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[ 25 septembre 2018 ] Imprimer

Introduction au droit

Loi de validation : une rétroactivité contrôlée

Une loi de validation édictée dans le seul intérêt financier d’une association n’étant pas motivée par un motif impérieux d’intérêt général, son effet rétroactif contraire à l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et du citoyen doit être paralysé par le rejet de son application au litige en cours.

En charge d’une mission d'organisation des producteurs intervenant dans son secteur d’intervention, une association avait assigné l’un d’entre eux en paiement de cotisations dues au titre d’une campagne de commercialisation menée en 2013. Un juge de proximité, après avoir dit que l'article 13, V, de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, ayant pour objet de valider rétroactivement les appels de cotisations émis avant 2014, n'était pas justifiée par un motif impérieux d'intérêt général, et donc portait atteinte aux dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention européenne, en avait écarté l’application au litige, et rejeta la demande de l’association. 

Au soutien du pourvoi qu’elle forma devant la Cour de cassation, l’association faisait valoir que si la notion de procès équitable consacrée par l'article 6, § 1 de la Convention s'oppose à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire du litige, il ne s'oppose pas à une telle intervention lorsque la poursuite d'impérieux motifs d'intérêt général la justifie ; et selon la demanderesse au pourvoi, l’intervention législative de 2014 était justifiée par de tels motifs : destinée à assurer le respect de la volonté initiale du législateur qui, par les articles L. 551-6 et L. 551-7 du Code rural et de la pêche maritime, issus de l'ordonnance n° 2010-459 du 6 mai 2010 (devenus L. 551-2 et L. 551-3 du même code, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2015-1248 du 7 octobre 2015), avait instauré la possibilité pour l'autorité administrative d'étendre les règles adoptées par les associations d'organisations de producteurs aux opérateurs non-membres de ces associations, et d'assujettir ces derniers au paiement de cotisations, cette loi de validation avait pour but d’assurer la pérennité de leurs actions en faveur de tous, membres et non-membres.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Tout en rappelant le principe selon lequel le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, la Cour réaffirme les règles qui en affaiblissent la portée : le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable, consacrés par l'article 6, § 1 de la Convention, s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges.

Or en l’espèce, le législateur avait fait en sorte de valider les cotisations litigieuses au titre d'une campagne de commercialisation antérieure à 2014, en tant qu'elles seraient contestées par un moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris les arrêtés rendant obligatoires ces cotisations n'était pas compétente pour habiliter ces associations à les prélever ou pour en arrêter le montant. Et les juges de confirmer ce que la juridiction de proximité avait retenu, à savoir que la disposition en cause, privant rétroactivement les justiciables du droit de se prévaloir de la nullité des actes administratifs en cause, avait pour seul objectif de maintenir le niveau de financement de l'association, dont l'équilibre économique général n’était pour autant pas menacé par le risque d'une décision judiciaire excluant le paiement de cotisations pour les producteurs non-membres qui intenteraient un procès pour les campagnes antérieures à 2014. L'intervention du législateur n'ayant pas obéi à d'impérieux motifs d'intérêt général, l'application de l'article 13, V, de la loi du 13 octobre 2014 devait être écartée.

Parmi les difficultés susceptibles de survenir dans la mise en œuvre de la loi, le facteur temporel figure en bonne place. À défaut de dispositions transitoires, les conflits de lois dans le temps sont résolus par des principes de solution constituant en quelque sorte le droit commun de la matière. Ce droit commun des conflits de lois dans le temps trouve son assise textuelle dans l’article 2 du Code civil, qui fonde notamment le principe de la non-rétroactivité des lois : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». La non-rétroactivité de la loi signifie que la loi ne dispose pas pour le passé. Dans son acception moderne, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle interdit, au nom de la sécurité juridique, que cette loi s’applique, d’une part, aux conditions de formation (constitution ou extinction) des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur. Cela signifie qu’une situation juridique qui n’avait pu valablement se créer dans le passé ne pourra être validée par la loi nouvelle, de même qu’une situation régulièrement constituée sous l’empire de la loi ancienne ne sera pas susceptible d’être remise en cause par la loi nouvelle contraire.

