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[ 6 juillet 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Point sur le projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017

Mots-clefs : Réforme, Responsabilité civile, Responsabilité extracontractuelle, Dommage, Faute, Amende civile

 

La tendance qui prévaut en droit de la responsabilité civile est la réparation du dommage subi par la victime, comme en témoigne l’essor de la responsabilité sans faute en jurisprudence et la collectivisation de l’indemnisation en législation. Le projet de réforme de la responsabilité civile, présenté par la Chancellerie le 13 mars 2017 a pour objectif de codifier et de moderniser le droit de la responsabilité civile lequel est, pour l’essentiel d’origine prétorienne. À cet égard, le projet propose une consolidation des acquis jurisprudentiels et comporte des innovations qui tiennent notamment à l'introduction de dispositions à caractère punitif et préventif.

■ La codification du droit positif

Les conditions de la responsabilité civile

Le projet reprend les trois conditions de la responsabilité (fait générateur, préjudice, lien de causalité). Certaines catégories de préjudices sont spécifiquement mentionnées : le préjudice futur (projet, art. 1236) et le préjudice de perte de chance (projet, art. 1238). La causalité ne fait l’objet d’aucune définition, pour laisser une marge de liberté aux juges. Quant au fait générateur, la faute est définie comme « la violation d’une prescription légale ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (projet, art. 1242). En matière de fait des choses, sont codifiées les règles prétoriennes ; on relèvera que le domaine de cette responsabilité de plein droit est limité aux seules choses corporelles (projet, art. 1243 al. 1er). En matière d’imputation du dommage à autrui, la responsabilité des père et mère du fait de leurs enfants, qui figure à l’article 1246, est limitée par l’exigence d’un fait générateur de nature à engager la responsabilité de l’enfant (faute ou fait d’une chose. La responsabilité des parents pour le simple fait causal de leur enfant - c'est-à-dire en l'absence de tout fait générateur de nature à engager la responsabilité personnelle de celui-ci -, initiée par l’arrêt d’Assemblée plénière du 9 mai 1984 « Gabillet », semble donc être abandonnée.). En outre, la condition de cohabitation est supprimée. Quant à la responsabilité des personnes qui sont investies de la mission d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’autrui, la solution de l'arrêt « Blieck » (Cass., ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231) est confirmée (projet, art. 1247). En matière de responsabilité du commettant du fait du préposé, sont consacrés la définition du lien de subordination de même que la notion d’abus de fonction, ou encore le principe de l’immunité du préposé (projet, art. 1249). Toutefois, cette immunité ne tombe plus qu’en cas de faute intentionnelle, ou lorsque, sans autorisation, le préposé aura agi à des fins étrangères à ses attributions (projet, art. 1249 al. 4. La jurisprudence « Costedoat » est donc modifiée. V. Cass., ass. plén., 25 févr. 2000 nos 97-17.378 et 97-20.152).

Les effets de la responsabilité civile

En matière extracontractuelle, est consacré le principe jurisprudentiel de la réparation intégrale (projet, art. 1258). En matière contractuelle, est repris le principe de la réparation du dommage prévisible, sauf faute lourde ou dolosive (projet, art. 1251). Le projet consacre aussi la dualité des modes de réparation, en nature ou par l’octroi de dommage-intérêts (projet, art. 1259) - ces deux types de mesure pouvant se cumuler afin d’assurer la réparation intégrale du préjudice.

Les régimes spéciaux de responsabilité

Le droit spécial est repris mais deux créations suscitent l’intérêt. D’une part, la faute inexcusable du conducteur victime d’un dommage corporel peut lui être opposée, en vue de limiter son indemnisation, même si elle n’est pas la cause exclusive de l’accident (projet, art. 1287, al. 3). Ensuite, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux comporte un nouveau cas dans lequel le défendeur à l’action ne pourra pas opposer, en vue de s’exonérer, le risque de développement : le projet prévoit que le producteur ne peut invoquer cette cause d’exonération lorsque le dommage a été causé par tout produit de santé à usage humain (projet, art. 1298-1). 

Le principe de non-cumul

Le principe est consacré : un contractant victime de l’inexécution d’une obligation contractuelle lors de l’exécution du contrat et imputable à son débiteur, ne peut pas, alors même qu’il y aurait intérêt, exercer une action en responsabilité extracontractuelle. 

■ Les innovations du projet

Exclusivité de la responsabilité extracontractuelle en cas de dommage corporel

Le contractant qui subit, pendant l’exécution du contrat, un dommage corporel causé par son cocontractant doit, en principe, exercer une action en responsabilité extracontractuelle. Toutefois, il peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui seraient plus favorables (projet, art. 1233-1). 

