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[ 4 juin 2015 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Les effets de la date de retrait de l’associé sur la durée de conservation de ses droits

Mots-clefs : Droit des sociétés, Société civile, Associé, Retrait, Date, Effets, Droits sociaux, Durée

L'associé retrayant d'une SCP d'avocats conserve ses droits à percevoir des dividendes tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux. 

Une mésentente était intervenue entre un avocat associé au sein d’une SCP et ses coassociés, au point de provoquer le départ du premier. Les parties avaient alors signé un accord fixant les conditions de son retrait et saisi le bâtonnier d’une demande d’arbitrage portant sur diverses demandes indemnitaires. Le différend avait été soumis à la cour d'appel, qui débouta l’avocat de sa demande tendant à percevoir, jusqu'au total remboursement de la valeur de ses parts sociales, la rétribution de ses apports en capital et sa quote-part des bénéfices distribués. L’avocat retrayant forma un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle censure partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Paris. Elle reproche notamment aux juges du fond d'avoir violé l’article 1869 du Code civil et l’article 18 de la loi du 29 novembre 1966 au motif que l’associé retrayant conserve ses droits patrimoniaux tant qu’il n’a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales, et non à la date de son départ effectif de la société, comme l’avait jugé la cour d’appel. 

Prolongeant sa jurisprudence récente, la décision ici rendue par la Cour de cassation était relativement attendue. Elle présente cependant l’intérêt de confirmer l’attention qu’elle porte à la construction du régime applicable à la date d'effectivité du retrait ou de l'exclusion d'un associé, en sorte de parvenir à faire coïncider les dates de perte de la qualité d'associé, de la propriété des droits sociaux et de la jouissance des droits attachés aux parts ou aux actions. Tout d’abord, par un premier arrêt récent (Civ. 3e, 9 sept. 2014, n° 13-19.345), la Cour avait commencé par rappeler un principe désormais bien établi dans les sociétés civiles, selon lequel « la perte de la qualité d'associé ne peut, en cas de retrait, être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux » (Com., 17 juin 2008, n° 07-14.965 et n° 06-15.045). A l’origine fondée sur l'article 1860 du Code civil, relatif à certains cas d'exclusion, la solution fut ensuite généralisée aux retraits effectués en application de l'article 1869 du Code civil à l’effet de protéger l'associé retrayant, la gêne ainsi causée à la société étant gage de célérité du remboursement. Mais cet avantage peut également tourner en défaveur de l’association si, durant le temps qui s'écoule entre la décision de retrait et le remboursement, un créancier agit contre lui sur le fondement de l'obligation aux dettes. La solution présente également l’inconvénient de maintenir au sein de la société un associé dont la sortie est inéluctable, ce qui peut paraître inopportun. Cela étant, la solution de principe s'énonce clairement : la qualité d'associé ne se perd qu'à la date du remboursement de ses droits sociaux. Et c'est également à cette date que l'associé perd la propriété de ses parts sociales (Civ. 1er, 15 oct. 2014, n° 13-18.983). Deux arrêts antérieurs confortent cette analyse. Selon le premier, (Civ. 1er, 9 juin 2011, n° 09-69.923), « le retrayant a droit, tant qu'il est titulaire de ses parts, à la rétribution de ses apports en capital et, partant, à sa quote-part dans les bénéfices distribués» ; selon le second, rendu le même jour (Civ. 1er, 9 juin 2011, n° 10-18.655), « le retrayant (...) a droit, aussi longtemps que ses droits sociaux ne lui sont pas remboursés, à la rétribution de ses apports en capital et, partant, à sa quote-part dans les bénéfices à distribuer ». 

Le rapprochement de ces deux attendus conduit à considérer que le retrayant demeure titulaire de ses parts et continue de participer aux bénéfices aussi longtemps que ses droits sociaux ne lui sont pas remboursés. L'associé retrayant bénéficie ainsi d'une sorte de réserve de propriété subordonnant la perte de ses droits sociaux à leur complet remboursement. 

