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[ 1 février 2022 ] Imprimer

Droit des personnes

Point sur le statut juridique de l’animal

Fondatrice de notre système juridique, la distinction entre les personnes et les choses est notamment mise à mal par la personnification de certaines choses, dont l’animal figure en première place.

L’animal, persona non grata – Objet d’une personnification du Moyen-Âge jusqu’au xviiie siècle, l’animal a par la suite été juridiquement considéré comme une chose. Dénué de la personnalité juridique, l’animal n’est pas titulaire de droits ni tenu à des obligations. Il ne peut davantage recevoir de libéralité qu’être tenu à réparer le dommage qu’il causerait (cette réparation incombant à celui qui en a la garde, généralement son propriétaire, sur le fondement de la responsabilité du fait des animaux). Aujourd’hui, l’animal n’est pas considéré comme une personne : parmi les êtres vivants, seuls les êtres humains peuvent accéder à la personnalité juridique. L’animal, fût-il un être vivant, en est privé (A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, coll. « cours », 4e éd., n° 4). Partant, c’est au droit des biens et non à celui des personnes qu’il se trouve soumis. Plus précisément, le régime des biens corporels prévu par le Code civil s’applique à toutes les catégories d’animaux qui se trouvent sous la garde de l’homme, à l’exclusion des animaux sauvages vivant en liberté, qualifiés de res nullius en sorte que, n’appartenant à personne, ils sont susceptibles d’être appropriés, utilisés ou même détruits, par quiconque.

L’animal, un être en quête de reconnaissance - Depuis la loi n° 2015-177 du 16 février 2015l’animal est qualifié, non plus de « meuble par nature » (C. civ., anc. art. 528), ni même de chose, mais d’ « être vivant doué de sensibilité » (C. civ., art. 515-14 ; adde, C. rur., art. L.214-1 : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »). Si cette loi personnalise d’évidence l’animal, elle n’a cependant pas eu pour effet de modifier son régime juridique : ainsi est-il prévu que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». Le caractère hybride de ce statut d’être sensible mais restant soumis au régime du droit des biens a ranimé la question du statut de l’animal, dont l’évolution est depuis longtemps envisagée, avec l’alternative suivante : la création, en droit civil, d’une catégorie intermédiaire entre les personnes et les choses ; la reconnaissance, à la fois plus respectueuse des catégories déjà existantes et plus protectrices des intérêts de l’animal, de sa pleine et entière personnalité juridique. Dans cette perspective, un rapport sur le régime juridique de l’animal, présenté au garde des Sceaux le 10 juin 2005, proposait de consacrer un statut spécifique à l’animal à l’effet de le soustraire à la qualification de bien, soit en lui appliquant la qualification finalement retenue « d’êtres vivants doués de sensibilité », soit en créant une nouvelle catégorie de bien, à côté des meubles et des immeubles (S. Antoine, Rapport sur le régime juridique de l’animal, Doc. fcse, 2005). Conformément à ces préconisations, en faveur d’une personnification de l’animal, nombreux appelaient de leurs vœux, la création d’une catégorie alternative à celles séparant les choses des personnes, quitte à remettre en cause cette distinction fondatrice (v. not. R. Libchaber, « La souffrance et les droits. À propos d’un statut de l’animal », D. 2014. 380), voire l’admission de sa personnalité juridique (Déclaration des droits de l’animal de l’Unesco, art. 9-1 : « La personnalité juridique de l’animal et ses droits doivent être reconnus par la loi » ; en ce sens, v. J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux », D. 1998. Chron. 205 ; J.-P. Marguénaud, Fl. Burgat, J. Leroy, « La personnalité animale », D. 2020. 28). La raison en est que si l’animal reste une chose, il n’est cependant pas une chose comme une autre : en raison de sa qualité d’être vivant et des liens multiples qu’il entretient avec l’homme (v. sur ce point, Focus sur la protection juridique de l’animal, DAE, 20 janv. 2022), l’animal mérite cependant un traitement spécifique. 

L’animal, mi-chose, mi-personne – En l’absence, pour l’heure, de catégorie intermédiaire entre la personne et la chose, l’animal reste un objet de droit. S’il n’en est donc pas un sujet, il fait cependant l’objet d’une protection accrue. Alors que le droit pénal punissait déjà les sévices graves, les actes de cruauté commis sur les animaux (C. pén., art. 521-1) ou le fait de causer, par maladresse ou négligence, la mort d’un animal (C. pén., art. R. 653-1), la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, vient d’en aggraver les peines à ce titre encourues. Par ailleurs, des règles spécifiques sont prévues, au niveau national comme européen, pour encadrer le traitement réservé aux animaux d’expérimentation (utilisés soit pour les médicaments, soit pour la science) et aux animaux sauvages en captivité (dans les cirques, zoos, etc.).

Il est enfin à noter que l’animal est une chose parfois traitée comme une « personne par destination ». Sa singularité apparaît une fois encore dans le cas où, mis au service de l’homme, il en constitue un prolongement (chien d’aveugle par ex.). Dans ce cas particulier, la qualification de personne par destination a pu être proposée (X. Labbée, note ss TGI Lille, 23 mars 1999 : D. 1999. 350) à l’effet de soumettre l’animal au régime juridique appliqué aux personnes, et donc de le soustraire à celui régissant les biens. Précisons que la personne par destination est une chose par nature, fictivement traitée comme une personne, en raison de son affectation au service d’une personne. Cette idée est née de la qualification de « prothèse vivante » donnée par des juges lillois à un chien d’aveugle blessé lors d’un accident de la circulation. Cette qualification ne conduisait pas à élever l’animal au rang de personne, mais à le considérer comme un élément du corps humain afin d’indemniser le dommage causé à son propriétaire selon les règles applicables aux piétons et non aux biens (TGI Lille, 23 mars 1999, préc.). Si la qualification de prothèse vivante était nouvelle, la Cour de cassation avait cependant déjà admis qu’ « indépendamment du préjudice matériel qu’elle entraîne, la mort d’un animal peut être pour son propriétaire la cause d’un préjudice d’ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu à réparation » (Civ. 1re, 16 janv. 1962, Bull. I, n° 33).

L’animal ne serait-il pas, finalement, ni personne, ni chose, mais un être à part et par conséquent, inclassable ?

Références :

 Civ. 1re, 16 janv. 1962, Bull. I, n° 33 P : D. 1962. 199, note R. Rodière.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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