Relativité de la faute contractuelle et responsabilité des parties à l'égard des tiers

Le projet revient sur le principe de l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle (L'Assemblée plénière s'est orientée vers l'énoncé d'un principe de l'assimilation des fautes contractuelle et délictuelle en affirmant « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». V. Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255) et réaffirme, à titre de principe, la règle de la relativité de la faute contractuelle. Aussi, le tiers victime d’un dommage causé par une faute contractuelle imputable à un débiteur contractuel doit, pour que son action en responsabilité extracontractuelle soit couronnée de succès, apporter la preuve que la faute contractuelle de celui-ci constitue à son égard un fait générateur de responsabilité extracontractuelle (faute ou fait de la chose). Toutefois, s’il a un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat, dont l’inexécution lui a causé un dommage, le tiers peut exercer une action en responsabilité contractuelle, auquel cas le débiteur pourra lui opposer les clauses de son contrat destinées à gérer le risque d’inexécution (par exemple, une clause limitative de responsabilité).

Cessation de l’illicite

Le souci de prévention se marque par l'introduction de l'action en cessation de l'illicite. Ainsi, en matière extracontractuelle, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le demandeur (projet, art. 1266).

L’amende civile

En matière extracontractuelle, le juge peut condamner l'auteur d’une faute lucrative (La faute « qui est commise avec l'intention de procurer à son auteur un profit supérieur à la somme que représentait la réparation du dommage subi par la victime et qui a effectivement engendré ce profit », G. Viney, « L'espoir d'une recodification du droit de la responsabilité civile », D. 2016. 1378) qui a causé un dommage à une amende civile (projet, art. 1266-1). Afin d'éviter un enrichissement injustifié de la victime, les dommages et intérêts punitifs ne sont pas consacrés. L’amende est versée à un fonds d'indemnisation ou au Trésor public, et non à la victime. Le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est donc pas affecté par l’amende civile, laquelle renforce sensiblement la fonction punitive du droit de la responsabilité civile.

L'obligation de minimiser son dommage

A l’exception des dommages corporels, le juge a la faculté de réduire les dommages-intérêts lorsque la victime n'aura pas pris les mesures sûres et raisonnables, au regard de ses facultés contributives, qui lui auraient permis d'éviter l'aggravation de son préjudice. Ce devoir, qui peut se réclamer aussi bien de l’impératif d’efficacité économique du droit que d’une exigence d’ordre moral imposée à la victime, porte atteinte au principe de la réparation intégrale, puisque la victime ne recevra qu’une indemnisation partielle de son préjudice.

Règles spécifiques au dommage corporel

Le projet codifie la théorie de la causalité alternative qui permet, en présence d’un dommage corporel causé par une personne indéterminée parmi « des personnes identifiées agissant de concert ou exerçant une activité similaire », de considérer comme responsable chacun des membres du groupe, sauf à ce qu’il démontre qu’il ne peut l’avoir causé (projet, art. 1240). En outre, alors que la faute de la victime emporte une exonération partielle du défendeur à l’action en responsabilité, en matière de préjudice corporel, seule une faute lourde pourra produire un tel effet (projet, art. 1254). Quant aux clauses limitatives ou exclusives de responsabilité, dont le projet admet la validité de principe en matière extracontractuelle, elles sont prohibées en matière de dommage corporel (projet, art. 1281).

Références

■ Cass., ass. plén., 9 mai 1984, Épx Gabillet, n° 80-14.994 P, GAJC, 11e éd., n° 197-199 (III) ; D. 1984. 525, concl. Cabannes, note Chabas; RTD civ. 1984. 508, obs. J. Huet.  Legeais.

■ Cass., ass. plén., 29 mars 1991, Cts Blieck, n° 89-15.231 P, D. 1991. 324, note C. Larroumet ; ibid. 157, chron. G. Viney, obs. J.-L. Aubert ; RFDA 1991. 991, note P. Bon ; RDSS 1991. 401, étude F. Monéger ; RTD civ. 1991. 312, obs. J. Hauser ; ibid. 541, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1991. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.

■ Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, nos 97-17.378 P et 97-20.152 P, D. 2000. 673, note P. Brun ; ibid. 467, obs. P. Delebecque ; RDSS 2001. 134, obs. J.-M. Lhuillier ; RTD civ. 2000. 582, obs. P. Jourdain.

■ Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 P, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister, note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295, obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :H. L.


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