Actualité > À la une

À la une

[ 28 novembre 2023 ] Imprimer

Droit de la famille

Partage lésionnaire : retour sur les modalités d’appréciation

Pour apprécier le caractère lésionnaire d’un partage, la Cour de cassation rappelle la nécessité de reconstitution totale de la masse à partager suivant la valeur de tous les éléments actifs et passifs estimés, leur valeur à la date du partage ainsi que la prise en compte de la créance détenue par un indivisaire sur l’indivision au titre de travaux effectués sur l’immeuble indivis, dont l’évaluation doit reposer sur les modalités prévues par de l’article 815-13 et non selon le montant nominal des dépenses faites retenu par les parties dans l’acte de partage litigieux. 

Civ. 1re, 25 oct. 2023, n° 21-25.051

Faisant exception au principe de validité des actes lésionnaires, la nature intrinsèquement égalitaire du partage justifie l’admission de sa rescision pour cause de lésion. En effet, depuis 1804, le code civil offre à celui des copartageants qui s’estimerait lésé la possibilité d’engager une action en rescision s’il subit une lésion de plus du quart de sa part dans le partage (C. civ., art. 889 s.). Encore faut-il caractériser avec certitude le caractère lésionnaire du partage, ce dont témoigne la décision rapportée.

En juin 2003, un couple jusqu’alors marié sous le régime de la séparation des biens obtient un jugement de divorce. Le couple ayant acquis un immeuble en indivision, il conclut, le 28 octobre 2003, un acte de partage. Cet acte attribue expressément l’immeuble indivis à l’ex-mari, moyennant le paiement d’une soulte à son ex-femme. En outre, la coïndivisaire reconnaît dans cet acte l’existence d’une créance due à l’indivision au titre de travaux de réhabilitation de l’immeuble financés grâce aux deniers personnels de son ex-mari. Un an plus tard, ce dernier vend l’immeuble à un prix très largement supérieur à la valeur du bien retenue dans l’acte de partage. S’estimant lésée, son ex-épouse l’assigne alors en rescision. La cour d’appel fait droit à sa demande. Libres dans leur appréciation de la lésion (Civ. 1re, 13 avr. 1988, n° 86-17.736), les juges du fond retiennent en l’espèce le caractère lésionnaire du partage de l’immeuble indivis, son évaluation devant s’apprécier en fonction du montant de la créance détenue sur l’indivision tel qu’il avait été déterminé dans l’acte de partage par les parties. En l’occurrence, les ex-époux avaient retenu la valeur nominale des dépenses exposées pour les travaux de réhabilitation. Or, la valeur du bien à la date du partage étant supérieure de près du quart au prix convenu, la lésion devait être reconnue et l’ex-époux, condamné à verser un supplément à l’acte de partage. Ce dernier se pourvoit alors en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir violé l’article 815-13 du Code civil en caractérisant ainsi la lésion sur la base de l’évaluation nominale de sa créance à l’encontre de l’indivision, alors que la lésion suppose d’apprécier l’ensemble des éléments, actifs comme passifs, composant la masse partageable suivant leur valeur à la date du partage. Il estime en ce sens que le caractère d’ordre public de la rescision pour lésion du partage (Civ., 2 juin 1897, DP 1897.1.384) empêche les copartageants de renoncer à l’appréciation des créances respectives au jour du partage selon la plus-value apportée au bien. Ainsi, la Cour de cassation était-elle appelée à définir les modalités d’appréciation du caractère lésionnaire du partage. Ce faisant, elle censure la décision d’appel au visa des articles 815-13, alinéa 1er887, alinéa 2, et 890 du Code civil (ces deux derniers dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006). Elle rappelle que « pour apprécier le caractère lésionnaire d’un partage, il convient d’avoir égard à la liquidation et au règlement d’ensemble des droits des copartageants, en reconstituant, à la date de l’acte litigieux, la masse à partager dans tous ses éléments actifs et passifs estimés suivant leur valeur à l’époque du partage » (§ 5). Cette nécessité de prendre en compte l’ensemble des droits des copartageants n’est pas nouvelle (Civ.1re, 18 déc. 1990, n° 89-10.396 ; Civ.1re, 16 juin 2011, n° 10-18.562). Pour apprécier au plus juste le caractère potentiellement lésionnaire du partage, il convient en effet de reconstituer au préalable l’intégralité de la masse partageable. Dans cette perspective, il s’agit d’identifier non seulement les biens indivis mais également les créances dont chacun des indivisaires est respectivement créancier ou débiteur à l’encontre de l’indivision. Aussi bien, concernant un bien indivis, il est nécessaire de se référer à sa valeur réelle au jour du partage, ce qui permet de prendre en compte l’évolution de la valeur du bien, soit l’éventualité d’une plus-value. Or la plus-value dont profite l’indivision peut être, ainsi qu’en l’espèce, le résultat d’un investissement personnel de l’un des indivisaires. Il bénéficie, en ce cas, d’une créance admise à l’encontre de l’indivision.

Ainsi, la Cour poursuit-elle son argumentation en précisant que dans la mesure où un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage (§ 6). On reconnaît ici les termes de l’article 815-13 du Code civil, texte qui reconnaît au coïndivisaire, dans cette hypothèse, l’existence d’une créance à l’encontre de l’indivision et le droit corrélatif d’en demander l’indemnisation, correspondant à la plus-value conférée au bien grâce aux travaux financés par ses deniers personnels. Aussi, « pour apprécier le caractère lésionnaire du partage, la créance détenue par [l’indivisaire] sur l’indivision devait être évaluée selon les modalités prévues à l’article 815-13 du Code civil » (§ 8). L’applicabilité de ce texte à l’évaluation de la créance détenue par un indivisaire sur l’indivision au titre de travaux effectués sur le bien indivis suppose de tenir compte des modalités qu’il prévoit, à l’exclusion donc de celles retenues par les parties. Les juges doivent alors rechercher si les travaux d’amélioration réalisés par un seul indivisaire à l’aide de ses deniers personnels n’ont pas entraîné une augmentation de la valeur de l’immeuble indivis (Civ. 1re, 15 mai 2008, n° 07-17.645). En l’espèce, la reconstitution de la masse à partager devait donc intégrer la créance évaluée en tenant compte de la plus-value générée, conformément au texte précité, lequel ne pouvait être écarté au motif que l’indivisaire y avait renoncé dans l’acte de partage remis en cause. Autrement dit, l’épouse ne pouvait arguer de la lésion pour remettre en cause l’acte de partage dont elle voulait, dans le même temps, maintenir certaines stipulations à l’effet de caractériser son caractère prétendument lésionnaire.

Par exception reconnue, l’action fondée sur la lésion contre un acte de partage n’est donc pas systématiquement sanctionnée. La Cour de cassation opère un contrôle serré sur sa caractérisation, qui repose sur des modalités légales d’appréciation que les parties ne peuvent évincer. Ainsi, avec cette décision, le caractère impératif du régime de l’action fondée sur la lésion se durcit.

Références :

■ Civ. 1re, 13 avr. 1988, n° 86-17.736 

■ Civ., 2 juin 1897 : DP 1897.1.384

■ Civ.1re, 18 déc. 1990, n° 89-10.396 

■ Civ.1re, 16 juin 2011, n° 10-18.562 D. 2011. 1756

■ Civ. 1re, 15 mai 2008, n° 07-17.645 : AJ fam. 2008. 253, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2008. 515, obs. T. Revet

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr