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[ 24 avril 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Eléments d’équipement sur l’existant : retour à la responsabilité contractuelle de droit commun

Par un arrêt de revirement du 21 mars 2024, la troisième chambre civile renonce à sa jurisprudence antérieure ayant étendu le champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs aux éléments d’équipement dits sur l’existant : elle juge désormais que les éléments d'équipements installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant, qui ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs.

Civ. 3e, 21 mars 2024, n° 22-18.694

Un couple avait acheté un insert de cheminée défectueux qui, ayant engendré un incendie, avait détruit l’intégralité de leur maison et de son contenu. La cour d'appel condamna l'entrepreneur et son assureur à la réparation intégrale du préjudice subi par les victimes (la maison, les meubles, la cheminée...), sur le fondement de la garantie décennale. L'entrepreneur s’est pourvu en cassation, soutenant que seuls relèvent de la garantie décennale les désordres causés par les travaux constitutifs d'un ouvrage. À son sens, dès lors que l'installation d'un insert dans un conduit de cheminée déjà existant ne nécessite ni travaux de maçonnerie, ni atteinte au gros œuvre de l'immeuble, l'insert n'est pas un ouvrage. Partant, cet élément d’équipement adjoint à l’existant ne relèverait pas de la garantie décennale. Conforme à la jurisprudence initiale de la Cour de cassation, la thèse du pourvoi faisait cependant fi de son évolution, ici retracée par un arrêt à la motivation enrichie. Grâce au revirement opéré, d’application immédiate, le demandeur obtient toutefois gain de cause.

■ Eléments d’équipement sur l’existant : rappel de la jurisprudence antérieure

Initialement, la jurisprudence jugeait que les désordres causés par un élément d’équipement adjoint à la construction existante ne relevaient pas de la responsabilité décennale des constructeurs, dès lors que cet élément d’équipement n’était pas, en lui-même, constitutif d’un ouvrage. Elle se fondait sur plusieurs textes, figurant au visa de la décision rapportée (§6 et 7) : l’article 1792 du Code civil, selon lequel tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, une telle responsabilité n'ayant point lieu, toutefois, si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; l’article 1792-2, aux termes duquel la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert, un élément d'équipement étant considéré comme indissociable de l'ouvrage lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. En application de ces dispositions, la jurisprudence s’appuyait sur plusieurs.critères de l’indissociabilité de l’élément d’équipement à l’ouvrage existant, tels que l’ampleur des travaux (Civ. 3e, 29 janv. 2003, n° 01-13.034), l’immobilisation dans un ouvrage existant (par exemple, un silo intégré au bâtiment par soudure, Civ. 3e, 8 juin 1994, n° 92-12.655) ou encore le critère de reprise d’une partie d’ouvrage assurant une fonction de clos et de couvert (par exemple, une reprise de toiture, Civ. 3e, 8 oct. 2014, n° 13-21.807). Concernant les autres éléments d'équipement, dissociables de l’existant, le client devait invoquer la garantie biennale de bon fonctionnement (C. civ. art. 1792-3) ou la responsabilité contractuelle de droit commun. 

La jurisprudence a toutefois jugé nécessaire d’assouplir sa position pour admettre la mise en œuvre de la responsabilité décennale à des désordres affectant des éléments d’équipement, même dissociables de l’existant, dès lors qu’ils rendaient l’ouvrage impropre à sa destination (ex : chaudière de l’immeuble). C’est ainsi que par un arrêt de revirement du 15 juin 2017, elle jugea que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur l’existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71). Depuis 2017, l’élément déterminant de l’engagement de la responsabilité des constructeurs résidait donc dans l’impropriété à la destination de l’ouvrage lui-même, les caractères attachés à l’élément d’équipement étant devenus indifférents (Civ. 3e, 26 oct. 2017, n° 16-18.120 ; Civ. 3e, 25 janv. 2018, n° 16-10.050 ; Civ. 3e, 13 juill. 2022, n° 19-20.231). La souplesse de ce critère de l’impropriété à destination a permis l’extension du champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs, couvrant ainsi tous les dommages présentant le degré de gravité requis par l’article 1792 du Code civil.

Deux objectifs étaient poursuivis par ce premier revirement : d’une part, un objectif de simplification du régime, en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant ; d’autre part, un objectif de protection des maîtres de l’ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d'amélioration de l'habitat existant. Ces objectifs n’ayant pas été atteints, la troisième chambre civile juge nécessaire de revenir sur sa position.

■ Eléments d’équipement sur l’existant : abandon de la jurisprudence antérieure

Les objectifs que poursuivait la Cour en 2017 n’ont pas été atteints, à la fois pour une raison pratique et une autre, proprement juridique. En pratique, il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur que les installateurs d'éléments d'équipement devenus éligibles à la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu'auparavant à l'assurance obligatoire des constructeurs. La jurisprudence initiée en 2017 ne s'est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l'ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d'autres garanties d'assurance (§16-17). En outre, la Cour de cassation avait elle-même limité récemment la portée de son revirement en ne rendant sa solution applicable qu’aux éléments d’équipement fonctionnels (C. civ. art. 1792-3) : les désordres, quelle que soit leur gravité, affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination, ne relevaient de la responsabilité décennale qu’à la condition de trouver leur siège dans un élément destiné à fonctionner, faute de quoi ils redevenaient soumis à la responsabilité contractuelle de droit commun (Civ. 3e, 13 juill. 2022, n° 19- 20.231). La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d'équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d'exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d'équipement d'origine (§14-15).

Pour les raisons qui précèdent, la Cour juge nécessaire de renoncer à cette jurisprudence. Ainsi revient-t-elle à sa jurisprudence initiale en réaffirmant que si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs (§18).

La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d'accès au juge. Or en l’espèce, pour condamner in solidum l’installateur de la cheminée et son assureur sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt d’appel a énoncé que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur l’existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retenu que le désordre affectant l'insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l'habitation. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. 

Dont acte : lorsque les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale, ni de la garantie biennale. Ainsi la Cour de cassation revient-elle, et de manière immédiate, à sa jurisprudence initiale pour décider que les éléments d’équipement sur l’existant non constitutifs d’un ouvrage relèvent du droit commun, et non de la responsabilité spéciale des constructeurs.

Références :

■ Civ. 3e, 29 janv. 2003, n° 01-13.034 RDI 2003. 185, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 8 juin 1994, n° 92-12.655 : RDI 1995. 131, obs. G. Leguay et P. Dubois

■ Civ. 3e, 8 oct. 2014, n° 13-21.807

■ Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640 : D. 2017. 1303 ; RDI 2017. 409, obs. C. Charbonneau

■ Civ. 3e, 26 oct. 2017, n° 16-18.120 : D. 2017. 2207 ; ibid. 2018. 1328, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; RDI 2018. 41, obs. C. Charbonneau

■ Civ. 3e, 25 janv. 2018, n° 16-10.050 : RDI 2018. 230, obs. P. Malinvaud

■ Civ. 3e, 13 juill. 2022, n° 19-20.231 D. 2022. 1359

 

Auteur :Merryl Hervieu


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