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[ 15 mars 2012 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Libre choix du domicile du salarié : jurisprudence confirmée !

Mots-clefs : Contrat de travail, Clause de domicile, Liberté individuelle, Vie privée, Libre choix, Contrôle de proportionnalité

Toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile et nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

L’article L. 1121-1 du Code du travail garantit le respect des droits et libertés fondamentales en droit du travail. Ainsi, toute clause insérée dans un contrat de travail qui se révèle être attentatoire à un droit ou une liberté fondamentale doit impérativement répondre à deux conditions successives et cumulatives : elle doit être « justifiée par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnée au but recherché », l’employeur devant ainsi apporter la preuve que l’exercice normal de ces droits engendrerait pour l’entreprise un trouble caractérisé. À défaut, la clause est illicite et encourt la nullité, et il en sera de même des licenciements fondés sur la violation de cette obligation contractuelle litigieuse.

En l’espèce, une gouvernante avait pour mission de veiller au confort physique et moral de majeurs protégés logés dans un appartement appartenant à l’association qui l’employait. Elle décida d’élire son domicile à 20 km de son lieu de travail, ce qui portait à 25 minutes son temps de transport en véhicule personnel. La gouvernante fut licenciée pour avoir méconnu l’obligation contractuelle de résider à proximité de ce lieu de travail, soit à moins de 200 mètres de celui-ci. Elle saisit alors la juridiction prud’homale. Les juges du fond estimèrent que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse puisqu’en s’éloignant de son lieu de travail, la salariée n’était plus en mesure de respecter son obligation de résidence considérée comme une condition substantielle de son contrat de travail. Ils jugèrent que cette obligation était d’une part indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’association qui l’employait et des personnes auprès desquelles elle œuvrait, et d’autre part, proportionnée au but recherché, compte tenu de la nature de son emploi. La Haute cour ne l’entend pas ainsi et, tout en procédant à un contrôle de proportionnalité, déclare que ces motifs sont « impropres à établir que l’atteinte au libre choix par la salariée de son domicile était justifiée par la nature du travail à accomplir et proportionnée au bout recherché ». La liberté de la salariée de choisir sa résidence est donc préservée puisqu’en l’espèce l’atteinte à cette liberté fondamentale qu’est le respect du domicile familial (attribut du droit au respect de la vie privé) n’avait pas été assez soigneusement encadrée par l’employeur pour être justifiée : la salariée pouvait, semble-t-il, très bien assurer ses fonctions tout en habitant à plus de 200 mètres de son lieu de travail, aucun trouble pour l’association et ses pensionnaires n’ayant été caractérisé.

Dans les faits, l’affaire ici commentée n’est pas nouvelle (v. déjà : Soc. 12 janv. 1999 Soc. 13 avr. 2005 Soc. 12 juill. 2005 ; contra Soc. 13 janv. 2009). Elle présente toutefois un intérêt quant au triple visa que la Cour retient pour casser l’arrêt d’appel. En effet, elle décide d’apprécier la validité de la clause tant au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8 - droit au respect de la vie privée et familiale) que de l’article 9 du Code civil (droit au respect de la vie privé) et de l’article L. 1121-1 du Code du travail (respect des droits et libertés dans l’entreprise). Elle répond ainsi à la critique dont elle avait fait l’objet en 1999 par une partie de la doctrine (v. J.-P. Marguénaud et J. Mouly) lorsqu’elle avait exclu la législation nationale pour justifier sa décision, critique dont elle avait semble-t-il déjà tenu compte dès 2005 (Soc. 12 juill. 2005, préc.).

Soc. 28 févr. 2012, n°10-18.308, FS-P+B

Références

■ Article L. 1121-1 du Code du travail

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

■ Article 9 du Code civil

« Chacun a droit au respect de sa vie privée. 

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »

 Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ Soc. 12 janv. 1999, n°96-40.755, D. 1999. 645, note J.-P. Marguénaud et J. Mouly RTD civ. 1999. 395, obs. Mestre.

■ Soc. 13 avr. 2005, n°03-42.965, RTD civ. 2005. 572, obs. Hauser.

 Soc. 12 juill. 2005, n°04-13.342, RTD civ. 2006. 109, obs. Mestre et Fages.

■ Soc. 13 janv. 2009, n°07-43.282, RTD civ. 2009. 504, obs. Hauser.

 

Auteur :A. T.


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