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[ 3 octobre 2016 ] Imprimer

Droit pénal général

Non bis in idem : cumul possible de poursuites pénales et disciplinaires

Mots-clefs : Non bis in idem, Poursuite pénale, Poursuite disciplinaire, Cumul des poursuites

La chambre criminelle estime que le cumul des poursuites pénales et disciplinaires pour les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes ne porte pas atteinte au principe de nécessité des délits et des peines.

A l’occasion de son pourvoi dirigé contre l’arrêt l’ayant condamné pour escroquerie, la prévenue, chirurgien-dentiste, saisit la chambre criminelle d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité « au principe de nécessité des délits et des peines et son corollaire, le principe non bis in idem » des dispositions des articles 313-1313-7 et 313-8 du Code pénal, L. 4124-6 du Code de la santé publique et L. 145-2 du Code de la sécurité sociale, qui permettent qu’une personne puisse faire l’objet, pour les mêmes faits, de poursuites et de sanctions à la fois devant les juridictions pénales, devant les chambres disciplinaires de l'ordre des chirurgiens-dentistes ainsi que devant les sections des assurances sociales des chambres disciplinaires de première instance et du conseil national de l'ordre.

Dans son arrêt, la chambre criminelle estime que si l’article L. 145-2 du Code de la sécurité sociale a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013, l'article L. 4124-6 du Code de la santé publique ne figure que dans les motifs de la décision et qu'en outre, les désormais célèbres décisions « EADS » et « Oberthur » du 18 mars 2015 (n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC) et « Cahuzac » et « Wildenstein » du 24 juin 2016 (n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC) constituent un changement de circonstances de droit permettant d’envisager la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés constitutionnellement garantis. Ces quatre décisions QPC, rappelons-le, ont jugé que le cumul de l'application de dispositions instituant des sanctions, lorsque celles-ci sont infligées à l'issue de poursuites différentes en application de corps de règles distincts, peut, dans certaines circonstances, méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines.

Examinant les dispositions déférées, « appartenant à des corps de règles distincts », la Haute Cour note que celles-ci permettent qu’« un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme (…), pour les mêmes faits, fa[sse] l'objet de poursuites devant deux juridictions ordinales différentes, en vue du prononcé de sanctions disciplinaires, ainsi que de poursuites pénales lorsque les faits commis ont eu pour objet de tromper, par des manœuvres frauduleuses, des organismes d'assurance-maladie pour en obtenir des sommes indues ».

Relevant ensuite qu’en vertu des décisions du Conseil constitutionnel du 24 juin 2016, « le principe de nécessité des délits et des peines implique (…) qu'une même personne ne puisse faire l'objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux », elle estime que les articles L. 145-2 du Code de la sécurité sociale et L. 4124-6 du Code de la santé publique ne protègent pas les mêmes intérêts sociaux (le premier permettant à l’autorité ordinale compétente de veiller au « maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine » et à l’observation des devoirs professionnels et des règles déontologiques ; le second visant, dans le cadre du contentieux du contrôle technique, la recherche et le redressement de tout abus professionnel commis au préjudice de la sécurité sociale), et que les intérêts protégés par le délit d’escroquerie (atteinte frauduleuse aux biens susceptible d’être commise par n’importe quel justiciable) ne sont pas non plus identiques. Elle en déduit l’absence d’atteinte au principe de nécessité des délits et des peines, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel, et de caractère sérieux de la question (V. déjà, à propos d’un notaire, Civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 14-50.012).

