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[ 15 janvier 2020 ] Imprimer

Procédure pénale

Le droit à une procédure contradictoire face au rôle du parquet de cassation

Dans un arrêt du 22 octobre 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Belgique pour violation de l’article 5, § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme pour non-respect du contradictoire tout en rappelant, dans la continuité de sa jurisprudence transposable à la France, le rôle de l’avocat général près la Cour de cassation. 

Le 22 septembre 2015, le requérant fut inculpé pour détention illicite de stupéfiants et placé en détention préventive sur le fondement d’un mandat d’arrêt dont il contesta la légalité. Le 21 octobre, la chambre du conseil, compétente pour lever ou maintenir le mandat d’arrêt en Belgique, ordonna son maintien en détention préventive. Et cette décision fut confirmée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision. Le 6 novembre, le greffe de la Cour de cassation envoya par fax à la prison l’avis de fixation de l’audience, prévue pour le 10 novembre. Cet avis, qui précisait que la présence du requérant à l’audience n’était pas requise et obligeait ce dernier à aviser le parquet au moins 48h avant l’audience s’il souhaitait comparaître personnellement, parvint tardivement au requérant et à son conseil (à la fin de la journée du 9 pour l’intéressé, le jour même de l’audience pour son conseil). L’audience eut lieu le mardi 10 novembre sans la présence du requérant et de son conseil. L’avocat général près la Cour de cassation conclut oralement et la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en s’appuyant sur les moyens de défense du mémoire déposé au greffe la veille par le conseil.

Par la suite, le requérant fit une demande de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles pour violation des articles 5, § 1 et 5, § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, se plaignant de l’impossibilité d’assister à l’audience devant la Cour de cassation ce qui, selon lui, aurait enfreint ses droits de la défense et l’aurait privé d’un débat contradictoire devant cette juridiction. La chambre du conseil rejeta son recours, estimant que des moyens de défense avaient pu être présentés. Cette décision fut confirmée par la chambre des mises en accusation qui refusa de statuer sur une prétendue irrégularité de la procédure devant la Cour de cassation. Enfin, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, la validité d’un arrêt de ses arrêts ne pouvant être remise en cause que par la voie de la rétractation.

Le requérant saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de la violation de l’article 5 § 4, estimant qu’il avait été privé de la possibilité d’assister à l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015 et, de ce fait, qu’il n’avait pu bénéficier d’une procédure contradictoire respectant le principe de l’égalité des armes.

Dès lors se posait la question suivante à la Cour de Strasbourg : l’information tardive de la fixation de l’audience, empêchant de fait le requérant et son conseil d’y assister, viole-t-elle l’article 5, § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit le droit pour toute personne privée de sa liberté de saisir un tribunal pour que celui-ci statue sur la légalité de sa détention ?

Après avoir rappelé le rôle de l’avocat général près la cour de cassation belge, la Cour européenne des droits de l’homme constate une violation de l’article 5, § 4 en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire.

■ La confirmation de la jurisprudence européenne sur le rôle de l’avocat général près la Cour de cassation belge

Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que l’avocat général près la Cour de cassation n’est pas une partie au procès mais un membre du parquet conseillant la Cour par le biais de ses conclusions. Elle a également précisé ses missions et les conséquences de son statut atypique.

Dès l’arrêt Delcourt c/ Belgique du 17 janvier 1970 (n° 2689/65), la Cour européenne des droits de l’homme a précisé que même si l’avocat général près la Cour de cassation appartient au parquet, il n’a qu’une mission de conseil auprès de la Cour de cassation : ainsi, « par les avis qu’il exprime en son âme et conscience, il aide la Cour à contrôler la légalité des décisions attaquées et à assurer l’unité de la jurisprudence » (§ 34). Sa « fonction parajudiciaire » (ibid.) est donc bien différente de celle des membres du parquet intervenant devant les juridictions du fond dont la mission est de défendre les intérêts de la société en soutenant l’accusation. De ce fait, l’avocat général près la Cour de cassation n’exerce pas l’action publique, il est indifférent au problème de la culpabilité et n’a ainsi pas la qualité de défendeur au procès pénal. Il ne peut donc être considéré comme partie au procès.

20 ans après, dans l’arrêt Borgers c/ Belgique du 30 octobre 1991 (n° 12005/86), la Cour européenne des droits de l’homme a opté pour une approche novatrice en affirmant qu’« en recommandant l'admission ou le rejet du pourvoi d'un accusé, le magistrat du ministère public en devient l'allié ou l'adversaire objectif » (§ 26). Ainsi, l’avocat général n’est pas une partie au procès selon la législation belge mais, par son rôle conseiller, il fait pencher la balance soit du côté de l’accusation soit du côté de la défense. D’où la nécessité de permettre à l’accusé de riposter en cas de conclusions défavorables. Car si la Cour de cassation n’est en rien obligée de suivre les conclusions de l’avocat général, elle peut néanmoins être influencée par ces dernières. Dans l’arrêt Borgers, la Cour européenne des droits de l’homme condamne également le fait que l’avocat général dispose d’une occasion supplémentaire pour accentuer l’influence de ses conclusions générales par sa participation au délibéré de la Cour de cassation avec voix consultative. La France a été condamnée pour la même pratique dans un arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd du 31 mars 1998 (nos 22921/93 et 23043/93), ce qui l’a conduit à revoir les missions de l’avocat général. Désormais, l’avocat général près de la Cour de cassation française ne dispose plus de la capacité de participer au délibéré de la Cour avec voix consultative.

