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[ 8 juin 2015 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

L’indemnisation du préjudice ne peut être supérieure au dommage réparable

Mots-clefs : Contrat, Responsabilité, Résolution, Réparation du préjudice, Réparation intégrale, Réparation supérieure au dommage réparable (non)

L'auteur d'un dommage est tenu à la réparation intégrale du préjudice causé, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit en sorte que le juge ne peut, sans violer l’article 1147 du Code civil, ordonner une mesure de réparation en nature allant au-delà du simple rétablissement du statu quo ante.

Une société agricole avait vendu à un particulier de la « solution azotée en vrac », dont elle avait confié le transport à une société d’affrètement (la société DIAF), laquelle avait sous-traité l'opération à une société de transport. La marchandise ayant pollué sa cuve, l’acquéreur avait assigné la société venderesse en résolution de la vente. Pour condamner cette dernière à assurer la dépollution de la cuve appartenant à l’acquéreur et à lui payer une somme correspondant au prix d'acquisition d’une nouvelle cuve, la cour d’appel retint, d'une part, que la dépollution de la cuve était la conséquence nécessaire de la résolution du contrat, laquelle remet les choses dans le même état que si l'obligation n'avait pas existé et, d'autre part, que l'acquisition d'une nouvelle cuve, par le remplacement de l'ancienne, inutilisable, était également rendue nécessaire. 

La question de l’étendue de la réparation, consécutive à la résolution du contrat de vente, se trouvait alors posée à la Cour de cassation qui, au visa de l'article 1147 du Code civil et du principe de réparation intégrale du préjudice, casse la décision des juges du fond. La cassation était prévisible : par principe, la responsabilité civile a pour finalité de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, sans qu'il en résulte donc, pour la victime, ni perte ni profit (Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737 : « Attendu que l'auteur d'un dommage est tenu à la réparation intégrale du préjudice causé, de telle sorte qu'il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit »). C'est dire que, pour évaluer la réparation, la situation de la victime doit seule être prise en considération. En d'autres termes, le principe de la réparation intégrale signifie que l'étendue de la réparation se mesure à l'aune exclusive du dommage juridiquement réparable. Aucune autre donnée ne doit être prise en considération, qu'il s'agisse de la gravité de la faute commise par le défendeur (Cass. civ., 26 mai 1913), des situations de fortune respectives de la victime et du responsable (Crim., 17 déc. 1970, n° 69-93.478), ou encore des prédispositions de la victime au dommage (Civ. 2e, 15 déc. 1986, n° 85-15.516). 

Dans le prolongement de ce principe, et en conséquence de la résolution prononcée, les choses formant l’objet du contrat doivent être remises exactement dans le même état que celui où elles se trouvaient avant la vente (V. notam. Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667: Lorsqu’un contrat synallagmatique est résolu pour inexécution par l’une des parties de ses obligations, les choses doivent être remises dans le même état que si les obligations nées du contrat n’avaient jamais existé.) En d'autres termes, la réparation allouée ne doit être ni inférieure, ni supérieure au dommage réparable. 

Or, en condamnant la société venderesse, d'une part, à assurer la dépollution de la cuve appartenant à l’acquéreur et, d'autre part, à lui payer une certaine somme pour financer l'acquisition d'une nouvelle cuve, laquelle, selon les propres conclusions déposées par l’acquéreur, lui avait servi dans l’attente de la dépollution de l'autre cuve, la cour d’appel, en statuant de la sorte, avait placé l’acquéreur dans une situation préférable à celle qui aurait été la sienne en l'absence de fait dommageable. Dès lors qu'une fois accomplie la dépollution de la cuve, il serait devenu le propriétaire de deux cuves en état d'être utilisées et non plus d'une seule. 

En somme, la réparation allouée par les juges du fond était, en l’espèce, supérieure au dommage réparable alors que si la réparation doit être égale à la totalité du préjudice, elle ne doit pas le dépasser (V. Crim. 11 juill. 1983; Crim. 3 déc. 1985, n° 84-92.660; Civ. 2e, 6 janv. 1988, n° 86-16.192). 

Plus précisément, l'exigence d'une réparation ne dépassant pas le dommage connaît trois déclinaisons. Tout d’abord, le juge ne doit pas réparer deux fois le même préjudice (V. par ex., Civ. 1re, 20 nov. 1990, n°  87-19.564). Ensuite, le juge ne doit pas réparer un préjudice hypothétique (V. Civ. 2e, 27 mars 1974). Enfin, dernière interdiction faite au juge, et qui était au cœur de l’espèce rapportée, le juge ne doit pas ordonner une mesure de réparation en nature allant au-delà du simple rétablissement du statu quo ante (V. pour une autre application, Com. 9 mars 1993, n° 91-14.685: à propos d'une augmentation de capital n’ayant pu être votée à la suite d'un abus de minorité, le juge, s'il peut désigner un mandataire représentant les minoritaires à une nouvelle assemblée, ne peut cependant décider que sa décision vaudra adoption de la résolution tendant à l'augmentation de capital dès lors que même en l'absence d'abus de minorité, il n’est pas sûr que l'augmentation de capital eût été votée, une telle mesure allant donc au-delà de la simple remise en état).

Com., 5 mai 2015, n° 14-11.148.

Références

■ Code civil

Article 1147

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

■ Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737, Bull. civ. II, n° 302.

■ Cass. civ., 26 mai 1913, D. 1916, I, p. 171.

 Crim., 17 déc. 1970, n° 69-93.478, D. 1971, comm. p. 41.

■ Civ. 2e, 15 déc. 1986, n° 85-15.516, Bull. civ. II, n° 193, D. 1987, p. 450, 2e esp., note Y. Lambert-Faivre.

■ Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667, Bull. civ. II, n° 263.

■ Crim. 11 juill. 1983D. 1985. 347, note Y. Chartier.

■ Crim., 3 déc. 1985, n° 84-92.660, D. 1986. 209.

■ Civ. 2e, 6 janv. 1988, n° 86-16.192, Bull. civ. II, n° 8.

■ Civ. 1re, 20 nov. 1990, n° 87-19.564, Bull. civ. I, n° 258 ; D. 1991. 455, note J.-L. Aubert, RTD civ. 1991. 349, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 27 mars 1974, D. 1974, inf. rap. p. 164.

 Com. 9 mars 1993, n° 91-14.685, Bull. civ. I, n° 101 ; D. 1993. 363, note Y. Guyon, Rev. sociétés 1993. 403, note P. Merle ; RTD com. 1994. 617, étude D. Tricot.

 

Auteur :M. H.


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