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[ 17 octobre 2016 ] Imprimer

Droit pénal général

Preuve pénale : participation de l’autorité publique à la production d’une preuve illicite ou déloyale

Mots-clefs : Preuve illicite, Preuve déloyale, Procès équitable, Enregistrement clandestin

Porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation de l’autorité publique à l’administration de la preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée.

Le 20 août 2015, Me B., avocat, agissant au nom du Royaume du Maroc, dénonça au procureur de la République des faits de chantage et d’extorsion de fonds en joignant à sa plainte l’enregistrement d’une conversation qui s’était déroulée le 11 août précédant entre le représentant de cet État, Me A., et les auteurs d’un livre « à charge » contre le roi paru en 2012, au cours de laquelle l’un d’eux aurait sollicité le paiement d’une somme d’argent contre la promesse de ne pas publier un nouvel opus. Une enquête préliminaire fut ouverte sur ces faits puis une information judiciaire. Deux nouveaux enregistrements furent produits, mais concernant deux conversations qui, cette fois, furent surveillées par les enquêteurs et donnèrent lieu à retranscription. Les suspects furent d’ailleurs interpellés à l’issue de la seconde rencontre, après avoir reçu chacun une somme d’argent de 40 000 euros des mains de Me A., en acompte des 2 millions réclamés. Mis en examen pour chantage et extorsion de fonds les 28 et 29 août 2015, ils saisirent, le 7 septembre suivant, la chambre de l’instruction de deux requêtes en nullité des deux derniers enregistrements, des procès-verbaux de retranscription et des actes subséquents.

La chambre de l’instruction refusa l’annulation aux motifs notamment que « les éléments objectifs du dossier ne permettaient pas de démontrer que les enquêteurs ni le procureur de la République ni le magistrat instructeur [avaient] incité Me A. à réaliser des enregistrements clandestins des propos échangés au cours des deux derniers rendez-vous avec les mis en examen », que « les magistrats et les enquêteurs [s’étaient] contentés de mettre en place un dispositif de surveillance et d’interpellation dont la légalité n’[était] pas contestable, laissant l’avocat de la victime potentielle libre de se constituer des preuves personnelles », et que la « position en retrait des enquêteurs ne [pouvait] être assimilée à une provocation à la commission de l’infraction ni à un contournement déloyal des moyens de preuve et se justifi[ait] puisqu’elle avait pour seul objectif que [fut] révélée l’existence des agissements délictueux de M. X. et Mme Y. afin d’en permettre la constatation et d’en arrêter la continuation ».

Saisie par les deux mis en examen, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt de la chambre de l’instruction au visa de l’article 6 de la Convention européenne. Énonçant que « porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation de l'autorité publique à l'administration d'une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée », la Haute cour estime qu’« il se déduisait (des circonstances d’espèce) que l’autorité publique avait participé indirectement à l’obtention des enregistrements, par un particulier, sans le consentement des intéressés, de propos tenus par eux à titre privé ».

En matière pénale, le principe est celui de liberté de la preuve (C. pr. pén. art. 427), mais celui-ci est « borné » par les principes de légalité et de loyauté. La jurisprudence opère cependant une distinction selon la qualité de celui qui apporte la preuve. Ainsi la chambre criminelle admet les preuves recueillies de manière illicite ou déloyale par une partie privée (V. Crim. 26 avr. 1987, n° 86-96.621 ; Crim. 6 avr. 1994, n° 93-82.717 ; Crim. 27 janv. 2010, n° 09-83.395) alors qu’elle soumet les autorités publiques au strict respect de la légalité et de la loyauté (V. Cass., ch. réunies, 31 janv. 1888 ; Crim. 27 févr. 1996, n° 95-81.366 ; Crim. 7 janv. 2014, n° 13-85.246 ; Cass., ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339), y compris dans le cas où celles-ci agiraient par l’intermédiaire d’un particulier (V. Crim. 9 août 2006, n° 06-83.219).

Il en résulte que l’enregistrement clandestin (lequel constitue une atteinte à la vie privée, prévue à l’art. 226-1 C. pén.) réalisé par un particulier mais sous surveillance policière (le particulier ayant connaissance de la surveillance et étant en contact avec les enquêteurs, comme la chambre criminelle le relève), doit être considéré comme émanant d’un intermédiaire de l’autorité publique. Il doit donc, à ce titre, être annulé. En revanche, pour ce qui est du tout premier enregistrement, transmis avec la plainte, celui-ci est parfaitement recevable.

Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820

Références

■ Rép. pén. Dalloz, vo Preuve, par J. Buisson, nos 125 s.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

■ Crim. 26 avr. 1987, n° 86-96.621 P.

■ Crim. 6 avr. 1994, n° 93-82.717 P, D. 1994. 155 ; RSC 1994. 776, obs. G. Giudicelli-Delage.

■ Crim. 27 janv. 2010, n° 09-83.395, Dalloz actualité, 17 mars 2010, obs. C. Gayet ; D. 2010. 656 ; AJ pénal 2010. 280, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2010. 241, note B. Bouloc ; RTD com. 2010. 617, obs. B. Bouloc.

■ Cass., ch. réunies, 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241.

■ Crim. 27 févr. 1996, n° 95-81.366 P, D. 1996. 346, note C. Guéry ; RSC 1996. 689, obs. J.-P. Dintilhac.

■ Crim. 7 janv. 2014, n° 13-85.246 P, Dalloz actualité, 27 janv. 2014, obs. S. Fucini ; D. 2014. 407, note E. Vergès ; ibid. 264, entretien S. Detraz ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 194, obs. H. Vlamynck ; RSC 2014. 130, obs. J. Danet.

■ Cass., ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339 P, Dalloz actualité, 10 mars 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 711, note J. Pradel ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2015. 362, note C. Girault ; RSC 2015. 117, obs. P.-J. Delage ; ibid. 971, chron. J.-F. Renucci.

■ Crim. 9 août 2006, n° 06-83.219 P, D. 2006. 2348 ; ibid. 2007. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 510, obs. C. Saas.

 

Auteur :S. L.


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