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[ 29 juin 2023 ] Imprimer

Contrats spéciaux

Marché à forfait : refus de l’acceptation tacite des travaux supplémentaires

Dans un marché à forfait, le silence gardé par le maître de l’ouvrage à réception du mémoire définitif de l’entreprise ou le non-respect par celui-ci de la procédure de clôture des comptes ne vaut pas acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont celui-ci réclame le paiement.

Civ. 3e, 8 juin 2023, n° 22-10.393 B

Un maître d’ouvrage avait confié à un entrepreneur l'exécution de travaux de construction d'un immeuble à usage d'habitation. Ce dernier avait réalisé des travaux supplémentaires dont il réclama le paiement. Contestant y avoir consenti, le maître de l’ouvrage refusa de lui régler le supplément de prix demandé. La cour d’appel l’y condamna toutefois au motif que les parties s’étant soumises, conformément au marché conclu, à la procédure d'établissement du décompte définitif définie par une norme professionnelle et incluant le coût de ces travaux supplémentaires, le maître de l’ouvrage était, à défaut d’avoir répondu dans le délai de trente jours dont il disposait pour accepter ou refuser les observations de l'entreprise, réputé avoir accepté le solde du prix des travaux chiffré par cette dernière. Devant la Cour de cassation, le maître de l’ouvrage arguait que dans le cadre d'un marché de construction à forfait, l’absence de contestation conforme à la procédure de clôture des comptes ne peut valoir acceptation tacite des travaux supplémentaires. Marquant son adhésion à la thèse du pourvoi, la troisième chambre civile casse l’arrêt d’appel au visa de l'article 1793 du Code civil. En application de ce texte, lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un ouvrage, il ne peut réclamer le paiement de travaux supplémentaires que si ces travaux ont été préalablement autorisés par écrit et leur prix préalablement convenu avec le maître de l'ouvrage ou si celui-ci les a acceptés de manière expresse et non équivoque, une fois réalisés. Or la procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties ne peut prévaloir sur la qualification donnée au contrat. Il en résulte que, dans un marché à forfait, le silence gardé par le maître de l'ouvrage à réception du mémoire définitif de l'entreprise ou le non-respect par celui-ci de la procédure de clôture des comptes ne vaut pas acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont celle-ci réclame le paiement. L’entrepreneur se trouvait donc contraint de se satisfaire du prix forfaitaire initialement convenu.

L’arrêt rapporté illustre l’intangibilité du prix forfaitaire. Déterminé à l’avance de façon globale et définitive, le prix du marché à forfait est en principe insusceptible de révision même dans le cas, très fréquent en pratique, où des travaux imprévus rendent l’exécution du marché plus coûteuse pour l’entrepreneur : celui-ci ne peut pas, en principe, réclamer une augmentation du prix. Le prix forfaitaire est intangible et met donc les risques de l’exécution à la charge de l’entrepreneur. Par exception toutefois, l’article 1793 du Code civil prévoit, en matière de construction immobilière, la possibilité pour l’entrepreneur de demander un supplément de prix lorsque des travaux supplémentaires, non inclus dans le forfait initial, ont dû être réalisés. Exigeant la réunion de plusieurs conditions, l’obtention par l’entrepreneur d’une rémunération supplémentaire suppose que les travaux correspondants aient été effectivement commandés par le maître d’ouvrage et que celui-ci ait donné par écrit, sous la forme d’un avenant au contrat d’entreprise initial exprimant son acceptation expresse, son accord portant tant sur le principe de réalisation desdits travaux que sur leur prix. Le texte de l’article 1793 déroge ainsi au droit commun du prix forfaitaire stipulé dans le contrat d’entreprise en ce qu’il impose, par souci de protection du maître de l’ouvrage, un formalisme particulier en cas de convention conclue à l’effet d’octroyer un supplément de prix à l’entrepreneur. Il déroge également au consensualisme du droit commun des contrats. Destinée à garantir l’acceptation expresse et non équivoque du maître de l’ouvrage, l’exigence d’un écrit constitue une véritable règle de forme. Le non-respect de ce formalisme fait l’objet d’une sanction radicale : l’entrepreneur n’a droit à aucun supplément de prix. Contraint de s’en tenir au prix forfaitaire initial, il ne saurait se prévaloir d’un enrichissement sans cause, ni d’une erreur de calcul commise dans le devis initial, ni encore de circonstances imprévisibles.

Toutefois, il demeure possible de pallier le défaut d’accord écrit du maître de l’ouvrage. Une fois réalisés, les travaux supplémentaires peuvent en effet être approuvés par le maître d’ouvrage à la condition, au demeurant essentielle, que son acceptation soit expresse et univoque (v. Civ. 3e, 11 mai 2023, n° 21-24.884 ; 21-25.619, admettant que la notification du décompte définitif par le maître de l’ouvrage, incluant le coût de certains travaux supplémentaires, vaut acceptation expresse et non équivoque des travaux réalisés hors forfait). Comme le confirme l’arrêt rapporté, ce caractère exprès et non équivoque de l’acceptation fait l’objet d’un contrôle serré de la part de la Cour de cassation. Ainsi, la seule connaissance par le maître d’ouvrage des travaux supplémentaires et son absence de réaction à la réception des factures de l’entrepreneur ne permet-elle pas de caractériser un accord exprès et non équivoque du maître d’ouvrage sur la ratification desdits travaux (Civ. 3e, 27 juin 2019, n° 16-25.262). De même, seules les réclamations autres que celles portant sur des travaux supplémentaires non autorisés ni régularisés par le maître de l’ouvrage, mentionnées dans le mémoire définitif sans qu’il use de la faculté de contestation, prévue par la procédure contractuelle de clôture des comptes, sont réputées acceptées tacitement par le maître de l’ouvrage (Civ. 3e, 18 mars 2021, n° 20-12.596). Autrement dit, les réclamations portant sur des travaux supplémentaires, restant strictement soumises à l’approbation expresse et non équivoque du maître de l'ouvrage, ne peuvent faire l’objet d’une acceptation tacite ce que confirme, en l’espèce, la Cour de cassation, en refusant d’admettre que l’absence de contestation prévue à la procédure contractuelle de clôture des comptes puisse valoir acceptation expresse et univoque des travaux réalisés hors forfait. La ratification tacite des travaux supplémentaires est donc exclue, la dérogation à l’intangibilité du prix forfaitaire faisant l’objet d’une interprétation stricte. Ce qui explique la méticulosité du contrôle opéré par la Cour de cassation, dans un but de protection du maître de l’ouvrage, auquel il ne peut être réclamé un supplément de prix qu’à la condition de caractériser avec certitude son acceptation des travaux réalisés en supplément de ceux initialement commandés.

Références :

■ Civ. 3e, 11 mai 2023, n° 21-24.884 ; 21-25.619 B

■ Civ. 3e, 27 juin 2019, n° 16-25.262

■ Civ. 3e, 18 mars 2021, n° 20-12.596 P D. 2021. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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