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[ 1 juillet 2020 ] Imprimer

Droit des personnes

Patrimoine du mineur : les parents n’ont qu’à bien se tenir !

Dans certaines circonstances mettant gravement en péril les intérêts patrimoniaux du mineur, le juge peut soumettre à son autorisation préalable un certain nombre d’actes relevant en principe de la libre gestion du patrimoine de l’enfant par ses parents.

Une femme avait placé des fonds en vue de la constitution d’un patrimoine au profit de son fils sur un compte ouvert au nom du mineur, en sa qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire, étant la seule de ses parents à exercer l’autorité parentale sur l’enfant (NB : inapplicable à la cause, l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 a supprimé la distinction de l’administration légale sous contrôle judiciaire et de l’administration légale pure et simple pour les soumettre à un régime unique, applicable à tous les enfants ayant au moins un parent vivant). Elle avait par la suite prélevé à son profit une partie de ces fonds. Pour cette raison, conjuguée au fait qu’il ’agissait d’un compte représentant une valeur patrimoniale importante, ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire, le juge des tutelles avait, par ordonnance, désigné un administrateur ad hoc pour représenter le mineur, alors âgé de huit ans, qu’il avait chargé d’examiner l’ensemble des comptes détenus par lui auprès d’un organisme bancaire, recenser les éventuels retraits de fonds qui avaient pu être opérés et engager toute action amiable ou contentieuse afin de recouvrer les fonds objets de retraits. La mère ayant ensuite été incarcérée au titre d’une condamnation pour fraude aux prestations sociales, le jeune garçon avait été provisoirement confié à l’ASE du département.

Le procureur de la République avait alors sollicité du juge des tutelles, sur le fondement de l'article 387-1, alinéa 2, du Code civil, la mise en œuvre des mesures de contrôle prévues à l'article 387-3 du même code, afin de protéger le patrimoine du mineur. Selon le premier de ces textes, les actes de disposition les plus graves relatifs aux biens du mineur sont soumis à l’autorisation du juge des tutelles, celle-ci pouvant déterminer, en vertu du deuxième alinéa de l’article 387-1 du Code civil dont le procureur demandait en l’espèce l’application, les conditions dans lesquelles cet acte doit être passé. Et le second de ces textes, dont le procureur demandait également et surtout la mise en œuvre, confère au juge des tutelles la faculté de mettre en place un contrôle renforcé, en soumettant à son autorisation une série d’actes de disposition non énumérés par la loi : « A l'occasion du contrôle des actes mentionnés à l'article 387-1, le juge peut, s'il l'estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine, de l'âge du mineur ou de sa situation familiale, décider qu'un acte ou une série d'actes de disposition seront soumis à son autorisation préalable (al. 1).

Le juge est saisi aux mêmes fins par les parents ou l'un d'eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d'actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci. » (al. 2).

En appel, la cour jugea alors nécessaire d’imposer à la mère l’obligation de solliciter l'autorisation du juge des tutelles pour tout placement de fonds de son fils et tout prélèvement des fonds de celui-ci, à l'exception des comptes ouverts en son nom avec carte de retrait attachée, et de transmettre un compte rendu de gestion annuel au greffier en chef du tribunal de grande instance.

Devant la cour de cassation, la mère reprocha à la juridiction du fond le manque de motivation de sa décision : en « se bornant à énoncer que le patrimoine du mineur était important et complexe, sans donner la moindre indication sur la consistance de celui-ci ni sur la nécessité des mesures prises au regard de ce patrimoine », elle aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 387-3 du Code civil.

La Cour rejette son pourvoi, au motif que le juge saisi sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 387-1 n'a pas à motiver sa décision au regard de la composition ou de la valeur du patrimoine du mineur soumis à son examen. Or la cour d’appel ayant relevé que la désignation d'un administrateur ad hoc avait été ordonnée en raison d'un retrait de fonds non autorisé par le juge des tutelles sur le compte bancaire de l’enfant et que sa mère était incarcérée depuis décembre 2017 au titre d'une condamnation pour fraude aux prestations sociales, en avait à bon droit déduit qu'il convenait de protéger le patrimoine du mineur.