L’interdiction de la rétroactivité légale empêche, d’autre part, que la loi nouvelle s’applique aux effets passés des situations juridiques en cours lors de son entrée en vigueur. Par exemple, un prêt ayant été conclu à un taux x prohibé par une loi postérieure en raison de son caractère usuraire, les intérêts échus antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau texte ne sont pas remis en cause. L’impériosité de la règle se traduit par le fait que les Sages la qualifient de principe d’ordre public (Civ. 3e, 21 janv. 1971, n° 70-10.543)

Pour autant, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle n’est pas un principe absolu. Sa relativité tient déjà au fait que sa portée est, selon les matières, variable : ainsi, en matière répressive, certains textes de valeur supra-législative interdisent au législateur d’y déroger (article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 7, § 1 Conv. EDH). Et le Conseil constitutionnel de juger que le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères revêt une valeur constitutionnelle (Cons. const. 18 déc. 2001, n° 2001-453 DC). En revanche, comme le rappelle ici la Cour, en dehors de la matière répressive, le législateur n’est pas lié par le principe de non-rétroactivité des lois, l’article 2 du Code civil revêtant une valeur simplement législative (Civ. 1re, 20 juin 2000, n° 98-19.319 : « En matière civile, le législateur n’est pas lié par le principe de la non-rétroactivité des lois ») : s’il s’impose au juge, et au pouvoir réglementaire, le législateur est, quant à lui, libre d’y déroger. Ainsi lui est reconnue la possibilité d’adopter des lois rétroactives, c’est-à-dire contenant des dispositions transitoires prévoyant expressément un tel effet, rétroactif. Les lois de validation, qui ont pour objet de purger un acte ou une situation juridique d’une cause de nullité afin d’anéantir le risque de leur annulation en justice, sont par définition rétroactives. Elles sont toutefois soumises à un contrôle judiciaire que l’influence de la Cour européenne, jugeant cette ingérence législative attentatoire à la fois au « principe de prééminence du droit » et à « la notion de procès équitable » (CEDH 28 oct.1999, Zielinski c./ France, n° 24846/94), a rendu de plus en plus sévère et étroit. Le principe de prééminence implique que soit respectée la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ; or lorsque le législateur adopte une loi pour briser une jurisprudence qu’il déclare applicable aux instances en cours, il porte atteinte à la séparation des pouvoirs. La notion de procès équitable justifie, quant à elle, de protéger le justiciable contre les changements soudains de législation qui pourraient lui être préjudiciables au cours d’un procès (A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 214). En conséquence, la rétroactivité de la loi nouvelle dépend, pour son admission, d'une double condition. 

Elle doit, d’une part, être justifiée par un impérieux motif d'intérêt général. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’intervention du législateur par le biais d’une loi rétroactive porte en soi atteinte à l’article 6, § 1 de la Convention  lorsqu’elle a pour objectif d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige, à moins que cet objectif soit justifié par d’impérieux motifs d’intérêt général (CEDH 28 oct.1999, Zielinski c./ France, préc.). La Cour de cassation (Cass., ass. plén., 24 janv. 2003, n° 01-41.757) et le Conseil d’État (CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522) empruntent cette analyse pour apprécier l’existence de tels motifs dont la caractérisation échappe aux critères strictement juridiques et abstraits pour reposer davantage sur des considérations politiques qui la rendent nécessairement subjective. 

D’autre part, l'atteinte causée par la loi rétroactive aux droits des justiciables, doit être proportionnée au motif impérieux d'intérêt général poursuivi. En effet, le contrôle judiciaire ne se borne pas au respect de l’article 6, § 1 : s’il résulte d’une disposition rétroactive une atteinte au droit des justiciables au respect de leurs biens (Protocole additionnel n° 1 à la Conv. EDH, art. 1er), celle-ci doit être proportionnée au motif d’intérêt général qu’elle permet d’atteindre (CEDH 6 oct. 2005, Draon et Maurice, n° 1513/03).

