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[ 3 février 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Le séjour en prison : une épée de Damoclès sur le droit de séjour permanent du citoyen de l’Union dans un État membre

Mots-clefs : Citoyen de l’Union, Droit de séjour permanent, Protection renforcée, Mesure d’éloignement, Prison

Le citoyen de l’Union dispose d’un régime juridique plus favorable lorsqu’il a séjourné une longue période dans un État membre, autre que son État d’origine, au regard du contenu de la directive 2004/38, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Ainsi, lorsqu’il a séjourné légalement pendant plus de cinq ans dans un État membre d’accueil, il a un titre de séjour permanent excluant l’exigence de ressources suffisantes. Lorsqu’il y séjourne depuis plus de dix ans, toujours dans le cadre du titre de séjour permanent, il bénéficie d’une protection renforcée en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement pour motif d’ordre public. Cependant, la comptabilisation de cette période de dix ans ne peut prendre en considération les séjours en prison, ceux-ci traduisant une violation des valeurs de l’État d’accueil et en conséquence une absence de volonté d’intégration, intégration qui justifie le régime plus favorable de la directive 2004/38.

Le droit de séjour permanent, issu de la directive 2004/38 mettant en œuvre l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sur les droits de circuler et de séjourner des citoyens de l’Union constitue un enjeu non négligeable pour les ressortissants de l’Union. Ce statut garantit le maintien dans l’État d’accueil, conséquence de la volonté d’intégration du citoyen dans son lieu de résidence.

Le droit de séjour permanent s’acquiert de manière systématique dès lors que le citoyen réside légalement depuis plus de cinq ans et de manière continue dans l’État membre d’accueil. Le citoyen bénéficie également d’une protection renforcée s’il séjourne dans l’État d’accueil depuis plus de dix ans. Ce droit est toutefois dépendant d’une véritable volonté d’intégration, qui se traduit par l’obligation d’un séjour continu.

Cette obligation peut être remise en cause : 

– d’une part, par des absences trop prolongées ou trop fréquentes, démontrant que les centres d’intérêt personnel se situent en réalité dans un autre État membre ;

– et, d’autre part, par des séjours en prison.

C’est cette dernière hypothèse qui s’est présentée dans cet arrêt.

L’affaire trouve son origine dans l’adoption d’une mesure d’éloignement à l’égard d’une ressortissante portugaise qui s’était installée au Royaume-Uni avec son mari, lui aussi portugais. Ils ont eu des enfants ensemble, se sont séparés, sans divorcer. La femme a eu la garde des enfants, mais à la suite de faits de maltraitance, la garde lui a été retirée et elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement. Au regard de cette condamnation et de sa dépendance à la drogue, les autorités britanniques ont souhaité prendre à son égard une mesure d’éloignement sur le fondement de l’ordre public. Elle a contesté.

Le juge britannique devait résoudre plusieurs questions relatives aux conditions du mode de calcul de la période de dix ans et plus précisément sur l’implication des périodes d’emprisonnement.

L’exigence d’une période de dix ans est imposée par la directive 2004/38 dans son article 28 pour obtenir la protection renforcée. Une telle protection impose à l’État membre de démontrer, non plus l’existence d’un motif grave d’ordre public ou de sécurité publique, mais une raison impérieuse de sécurité publique. L’éloignement devient ainsi très exceptionnel.

La Cour de justice précise, tout d’abord, quel est le point de départ du calcul. Contrairement à l’attribution d’un droit de séjour permanent, il s’agit d’un calcul à rebours (CJUE 16 janv. 2014, Nnamdi Onuekwere). Ainsi, les dix ans doivent être recherchés à compter de la date de la décision d’éloignement. Peu importe que la personne ait séjourné pendant dix ans dans l’État d’accueil avant son emprisonnement.

Ensuite, la Cour expose comment doit être interprétée la notion de séjour continu. La Cour admet qu’il faut tenir compte des absences du citoyen de l’État membre d’accueil. Ainsi il faut regarder si les absences remettent en cause l’intégration dans l’État membre d’accueil en raison de leur durée ou de leur fréquence. Le but est d’établir si le citoyen n’a pas un centre de ses intérêts personnels dans un autre État membre. Si c’est le cas, cela l’empêche de bénéficier de la protection renforcée en matière d’éloignement.

Au-delà des absences du territoire, la Cour reconnaît que les périodes d’emprisonnement ne peuvent pas être prises en considération dans le calcul des dix ans. Pour la Cour, la condamnation marque le non-respect des valeurs de l’État d’accueil et remet en cause la volonté d’intégration. Ainsi, la période d’emprisonnement est perçue comme interrompant la continuité du séjour. Il est important de remarquer que cette exigence d’intégration pèse tant pour le droit de séjour permanent que pour la protection renforcée, l’emprisonnement ayant toujours le même effet (CJUE 16 janv. 2014, Nnamdi Onuekwere, préc.).

Toutefois, la Cour ne souhaite pas exclure automatiquement le bénéfice de la protection renforcée, exigeant de la part de l’État qu’il recourt à une appréciation globale de la situation du citoyen. Ceci est finalement la reprise de la jurisprudence antérieure obligeant l’État à appliquer en toutes circonstances le principe de proportionnalité (CJUE 23 nov. 2010, Tsakouridis). La Cour ne fait cependant pas expressément référence à ce principe.

Ainsi, la Cour se montre une nouvelle fois protectrice du citoyen en refusant une application automatique du calcul à l’égard des séjours en prison. Elle impose ainsi une approche différente à l’égard des citoyens européens par rapport aux ressortissants des pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, pour qui la prise en considération est automatique (CJUE 16 janv. 2014, Nnamdi Onuekwere, préc.). La Cour n’empêche cependant pas l’adoption de mesures d’éloignement si celles-ci apparaissent justifiées.

Les condamnations pénales pèsent dorénavant comme une épée de Damoclès sur le séjour des citoyens.

CJUE 16 janv. 2014, Secretary of State for the Home Department c. M. G., C-400/12

Références

 CJUE 16 janv. 2014, Nnamdi Onuekwere, C-378/12.

 CJUE 23 nov. 2010, Tsakouridis, C-145/09.

■ Article 20 du TFUE (ex-article 17 TCE)

« 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres:

a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres;

b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État;

c) le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'État membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État;

d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues des traités et de recevoir une réponse dans la même langue.

Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. »

 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement

Article 28 - Protection contre l'éloignement

1. Avant de prendre une décision d'éloignement du territoire pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique, l'État membre d'accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l'intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l'État membre d'accueil et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine.

2. L'État membre d'accueil ne peut pas prendre une décision d'éloignement du territoire à l'encontre d'un citoyen de l'Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d'ordre public ou de sécurité publique.

3. Une décision d'éloignement ne peut être prise à l'encontre des citoyens de l'Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a) ont séjourné dans l'État membre d'accueil pendant les dix années précédentes, ou

b) sont mineurs, sauf si l'éloignement est nécessaire dans l'intérêt de l'enfant, comme prévu dans la convention des Nations unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989. »

 

Auteur :V. B.


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