La maxime non bis in idem ou ne bis in idem (« pas deux fois pour la même chose ») désigne traditionnellement l’interdiction d’engager des poursuites envers une personne qui a déjà fait l’objet d’une décision définitive à propos des mêmes faits. Elle est consacrée par plusieurs conventions internationales auxquelles la France est partie (not. l’art. 4 du protocole additionnel n° 7 à la Conv. EDH) et se trouve prévue à l’article 6 du Code de procédure pénale (qui fait de la chose jugée une cause d’extinction de l’action publique). Des questions se posent quant au périmètre de cette règle (qui n’empêche de nouvelles poursuites qu’en cas d’une triple identité d’objet, de parties et de cause ; V. C. civ. ancien art. 1353 ), notamment si l’on considère le vaste champ de la « matière pénale » de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dépasse le cadre du droit pénal stricto sensu pour inclure les sanctions prononcées par des institutions administrative et celles prononcées par d’autres juges que le juge pénal (V. CEDH, 10 févr. 2009, Zolotoukhine c/ Russie ; CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie ; CEDH 27 nov. 2014, Lucky Dev c/ Suède, n° 7356/10).

A l’instar du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, ne se fonde pas sur ce principe (qui n’a pas rang constitutionnel) mais sur celui de nécessité des délits et des peines (DDH, art. 8) mais il n’empêche que l’ombre de non bis in idem plane bien sur toute la jurisprudence évoquée.

On rappellera que les décisions « EADS » et « Oberthur » ont censuré le cumul de procédures pour délit d’initié (devant les juridictions pénales) et manquement d’initié (devant l’Autorité des marchés financiers), conduisant à l’adoption de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché, laquelle consacre désormais l’impossibilité de cumuler poursuites et sanctions pénales et administratives en matière boursière. Quant aux décisions « Cahuzac » et « Wildenstein », elles ont, au contraire, jugé conforme à la Constitution l’application combinée des dispositions contestées des articles 1729 et 1741 du Code général des impôts en matière de fraude fiscale, sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé des deux sanctions (V. déjà en ce sens, Cons. const. 28 juill. 1989, n° 89-260 DC ; Cons. const. 13 mars 2014, n° 2014-690 DC ; Cons. const. 24 oct. 2014, n° 2014-423 QPC) et que les dispositions de l’article 1741 du Code général des impôts ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt.

Crim. 27 juill. 2016, n° 16-80.694

Références

■ Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, AJDA 2015. 553, ibid. 2015. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D. 2015. 894, note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; ibid. 874, point de vue O. Décima ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 172, étude C. Mauro ; ibid. 179, étude J. Bossan ; ibid. 182, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015. 374, obs. F. Stasiak ; ibid. 705, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2015. 317, obs. N. Rontchevsky.

■ Cons. const. 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPCDalloz actualité 27 juin 2016, obs. J. Gallois ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville, D. 2016. 1372 ; ibid. 1836, obs. C. Mascala.

■ Civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 14-50.012 P, D. 2015. 1192, note O. Décima ; ibid. 1187, avis J.-P. Sudre ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail.

■ CEDH, gr. ch., 10 févr. 2009, Zolotoukhine c/ Russie, n° 14939/03, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; D. 2009. 2014, note J. Pradel ; RSC 2009. 675, obs. D. Roets.

■ CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens c/ Italie, n° 18640/10, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d'Ambrosio et D. Vozza.

■ CEDH 27 nov. 2014, Lucky Dev c/ Suède, n° 7356/10.

■ Cons. const. 28 juill. 1989, n° 89-260 DC.

■ Cons. const. 13 mars 2014, n° 2014-690 DC, AJDA 2014. 589 ; D. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; Constitutions 2014. 166, chron. P. Bachschmidt ; ibid. 169, chron. P. Bachschmidt ; RTD com. 2014. 163, obs. D. Legeais.

■ Cons. const. 24 oct. 2014, n° 2014-423 QPC, AJDA 2014. 2097 ; D. 2014. 2116 ; ibid. 2015. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; Constitutions 2014. 492, chron. O. Le Bot.

■ Protocole n° 7 du 22 novembre 1984, à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Article 4

« Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois. 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. 

2. Les dispositions du paragraphe précédent n'empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l'État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n'est autorisée au présent article au titre de l'article 15 de la Convention. »

■ Déclaration des droits de l’homme de 1789

Article 8

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à: 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

 

Auteur :S. L.


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