Dans l’arrêt commenté, la Cour rappelle que « l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas, en droit belge, la qualité́ de partie au procès » mais « fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas – sauf cas exceptionnels étrangers à la présente affaire – l’action publique, et il n’a pas non plus la qualité́ de défendeur » (§ 40). Puis la Cour précise le rôle de l’avocat général comme elle avait pu le faire dans l’arrêt Vermeulen (20 févr. 1996, n° 19075/91§ 29-30) : celui-ci « a, en Belgique, pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité́ de la jurisprudence, et il agit en observant la plus stricte objectivité́ » (§ 40). Mais elle précise aussi, dans la lignée des arrêts Vermeulen et Borgers, que le principe du contradictoire doit être respecté car l’avocat général influence la Cour de cassation par le biais de ses conclusions (§ 42). 

■ Le constat de violation de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme fondé sur le non-respect du principe du contradictoire

Dans l’arrêt commenté, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que devant la Cour de cassation, le défaut de comparution n’enfreint pas en soi l’article 5, §4 de la Convention. En effet, le mémoire en défense déposé par le conseil du requérant a été pris en compte par la Cour de cassation qui a répondu aux deux moyens qu’il présentait. Le requérant n’a donc pas été privé d’accès au juge de cassation, dans le sens où les arguments au soutien de son recours ont effectivement été pris en compte et examinés. Ainsi il n’y a donc pas, en principe, pas d’obligation positive pour l’État de garantir la comparution du requérant devant la Cour de cassation belge. 

Nonobstant, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle qu’une procédure portant sur un recours formé contre une détention ou sa prolongation doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties (23 mai 2007, Mustafa Avci c/ Turquie, n° 39322/12). Sur ces deux griefs, la Cour conclut, au regard du rôle spécifique de l’avocat général près la Cour de cassation belge, qui n’est pas partie au procès, à l’impossibilité d’invoquer le principe d’égalité des armes, lequel implique que « toute partie à une action civile et a fortiori à une action pénale, […] a[it] une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse » (Szwabowicz c/ Suède, 30 juin 1959, n° 434/58).

Si la Cour européenne des droits de l’homme conclut logiquement à l’impossibilité d’invoquer le principe d’égalité des armes, il en va autrement concernant le respect du contradictoire. En effet, ce principe, tel que garanti explicitement par l’article 6, §1 de la Convention, implique « la faculté pour les parties à un procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter » (20 févr. 1996, Vermeulen c/ Belgiquepréc., § 33). S’appuyant sur la jurisprudence Vermeulen, la Cour européenne des droits de l’homme considère que le principe du contradictoire doit être respecté dans la mesure où l’avis de l’avocat général conseille et influence la Cour de cassation dans sa décision (§ 42). Le requérant doit pouvoir avoir connaissance des conclusions de l’avocat général près la Cour de cassation et y répondre. Dans le cas contraire, cela constitue une méconnaissance du principe du contradictoire au sens de l’article 6, § 1 de la Convention. 

Bien que saisie d’une requête fondée sur la violation de l’article 5, § 4 et non de l’article 6, § 1, la Cour européenne des droits de l’homme décide de raisonner par analogie « eu égard aux conséquences de la privation de liberté sur les droits fondamentaux de la personne concernée, du caractère fondamental du droit à une procédure contradictoire et du lien étroit qui existe entre l’article 5, § 4 et l’article 6, § 1 en matière de procédure pénale » (§ 43). Pour vérifier le respect du principe du contradictoire, elle recherche alors si le requérant a eu possibilité de prendre connaissance des conclusions orales de l’avocat général et d’y répondre. Selon elle, le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience de la Cour de cassation.

En l’espèce, le personnel de la prison a accusé réception de la télécopie un jour avant l’audience et l’avocat n’a été informé de la fixation de l’audience qu’après la tenue de celle-ci.

Même si le droit belge ne prévoit pas de délai dans lequel les parties doivent être averties de la fixation de l’audience lorsque la Cour de cassation doit statuer en urgence, l’avis de fixation prévoyait un délai de 48h avant l’audience pour le requérant pour avertir de sa présence à l’audience. Ayant été averti la veille de l’audience, il ne pouvait en aucun cas respecter ce délai. Rien n’indiquant non plus que le requérant ait pu prévenir son avocat de la tenue de l’audience, la Cour conclut au non-respect du principe du contradictoire.

Il découle de cette décision l’obligation positive pour le greffe pénitentiaire de faire preuve d’une diligence particulière dans l’information du prévenu concernant sa date d’audience.  

CEDH 22 oct. 2019, Venet c/ Belgique, n° 27703/16

Références

■ CEDH 17 janv. 1970, Delcourt c/ Belgiquen° 2689/65

■ CEDH 30 oct. 1991, Borgers c/ Belgique, n° 12005/86

■ CEDH 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ Francenos 22921/93 et 23043/93 : D. 1999. 268, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin

■ CEDH 20 févr. 1996, Vermeulen c/ Belgiquen° 19075/91: AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; D. 1997. 208, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1996. 1028, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 1997. 992, obs. R. Perrot ; ibid. 1006, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 1997. 373, note F. Benoît-Rohmer

■ CEDH 23 mai 2017, Mustafa Avci c./ Turquie n° 39322/12

■ J.-C. Marin, procureur général, « Le rôle de l’avocat général à la Cour de cassation », déc. 2016

■  Sur la définition de l’égalité des armes, V. Dalloz actualité, 9 sept. 2010

■  L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et le rôle du parquet de cassation en matière civile, J.-P. Marguénaud, RTD civ. 1996. 1028

■ Affermissement du droit à une procédure contradictoire face au rôle du Parquet de cassation, J.-P. Marguénaud, RTD civ. 1997. 1006 

 

Auteur :C. Corbin, M. Garnier et L. Avitabile, M1 droit pénal, Université de Lorraine


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