En l’espèce, la Cour confirme le droit de l'associé à percevoir des bénéfices tant qu'il n'a pas perçu l'intégralité de la valeur de ses parts. La Cour fonde sa solution sur les articles 1869 du Code civil et 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, déduisant de la combinaison de ces textes que les droits patrimoniaux de l'associé retrayant s'exercent aussi longtemps que l'associé retrayant en demeure nominalement titulaire, la perte de ces droits ne pouvant être préalable à leur remboursement intégral. 

Pourtant, dans une décision antérieure, ayant trait à un remboursement partiel de parts sociales (Com., 10 sept. 2014, n° 13-13.957), la Cour n’avait même pas pris le soin de justifier textuellement sa solution, qui se comprenait d’elle-même au regard de l’ensemble des décisions qu’elle avait rendues en cette matière : puisqu’elle raisonne en terme de remboursement de l'apport, il est logique de considérer que les droits patrimoniaux de l'associé dans la société s'éteignent au moment où il perd la qualité de créancier, ce qui est le cas lorsqu'il reçoit le paiement intégral de ce qui lui est du. La solution aurait pu être différente si la Haute juridiction avait choisi de raisonner non pas sur le lien entre l'associé et la société, mais sur le bien que sont les parts sociales. Elle aurait ainsi pu considérer que le rachat partiel de ces biens diminue d'autant le nombre de parts dont l'associé dispose, et donc sa part dans les bénéfices. Quoi qu’il en soit, il semble que la Cour, par la décision rapportée, confirme la réponse qu’elle entend apporter à la question de la date de la perte de la qualité d'associé en cas de retrait. 

Civ.1er, 16 avr.2015, n° 13-24.931

Références 

■ Code civil

Article 1860

« S'il y a déconfiture, faillite personnelle, liquidation de biens ou règlement judiciaire atteignant l'un des associés, à moins que les autres unanimes ne décident de dissoudre la société par anticipation ou que cette dissolution ne soit prévue par les statuts, il est procédé, dans les conditions énoncées à l'article 1843-4, au remboursement des droits sociaux de l'intéressé, lequel perdra alors la qualité d'associé. »

Article 1869

« Sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice.

A moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 (3e alinéa), l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4. »

■ Article 18 de la Loi n° 66-879 du 29 novembre 1966

« Un associé peut se retirer de la société, soit qu'il cède ses parts sociales, soit que la société lui rembourse la valeur de ses parts.

Sous réserve des dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, l'officier public ou ministériel qui se retire d'une société en raison d'une mésentente entre associés peut solliciter sa nomination à un office créé à cet effet à la même résidence dans des conditions prévues par le décret particulier à chaque profession, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de sa nomination en qualité d'officier public ou ministériel associé au sein de cette société.

Lors du retrait d'un associé, la société civile professionnelle est soumise aux modifications d'inscription et le cessionnaire des parts sociales à la procédure d'agrément, prévues par le décret particulier à chaque profession.

En ce qui concerne les offices publics et ministériels, le décret particulier à chaque profession détermine les conditions dans lesquelles devra être agréé par l'autorité de nomination le cessionnaire des parts sociales et approuvé le retrait de l'associé auquel est remboursée la valeur de ses parts. »

■ Civ. 3e., 9 sept. 2014, n° 13-19.345

 Com., 17 juin 2008, n° 07-14.965, D. 2008, p. 1818, note A. Lienhard

 Com., 17 juin 2008, n° 06-15.045, D. 2008, p. 1818, note A. Lienhard

■ Civ. 1er, 15 oct. 2014, n° 13-18.983, D. 2014, p. 2111

 Civ. 1er, 9 juin 2011, n° 09-69.923

 Civ. 1er, 9 juin 2011, n° 10-18.655

 Com., 10 sept. 2014, n° 13-13.957

 

Auteur :M. H.


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