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[ 12 décembre 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Point sur… la protection des témoins

L’on entend souvent dans les séries américaines proposer aux victimes ou témoins de les placer sous protection. Assurée — avant, pendant et après le procès —, la sécurité des témoins leur permet d’être relogés et d’avoir une nouvelle identité, voire une nouvelle tête… Mais qu’en est-il en France ?

En France, il n’existe pas à proprement parler de programme de protection des témoins mais la loi organise le « témoignage sous X » afin d'inciter les témoins à parler tout en les protégeant des menaces. Le dispositif français, décrit dans le Code de procédure pénale, comporte deux stades de protection :

– le premier stade consiste à permettre au témoin qui redoute des représailles à déclarer, comme adresse, pour la suite de la procédure celle d'un service de police ou de gendarmerie, avec l'accord du procureur de la République ou du juge d'instruction (C. pr. pén., art. 706-57).

– le second stade reconnaît l'anonymat du témoin lui-même (C. pr. pén., art. 706-58). Dans ce cas, il faut que la procédure porte tout d'abord sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement. Il faut ensuite que l'audition du témoin soit susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique, celle des membres de sa famille ou de ses proches. L’anonymat est alors autorisé par décision motivée du juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction. Néanmoins, cette possibilité est exclue si au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à « l'exercice des droits de la défense » (C. pr. pén., art. 706-60).

Afin d’assurer au mieux une conciliation entre protection du témoin et principe de l’égalité des armes, la personne mise en examen ou renvoyée devant la juridiction de jugement peut demander à être confrontée avec un témoin anonyme par l'intermédiaire d'un dispositif technique permettant l'audition de ce dernier à distance ou à faire interroger celui-ci par son avocat par ce même moyen. La voix du témoin est alors rendue non identifiable par des procédés techniques appropriés (C. pr. pén., art. 706-61).

La CEDH s’est prononcée à plusieurs reprises sur la légitimité du témoignage anonyme. Si elle n’en condamne pas le principe en tant que tel, elle exige une vigilance particulière pour que soient respectés le procès équitable et le principe d’égalité des armes. En effet, l'article 6, § 3-d Conv. EDH garantit à toute personne poursuivie la possibilité de faire interroger les témoins à charge, ce qui suppose de connaître leur identité. Dans l’arrêt Kostovski c/ Pays-Bas, du 20 novembre 1989, la Cour précise que toute condamnation fondée sur le seul témoignage anonyme violerait l'article 6. Cette condition a été intégrée dans la loi française puisqu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies (C. pr. pén., art. 706-62).

Enfin, il faut signaler que la révélation de l'identité ou de l'adresse du témoin ayant bénéficié des dispositions des articles 706-57 et suivants du Code de procédure pénale, est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.

Références

■ Code de procédure pénale – Livre IV, Titre XXI : « De la protection des témoins », art. 706-57 et s.

Article 706-57

« Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction et qui sont susceptibles d'apporter des éléments de preuve intéressant la procédure peuvent, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, déclarer comme domicile l'adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie. Si la personne a été convoquée en raison de sa profession, l'adresse déclarée peut être son adresse professionnelle.

L'adresse personnelle de ces personnes est alors inscrite sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet. »

Article 706-58

« En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'une personne visée à l'article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisie par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identitité [identité] apparaisse dans le dossier de la procédure. Cette décision n'est pas susceptible de recours, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 706-60. Le juge des libertés et de la détention peut décider de procéder lui-même à l'audition du témoin. 

La décision du juge des libertés et de la détention, qui ne fait pas apparaître l'identité de la personne, est jointe au procès-verbal d'audition du témoin, sur lequel ne figure pas la signature de l'intéressé. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par l'intéressé, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête prévue à l'alinéa précédent. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance. »

Article 706-59

« En aucune circonstance, l'identité ou l'adresse d'un témoin ayant bénéficié des dispositions des articles 706-57 ou 706-58 ne peut être révélée, hors le cas prévu par le dernier alinéa de l'article 706-60.

La révélation de l'identité ou de l'adresse d'un témoin ayant bénéficié des dispositions des articles 706-57 ou 706-58 est punie de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. »

Article 706-60

« Les dispositions de l'article 706-58 ne sont pas applicables si, au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à l'exercice des droits de la défense. 

La personne mise en examen peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu d'une audition réalisée dans les conditions de l'article 706-58, contester, devant le président de la chambre de l'instruction, le recours à la procédure prévue par cet article. Le président de la chambre de l'instruction statue par décision motivée qui n'est pas susceptible de recours au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au deuxième alinéa de l'article 706-58. S'il estime la contestation justifiée, il ordonne l'annulation de l'audition. Il peut également ordonner que l'identité du témoin soit révélée à la condition que ce dernier fasse expressément connaître qu'il accepte la levée de son anonymat. »

Article 706-61

« La personne mise en examen ou renvoyée devant la juridiction de jugement peut demander à être confrontée avec un témoin entendu en application des dispositions de l'article 706-58 par l'intermédiaire d'un dispositif technique permettant l'audition du témoin à distance ou à faire interroger ce témoin par son avocat par ce même moyen. La voix du témoin est alors rendue non identifiable par des procédés techniques appropriés. 

Si la juridiction ordonne un supplément d'information aux fins d'audition du témoin, ce dernier est entendu soit par un juge d'instruction désigné pour exécuter ce supplément d'information, soit, si l'un des membres de la juridiction a été désigné pour exécuter cette audition, en utilisant le dispositif technique prévu par l'alinéa précédent. »

Article 706-62

« Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies dans les conditions prévues par les articles 706-58 et 706-61. »

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c/ Pays-Basn°11454/85.

 

Auteur :C. L.


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