Actualité > À la une

À la une

[ 9 avril 2015 ] Imprimer

Droit administratif général

Pâtisserie et dignité de la personne humaine

Mots-clefs : Référé liberté, Procédure d’urgence, Atteinte à une liberté fondamentale, Dignité de la personne humaine, CRAN, Boulangerie, Gâteaux, Pâtisserie, Personnages africains

Il y a urgence à retirer de la vitrine d’une boulangerie des pâtisseries portant atteinte à la dignité de la personne humaine.

Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice, en application de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (référé « liberté »), afin qu’il soit enjoint au maire de Grasse de prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires afin que ne soit plus exposées dans la vitrine d’une boulangerie du centre-ville des pâtisseries en chocolat noir représentant de façon caricaturale et obscène un couple de personnes de couleur noire, nommées « Dieu » et « Déesse », les appareils génitaux de ces figurines étant mis en évidence par l’emploi d’un colorant rose.

Le 26 mars 2015, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice fait droit à la demande du CRAN. En effet, l’exposition de ces figurines (pâtisseries présentes depuis plusieurs années dans la vitrine de la boulangerie) porte atteinte, et cela même en l’absence de volonté malveillante de leur créateur, à la dignité de la personne humaine et plus particulièrement à celle des personnes africaines ou d’ascendance africaine. Le fait que le maire de Grasse se soit abstenu de prendre, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative qu’il tient de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, une mesure permettant de faire cesser l’exposition de ces pâtisseries, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la sauvegarde d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. La gravité de cette atteinte, son caractère concret et continu permettent au juge des référés de constater que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé de mesures sur le fondement du référé « liberté » est remplie en l’espèce.

Il s’ensuit que le maire de Grasse est mis en demeure d’interdire, sous astreinte de 500 € par jour de retard, l’exposition dans la vitrine de la boulangerie des figurines litigieuses. Cette interdiction ne concerne ni leur fabrication ni leur vente.

L’usage de la notion de dignité de la personne humaine par le juge administratif présente ainsi des formes variées : lancer de nains (CE, ass., 27 oct. 1995Cne de Morsang-sur-Orge), interdiction de spectacle (CE, ord., 10 janv. 2014SARL Les Productions de la Plume, Dieudonné M'Bala M'Bala) ou pâtisseries obscènes et caricaturales…

 

TA Nice, 26 mars 2015, CRAN, req. n° 1501179

 

Références

■ CE, ass., 27 oct. 1995Cne de Morsang-sur-Orge, req. n° 136727, Lebon ; RFDA 1995. 1204, concl. Frydman.

■ CE, ord., 10 janv. 2014SARL Les Productions de la Plume, Dieudonné M'Bala M'Bala, req. n° 374528, Dalloz Actu Étudiant 13 janv. 2014 AJDA 2014. 129, obs. Seiller.

■ Code de justice administrative

Article L. 521-1

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »

Article L. 521-2

« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

■ Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales

« La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ;

2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;

3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ;

4° L'inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids ou à la mesure et sur la salubrité des comestibles exposés en vue de la vente ;

5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ;

6° Le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les personnes atteintes de troubles mentaux dont l'état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés ;

7° Le soin d'obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces. »

 

Auteur :C. G.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr