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[ 7 octobre 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Principe de non-rétroactivité de la loi pénale, mesures de sûreté et Convention européenne des droits de l’homme

Mots-clefs : Irresponsabilité pénale, Trouble mental, Rétroactivité, Mesures de sûreté, Peine, Hospitalisation d’office, Loi pénale, Cour europénne des droits de l'homme

Les mesures de sûreté sont des mesures préventives et non punitives pour lesquelles il ne peut être fait application du principe de non-rétroactivité énoncé par l’article 7, § 1 la de Convention européenne des droits de l’homme.

La loi n° 2008-174 du 25 février relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental a marqué une étape importante dans l’application des mesures prononcées à l’égard des criminels atteints de troubles psychiques. Désormais, les autorités judiciaires peuvent, lorsqu’elles rendent un arrêt ou prononcent un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ordonner à l’encontre de la personne concernée en vertu de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, une hospitalisation d’office et/ou des mesures de sûreté énoncées à l’article 706-136 Code de procédure pénale .

Pour répondre à un souci de cohérence, d’efficacité et de transparence des décisions rendues en la matière, la personne irresponsable pénalement comparait devant une juridiction d’instruction ou de jugement qui se prononce sur la réalité des faits commis, déclare l’irresponsabilité pénale et peut prononcer une hospitalisation d’office et/ou des mesures de sûreté.

En l’espèce, le 14 septembre 2007, un ressortissant français avait été mis en examen des chefs d’assassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur deux autres personnes, et placé en détention provisoire. 

En novembre 2008, à la suite de plusieurs examens psychiatriques, il est jugé irresponsable pénalement pour cause de trouble mental au moment des faits. Une hospitalisation d’office et des mesures de sûreté (interdiction de rentrer en relation avec les parties civiles pour une durée de vingt ans et interdiction de détenir et/ou porter une arme) sont prononcées à son encontre selon les dispositions prévues par la nouvelle loi du 25 février 2008. 

Le requérant forme alors un pourvoi en cassation en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. La Cour de cassation (Crim. 14 avr. 2010, n° 09-82.291. V. dans ce sens : Crim., 16 déc. 2009, n° 09-85.153) rejette le pourvoi en raison de l’absence de caractère répressif des mesures prononcées et précise ainsi que : « les peines légalement applicables à la date de l’infraction ne s’appliquent pas aux mesures de sureté prévues, en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par les articles 706-135 et 706-136 ».

Ensuite, le requérant demande à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) la condamnation de la France sur le fondement de l’article 7, §1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) relatif au principe de la légalité des peines, selon lequel, il ne peut y avoir de peine sans loi.

La Cour devait donc déterminer si les mesures de sûreté imposées au requérant l’ont été à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale et si elles s’analysaient comme des « peines » auxquelles s’applique le principe de non rétroactivité de l’article 7, § 1 de la Conv. EDH.

Ainsi, la CEDH rappelle les conditions d’application nécessaires au principe non rétroactivité de la loi pénale. Les mesures doivent être appréciées selon leur nature, leur but, leur qualification en droit interne, les procédures associées à leur adoption et à leur exécution et leur gravité (CEDH, 9 févr. 1995, Welch c/ Royaume-Uni, n° 17440/90, § 28). Elle juge, en l’espèce, que « les mesures litigieuses n’ont pas été ordonnées après une condamnation pour infraction » et ajoute « qu’en France elles ne sont pas considérées comme des peines ».

La Cour conclut en l’espèce que «  la déclaration d’irresponsabilité pénale et les mesures de sûreté qui l’accompagnent ne constituent pas des peines au sens de l’article 7, § 1 de la Conv. EDH, […] le principe de non-rétroactivité n’a pas vocation à s’appliquer » (§ 46).

CEDH 3 sept. 2015, Berland c/ France, n° 42875/10.

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 7, § 1

« Pas de peine sans loi. 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »

■ Code de procédure pénale

Article 706-135 

« Sans préjudice de l'application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner, par décision motivée, l'admission en soins psychiatriques de la personne, sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même code s'il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques prononcées en application de l'article L. 3213-1 du même code. »

Article 706-136 

« Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu'elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement : 

1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ; 

2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ; 

3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ; 

4° Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ; 

5° Suspension du permis de conduire ; 

6° Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis. 

Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet. Si la personne est hospitalisée en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, les interdictions dont elle fait l'objet sont applicables pendant la durée de l'hospitalisation et se poursuivent après la levée de cette hospitalisation, pendant la durée fixée par la décision. »

 Crim. 14 avr. 2010, n° 09-82.291.

■ Crim., 16 déc. 2009, n° 09-85.153, D. 2010. 471, note J. Pradel; AJ pénal 2010. 136, obs. C. Duparc; Constitutions 2010. 235, obs. M. Disant ; RSC 2010. 129, obs. E. Fortis.

■ CEDH, 9 févr. 1995Welch c/ Royaume-Uni, n° 17440/90.

 

Auteur :E. A.


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