'adoptant ou de l'adopté, ou, lorsque ce dernier est mineur, à celle du ministère public.
La demande de révocation faite par l'adoptant n'est recevable que si l'adopté est âgé de plus de quinze ans.
Lorsque l'adopté est mineur, les père et mère par le sang ou, à leur défaut, un membre de la famille d'origine jusqu'au degré de cousin germain inclus, peuvent également demander la révocation. »
■ 10e alinéa du préambule de la Constitution de 1946
« La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »
■ Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
■ Civ. 1re, 20 févr. 2007, Bull. civ. I n° 71 ; GAJC, 12e éd., no 53-55 (II et III) ; D. 2007. 1047, note D. Vigneau (1re esp.) ; ibid. AJ. 721, obs. Delaporte-Carré (1re esp.) ; ibid. Chron. C. cass. 891, obs. Chauvin ; ibid. Pan. 1460, obs. Granet-Lambrechts ; JCP 2007. II. 10068, note Neirinck (1re esp.) ; Gaz. Pal. 2007. 480, avis Cavarroc ; Defrénois 2007. 791, obs. Massip ; AJ fam. 2007. 182, obs. Chénedé (1re esp.) ; Dr. fam. 2007, no 80, note Murat (2e esp.) ; RJPF 2007-5/32, note Mécary ; RLDC 2007/39, no 2570, note Le Boursicot ; RTD civ. 2007. 325, obs. Hauser.
■ Civ. 1re, 19 déc. 2007, Bull. civ. I, no 392 ; D. 2008. Pan. 1371, obs. Granet-Lambrechts ; ibid. 2008. 1028, note Mauger-Vielpeau ; ibid. Pan. 1786, obs. Lemouland et Vigneau ; JCP 2008. II. 10046, note Favier ; Gaz. Pal. 2008. 1. 307, et les obs. ; AJ fam. 2008. 75, obs. Chénedé ; Dr. fam. 2008, no 28, note Murat ; Defrénois 2008. 1119, obs. Massip ; RJPF 2008-3/28, obs. Garé ; RTD civ. 2008. 287, obs. Hauser.
■ Cons. const., Commentaire de la décision, Cahiers du Conseil n° 30, p. 2.
■ F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, la famille, les incapacités, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, n° 878, b).
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