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Droit de la famille
Nullité du mariage bigame : la prescription de trente ans court toujours !
Mots-clefs : Mariage, Bigamie, Action en annulation, Prescription, Délai
La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l’action en nullité absolue du mariage.
Le mariage est pour tous et parfois même à plusieurs…
En l’espèce, une veuve assigne l’ancienne femme de son défunt mari en annulation du mariage que ces derniers avaient célébré le 18 juin 1964, au motif que celui-ci était bigame ; en effet, à cette date, le défunt était déjà marié à une première épouse, dont il avait divorcé trois ans plus tard. En appel, la demanderesse, et troisième épouse du défunt, voit son action rejetée : la prescription trentenaire applicable, qui court à compter de la célébration du mariage, emporte l’irrecevabilité de son action, prescrite.
La veuve forme alors un pourvoi en cassation, au soutien duquel elle conteste l’application, en l’espèce, de la prescription trentenaire. Elle fait d’abord valoir que l’action en nullité du mariage pour bigamie n’étant enfermée, jusqu’à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 réformant la prescription, dans aucun délai spécifique, la prescription trentenaire désormais prévue ne pouvait courir que du jour de l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle. Elle soutient, ensuite, qu’à supposer ce délai applicable avant l’entrée en vigueur de la loi en cause, il n’était pas susceptible de courir dès lors qu’elle avait été dans l’impossibilité d’agir jusqu’en 1979, date à laquelle elle put prendre effectivement connaissance du mariage litigieux, en sorte que le point de départ du délai dût être reporté à cette date.
Son pourvoi est néanmoins rejeté au motif, d’une part, que la loi invoquée « a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l’action en nullité absolue du mariage » et, d’autre part, que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir par suite d’un empêchement légal, conventionnel, ou de force majeure, « ne s’applique pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription » ; or, en l’espèce, la demanderesse avait bien eu la possibilité de découvrir la situation matrimoniale antérieure de son époux, traduite sur son acte de naissance, lors de son mariage avec lui.
La bigamie, qui suppose qu’un second mariage soit contracté avant la dissolution du premier, est l'une des causes les plus fréquentes de nullité. Comme le rappelle la décision rapportée, l’action en annulation obéit à des conditions assez souples. Ainsi peut-elle être exercée même après la mort de l'un des époux (Paris, 1er août 1918), sauf par le ministère public qui, lui, ne peut agir que du vivant des époux (Crim. 29 mai 1846 ; Civ. 1re, 6 mai 2009 : « La recevabilité d'une action en nullité ou en inopposabilité d'un mariage est subordonnée à la mise en cause des deux époux »). Seule est prise en compte la date de célébration du second mariage, d’où l’indifférence des juges, en l’espèce, à la dissolution ultérieure, par divorce, du mariage litigieux. De surcroît, le cercle des personnes autorisées à agir est large : outre les époux eux-mêmes, dont celui à l’origine de la bigamie, l’action en nullité est ouverte à tous ceux qui y ont intérêt (parents collatéraux, enfants nés d’un autre mariage, créanciers, etc., et plus spécialement, à l’époux au préjudice duquel un second mariage a été contracté, s’il prouve la lésion d’un intérêt pécuniaire ou moral.
En l’espèce, la demanderesse avait un intérêt à agir évident : elle voulait échapper aux conséquences pécuniaires du divorce ayant été prononcé entre son mari et sa première épouse, charges susceptibles de peser sur la succession à laquelle elle était, en qualité de conjoint survivant, intéressée au premier plan. Si son intérêt à agir n’était pas discutable, son action fut néanmoins jugée irrecevable comme prescrite. Sur ce point, l'article 184 du Code civil précise que : « Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration (…) ». Or en l’espèce, l’action intentée sur le fondement de l’article 147 du Code, 45 ans après la célébration du mariage contestée était, a priori, prescrite. Ainsi la loi du 17 juin 2008 ayant réformé le droit de la prescription a-t-elle laissé inchangée la prescription trentenaire par principe applicable à tous les cas de nullité du mariage énumérés dans l'article 184 précité. À l'expiration d'un délai de trente ans après la célébration du mariage, l'action en nullité n'est donc plus recevable. Cette prescription trentenaire relève du droit commun des nullités absolues (v. C. civ., art. 191), en l’espèce applicable. En effet, intéressant l’ordre public, la nullité encourue en cas de bigamie revêt un caractère absolu. Au-delà du délai de prescription, la nullité absolue sanctionnant ce type d’unions emporte plusieurs conséquences, notamment celle de lier le juge comme les époux : alors que le premier, privé de tout pouvoir d’appréciation, doit impérativement prononcer la nullité d’un mariage bigame, les seconds se voient empêchés de toute régularisation a posteriori. Notons cependant qu’en application des règles du droit international privé, un mariage bigame régulièrement célébré à l’étranger est valable en France et peut y produire effet.
Civ. 1re, 29 mai 2013, n°12-15.001
Références
■ Paris, 1er août 1918, Dalloz, jurispr. gén., V° Mariage, n° 524.
■ Crim. 29 mai 1846, DP 1846, 4, 463.
■ Civ. 1re, 6 mai 2009, n°07-21.826, RTD civ. 2009. 509, note Hauser.
■ Code civil
« On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »
« Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public. »
« Tout mariage qui n'a point été contracté publiquement, et qui n'a point été célébré devant l'officier public compétent, peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par les époux eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public. »
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