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[ 14 mars 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

Les limites du devoir d’investigation du notaire

Mots-clefs : Responsabilité professionnelle, Notaire, Vérification des déclarations, Informations factuelles, Absence d’obligation

Le notaire n’est pas tenu de contrôler la véracité des informations d’ordre factuel fournies par les parties, sauf soupçons.

Peut-on se fier aux déclarations que l’on nous fait ? Cruciale en matière sentimentale, la question l’est également dans la pratique notariale, comme en témoigne l’arrêt commenté. Une société acquiert deux terrains, l’achat étant assorti d’une clause d’inaliénabilité. Par acte authentique, la société souscrit auprès d’une banque un prêt hypothécaire avec constitution d’une hypothèque conventionnelle prise sur les deux terrains acquis. La société ayant ensuite été mise en liquidation judiciaire, la banque engage une action en responsabilité contre le notaire qui a instrumenté l’acte de prêt : elle prétend que le notaire a commis une faute en recevant un prêt affecté d’une hypothèque sur des biens inaliénables, ce qu’il n’était pas en droit d’ignorer, quoiqu’ait déclaré le vendeur, puisque la vente avait été publiée à la conservation des hypothèques. La cour d’appel ayant rejeté la demande indemnitaire formée par la banque, celle-ci se pourvoit en maintenant la thèse de la commission d’une faute par le notaire, en raison de l’exigence d’efficacité des actes qu’il reçoit. Se trouve ainsi posée la question de savoir si le notaire peut se fier à la déclaration, mensongère par omission, du vendeur ou si au contraire, il lui appartient de vérifier l’ensemble des faits déclarés par lui ? Dans un sens favorable au notaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant que « le notaire, qui n’était pas tenu de contrôler la véracité des informations d’ordre factuel fournies par les parties en l’absence d’éléments de nature à éveiller ses soupçons, avait établi l’acte de prêt en ignorant que la vente, dont il n’était pas le rédacteur, était d’ores et déjà conclue et qu’elle comportait une clause d’inaliénabilité rendant impossible la prise d’une hypothèque conventionnelle, situation que la (banque) et (l’acquéreur) lui avaient dissimulée ».

Comme le rappelait le pourvoi, le notaire est tenu de l’efficacité des actes qu’il reçoit ; à cette fin et en cette qualité de rédacteur d’actes, il doit vérifier les faits et conditions nécessaires à l’acte (validité d’un testament authentique ; vente d’un immeuble commun sans concours de l’épouse). En revanche, comme le rappelle ici la première chambre civile, il n’engage pas sa responsabilité lorsqu’il reçoit un acte en l’état de déclarations erronées des parties quant aux faits, même vérifiables, s’il ne disposait pas d’éléments de nature à douter de leur véracité (v. déjà, Civ. 1re, 8 janv. 2009). Avant 2009, la Cour de cassation avait une position identique, mais peut-être plus clairement exprimée : il n’y a pas de faute s’il n’existe « aucune circonstance objective qui aurait permis au notaire de mettre en doute la déclaration faite par le vendeur » (Civ. 1re, 10 févr. 2004, à propos d’un marchand de biens qui était en cours d’exécution d’un plan de redressement judiciaire ; v. égal. Civ. 1re, 7 nov. 2006, à propos d’un cautionnement hypothécaire souscrit par un débiteur en liquidation judiciaire ; sur les éléments objectifs retenus comme devant conduire le notaire à douter de la déclaration de son client, v. note F. Vauvillé).

Le principe est donc que, comme la jurisprudence l’a rappelé maintes fois, le notaire n’engage pas sa responsabilité si une déclaration est erronée, à condition qu’il n’y ait pas de raison de douter de sa véracité. Notons, néanmoins, qu’il existe une exception, révélée par l’arrêt précité du 8 janvier 2009 : en cas de représentation de la partie à l’acte par un mandataire, le notaire redevient tenu de vérifier les déclarations faites au nom de la partie représentée lorsqu’elles conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte et lorsqu’il existe une « publicité légale aisément accessible ». En définitive, le notaire instrumentaire ne doit pas vérifier ce qui est déclaré par une partie en personne, mais s’assurer de la véracité de la déclaration faite par un mandataire, alors même que le mandataire, lui, lors de la procuration, n’a rien à vérifier !

Civ. 1re, 23 févr. 2012, n°09-13.113

Références

■ Inaliénabilité

[Droit civil]

« Caractéristique juridique d’un bien ou d’un droit qui ne peut pas faire l’objet d’une transmission d’une personne à un autre. L’inaliénabilité procède, généralement, d’une interdiction légale : biens du domaine public, éléments et produits du corps humain, droit d’usage et d’habitation concédé intuitu personae. Plus rarement, elle a sa source dans la volonté de l’homme à travers une clause d’inaliénabilité qui est valable, à condition d’être temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime, tant dans les actes à titre gratuit que dans les actes à titre onéreux. »

■ Conservation/Conservateur des hypothèques

[Droit civil/Droit financier ou fiscal]

« Bureau dans lequel sont déposés tous les actes portant sur les droits réels immobiliers ainsi que certains actes générateurs de droits personnels dont un immeuble est indirectement l’objet. Le conservateur assume la garde des pièces déposées, constitue les fichiers personnels et réels. Il délivre copies ou extraits des actes publiés ainsi que l’état des inscriptions des droits réels (hypothèques, privilèges) grevant un immeuble déterminé. Ainsi est assurée la publicité des actes relatifs aux immeubles. Il perçoit certaines taxes.

L’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 porte suppression du régime des conservateurs des hypothèques à compter du 1er janvier 2013.

Les modifications apportées sont d’abord terminologiques. Les mots “ conservateur ”, “ bureau des hypothèques ” sont remplacés par les mots “ service chargé de la publicité foncière ”, les mots “ conservation des hypothèques ” par “ fichier immobilier ”.

Quant aux modifications de fond, elles concernent, d’une part, le salaire du conservateur qui est supprimé et auquel est substituée, au profit de l’État, une taxe dénommée contribution de sécurité immobilière, d’autre part, la responsabilité de l’État qui prend le relais de celle assurée jusqu’alors par le conservateur.

Cette réforme ne changera rien à l’organisation de la publicité foncière qui continuera d’être assurée par la direction générale des finances publiques selon le régime actuel. »

■ Hypothèque

[Droit civil]

« Droit réel accessoire grevant un immeuble et constitué au profit d’un créancier en garantie du paiement de la dette. L’hypothèque n’entraîne pas dessaisissement du propriétaire.

L’hypothèque autorise le créancier non payé à l’échéance à faire saisir et vendre l’immeuble en quelque main qu’il se trouve (droit de suite) et à se payer sur le prix avant les créanciers chirographaires (droit de préférence).

Entre les créanciers, l’hypothèque n’a de rang que du jour de l’inscription prise à la conservation des hypothèques par le créancier.

Le créancier hypothécaire peut demander en justice que l’immeuble lui demeure en paiement.

L’hypothèque est ou légale, ou judiciaire, ou conventionnelle. Elle ne s’applique qu’aux biens immobiliers. Toutefois, il existe quelques cas d’hypothèques mobilières (navires, aéronefs). »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Civ. 1re, 8 janv. 2009, n°07-18.780, JCP N 2009. 1280, note F. Vauvillé.

■ Civ. 1re, 10 févr. 2004, n°00-17.206.

■ Civ. 1re, 7 nov. 200605-19.528.

 

Auteur :M. H.


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