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[ 8 novembre 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Optimisme et optimisation fiscale : pas droit à l’erreur !

L’erreur sur le prix du contrat n’est prise en compte qu’à la condition que ce prix constitue une qualité substantielle, ce qui ne peut être le cas d’un prix indicatif, aléatoire et extérieur à la volonté des parties.

Dans le cadre d’une opération d’optimisation fiscale portant sur l’achat et l’exploitation d’une centrale photovoltaïque, visant à leur permettre de percevoir des revenus issus de la revente, auprès d’EDF, de l’électricité produite, un couple avait constitué une société. Celle-ci avait acquis, le jour même de sa création, des panneaux photovoltaïques auprès d’une société lui ayant à cette fin consenti, avec l’aide d’une seconde société, un crédit-fournisseur. A la même date, la société d’exploitation avait vendu sa centrale moyennant le paiement du solde avec un crédit-fournisseur, ainsi qu’une offre de crédit-vendeur. Trois ans plus tard, le couple d’exploitants avait notifié aux deux sociétés l’annulation de leur opération contractuelle ; l’une de ces sociétés avait néanmoins mis en demeure les exploitants de signer sous huitaine le contrat d’achat d’énergie électrique qu’ils avaient conclu, ce contrat bénéficiant de l’obligation de rachat d’électricité. Invoquant une erreur ayant vicié leur consentement lors de la signature des contrats, les exploitants, ainsi que leur société, avaient assigné leurs cocontractants en annulation desdits contrats. 

La cour d’appel accueillit leur demande au motif que le caractère simplement indicatif du prix envisagé au moment de la signature de ces contrats « n’avait pas été indiqué aux époux (…) de façon suffisamment claire alors qu’il s’agissait d’une information déterminante pour la société d’exploitation ». 

Au visa de l’ancien article 1110 du Code civil, la Cour de cassation casse cet arrêt, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir précisé « en quoi le caractère fixe du prix de rachat de l’électricité indiqué dans l’offre de crédit-fournisseur et le contrat d’exploitation constituait une qualité substantielle de la prestation objet de chacun de ces contrats ».

Pour justifier la nullité du contrat, l’erreur doit porter sur la substance de la chose objet du contrat, c’est-à-dire sa matière, ou du moins sur l’une des qualités substantielles en considération desquelles les parties ont contracté. En toute hypothèse, elle suppose l’existence d’une discordance entre une croyance et la réalité. Sous ce premier aspect, la cassation de l’arrêt d’appel était déjà encourue. En effet, dans les deux contrats litigieux, l’absence de fixité du prix était clairement mentionnée, le premier stipulant que les calculs formant la base de son évaluation étaient fournis « à titre indicatif et ainsi non contractuel », le second se contentant d’indiquer de façon elliptique un tarif approximatif, sans mention du risque, qui s’était en l’espèce produit, d’une diminution de ce tarif. Le prix n’ayant ainsi fait l’objet, que ce soit dans le contrat d’exploitation ou dans l’offre, signée le même jour, du crédit fournisseur, que d’une simple estimation, la croyance qu’aurait pu avoir le couple dans le caractère intangible et définitif du prix qui leur était proposé, à titre purement indicatif, ne pouvait donc être raisonnablement soutenue.

En outre, l’adage en vertu duquel « l’aléa chasse l’erreur » trouvait ici une parfaite illustration : le prix contractuel, dépendant du prix de rachat du kilo watt par EDF, susceptible de varier chaque année et fixé par décret, était par essence aléatoire. Les deux contrats en avaient d’ailleurs, par précaution, fait mention, une clause du contrat d’exploitation relatif à la rentabilité « théorique » de celle-ci précisant expressément que les calculs de rentabilité ne pouvaient être fournis qu’en référence au dernier prix de rachat fixé par arrêté et que le revenu brut était « conditionné par l’indexation des revenus par EDF », de même qu’un article des conditions générales de l’offre de crédit-fournisseur spécifiait que, calculé en fonction d’une production et de recettes dépendant du prix de rachat fixé par EDF, lequel varie tous les ans, l’échéancier ne pouvait être que « variable et théorique ». Or l’existence d’un aléa, lorsque celui-ci est entré dans le champ contractuel, est exclusive de l’erreur sur la qualité de la prestation objet de la convention ; les conventions litigieuses ayant expressément intégré l’aléa de l’évolution du prix dans le champ contractuel, l’erreur prétendument commise sur ce prix se trouvait donc également, à ce titre, évincée. 

Elle devait enfin être écartée en application de la règle selon laquelle l'erreur sur un motif extérieur au contrat n'est pas une cause de nullité de celui-ci (v. pour une dernière illustration, Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.096 et 16-24.108). Ainsi, quand bien même le couple d’exploitants aurait été fondé à croire que le prix indiqué resterait en vigueur, ce prix de rachat était resté extérieur à la volonté des parties, et singulièrement des sociétés demanderesses, puisque ce prix est fixé par voie réglementaire. Ainsi ces sociétés n’avaient-elles pas à supporter le risque de la déception de leurs cocontractants, ce qui fonde généralement le principe d’indifférence à l’erreur commise sur un motif extérieur à l’objet du contrat, qui ne constitue qu’un mobile propre à l’une de ses parties. Pour que l’objectif qu’elle poursuit, non atteint, soit pris en compte, encore faut-il qu’il ait, ab initio, été conjointement érigé par les parties comme un élément essentiel du contrat, ce qui n’était pas, en l’espèce, le cas, faute d’avoir été l’objet d'une stipulation expresse ayant intégré au contrat le motif poursuivi par la victime de l’erreur, ici, l’optimisation fiscale escomptée. L’erreur ayant donc seulement porté sur un avantage objectivement extérieur à son objet, elle restait en l’occurrence une pure erreur sur un motif du contrat, dont l’annulation ne pouvait alors être obtenue.

Com. 2 oct.2019, n° 17-14.423

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Erreur (contrat)

 Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.096 et 16-24.108 P: D. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2018. 143

 

Auteur :Merryl Hervieu


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