Si les lois de validation sont généralement justifiées par des considérations d’intérêt général (remédier à l’abrogation accidentelle d’un texte, mettre fin à une divergence de jurisprudence, corriger une inadvertance du législateur…), certaines apparaissent davantage motivées par les intérêts financiers de l’État, de groupes de pression, ou d’associations… Or le seul intérêt financier d’une loi de validation ne saurait suffire à caractériser un motif impérieux d’intérêt général. En l’espèce, l’article de loi litigieux avait  précisément pour seul et unique but de renforcer le financement de l’association dont l’équilibre financier n’était pas, par ailleurs, particulièrement menacé par l’éventuel contentieux qui était susceptible de naître en conséquence de l’illégalité des actes administratifs en cause. Le motif poursuivi n’avait donc rien d’ « impérieux » pour l’intérêt général. La jurisprudence s’était déjà prononcée en ce sens. Ainsi, le Conseil d’État avait jugé que l’objectif contenu par une loi de validation, consistant à garantir l’équilibre financier d’une caisse de retraite, ne suffisait pas à caractériser un motif impérieux d’intérêt général justifiant une atteinte au droit au procès équitable (CE 8 févr. 2007, préc.). En revanche, lorsque l’objectif poursuivi par le législateur est de garantir l’équilibre financier et de préserver la pérennité d’un service public, comme celui des transports en commun, ce dernier constitue un motif impérieux d’intérêt général justifiant l’atteinte portée au principe de prééminence du droit et au droit au procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention (Civ. 2e, 18 déc. 2014, n° 13-26.350).

Civ. 1re, 27 juin 2018, n°17-21.850

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

Droit à un procès équitable 

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

Article 7

Pas de peine sans loi

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

■ Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme

Article 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Article 8

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

■ Civ. 3e, 21 janv. 1971, n° 70-10.543

■ Cons. const. 18 déc. 2001, n° 2001-453 DCD. 2002. 1953, obs. D. Ribes ; Dr. soc. 2002. 191, note X. Prétot

■ Civ. 1re, 20 juin 2000, n° 98-19.319: D. 2000. 341, obs. C. Rondey ; RFDA 2000. 1189, concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 1201, obs. B. Mathieu ; RTD civ. 2000. 670, obs. N. Molfessis ; ibid. 676, obs. R. Libchaber

■ CEDH 28 oct.1999, Zielinski c./ France, n° 24846/94AJDA 2000. 526, chron. J.-F. Flauss ; D. 2000. 184, obs. N. Fricero ; RFDA 2000. 289, note B. Mathieu ; ibid. 1254, note S. Bolle ; RTD civ. 2000. 436, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 439, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 629, obs. R. Perrot

■ Cass., ass. plén.,  24 janv. 2003, n° 01-41.757 P: D. 2003. 1648, note S. Paricard-Pioux ; Dr. soc. 2003. 373, rapp. J. Merlin ; ibid. 430, obs. X. Prétot ; ibid. 767, obs. J. Barthélémy ; RFDA 2003. 470, note B. Mathieu ; RDSS 2003. 306, note D. Boulmier

■ CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522 A:  D. 2007. 659; ibid. 1214, chron. G. Clamour ; RFDA 2007. 361, concl. L. Derepas ; ibid. 525, note D. Pouyaud ; ibid. 789, note M. Canedo-Paris ; RTD civ. 2007. 297, obs. J.-P. Marguénaud

 CEDH 6 oct. 2005, Draon et Maurice, n° 1513/03 : AJDA 2005. 1924, obs. M.-C. Montecler ; D. 2006. 1200, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; RDSS 2006. 149, obs. P. Hennion-Jacquet ; RTD civ. 2005. 743, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 798, obs. T. Revet

■ Civ. 2e, 18 déc. 2014, n° 13-26.350D. 2015. 78

 

Auteur :M. H.


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