Cette décision illustre les limites des prérogatives parentales quant au patrimoine de l’enfant, plus précisément les restrictions prévues concernant son administration légale. Elle mérite d’être rapportée compte tenu des récentes évolutions apportées en la matière, qui pouvaient laisser craindre un affaiblissement du contrôle judiciaire dans la gestion parentale du patrimoine de l’enfant. En effet, depuis que l’administrateur légal de l’enfant, qu’il soit unique ou conjoint, peut en principe conclure sans autorisation du juge tous les actes relatifs aux biens du mineur, y compris ceux de disposition, cette liberté accrue des parents, en comparaison du droit antérieur à l’ordonnance de 2015, dans l’administration du patrimoine de leur enfant, n’est pas sans risque pour le mineur, dont la possible mise en péril de son patrimoine par ceux certes censés y apporter des « soins prudents, diligents et avisés » (C. civ., art. 385) doit toutefois être envisagée. Comme le rappelle la décision rapportée, la loi continue néanmoins de réserver les actes de disposition les plus dangereux à l’autorisation du juge des tutelles, par exemple pour vendre de gré à gré ou apporter en société un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur, contracter un emprunt en son nom, renoncer pour lui à un droit ou encore accepter purement et simplement une succession lui revenant (C. civ., art. 387-1 ; adde, la nécessité dans l’administration conjointe de recueillir l’accord des deux parents pour la conclusion des actes de disposition, v. C. civ., art. 382 et 382-1). Surtout, comme en témoigne encore la solution ici rendue, le juge peut, dans diverses circonstances, user de la liberté que lui confère la loi pour allonger la liste des actes qui seront soumis à son autorisation préalable, s’il l’estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur (C. civ., art. 387-3, al. 1) que ses parents, par manque de rigueur ou de compétence, ne peuvent à eux seuls efficacement préserver. Et la loi de prévoir enfin un devoir d’alerte auquel est tenu non seulement le ministère public mais également les tiers, prestataires de l’administrateur (banquiers, notaires, notamment), ainsi en droit d’avertir le juge des tutelles des actes ou omissions de l’administrateur légal du mineur qui compromettent manifestement ou obèrent gravement son patrimoine (C. civ., art. 387-3, al. 2). La décision apporte sur ce point la précision à notre connaissance inédite que cette dernière disposition ne vise pas uniquement les actes de disposition, mais également les actes d’administration, pourtant moins compromettants, puisque l’annexe I du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, applicable sous l’ancienne administration légale sous contrôle judiciaire par le jeu du renvoi opéré par l’ancien article 389-7 aux règles de la tutelle, qualifie l’acte litigieux en l’espèce effectué - le prélèvement de fonds - d’acte d’administration, seul leur emploi au-delà du seuil fixé par le juge des tutelles relevant de la catégorie des actes de disposition. 

Ainsi, malgré l’élargissement de la marge de liberté reconnue aux parents pour administrer le patrimoine de leur enfant, libres de conclure sans autorisation certains actes de disposition, cette décision rappelle que cette liberté, en tous cas conditionnelle, peut être assortie de restrictions supplémentaires lorsque ces derniers ou comme en l’espèce, un seul des parents, tenus d’agir « dans le seul intérêt » de leur enfant (C. civ., art. 385), mettent en péril ses intérêts pécuniaires. Si le juge est, comme le rappelle la Cour, libre dans son appréciation pour ordonner les mesures nécessaires à la protection du patrimoine du mineur, sa décision doit néanmoins s’appuyer sur un ensemble de circonstances justifiant la contrainte exercée sur le pouvoir de son administrateur légal. Ainsi en l’espèce, la complexité et la haute valeur estimées du patrimoine de l’enfant sur lequel sa mère avait déjà pris des libertés avant d’être pénalement condamnée pour fraude aux prestations sociales constituaient autant d’élément rendant indispensables les mesures ordonnées. 

Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-15.380

 

Auteur :Merryl Hervieu


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