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[ 5 décembre 2012 ] Imprimer

Droit des personnes

Prise en considération de la filature organisée par un assureur sur la voie publique et sans stratagème

Mots-clefs : Assurance, Victime, Expertise, Modes de preuve, Filature sous conditions, Vie privée

La filature d’une victime d’un accident de la circulation, organisée sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s'y rendre, et relative aux seules mobilités et autonomie de cette personne, constitue une atteinte à sa vie privée proportionnée au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur et aux intérêts de la collectivité des assurés.

La première chambre civile de la Cour de cassation semble rendre une solution assez novatrice concernant les moyens de preuve utilisables par un assureur (v. R. Cabrillac).

En l’espèce, la victime d’un accident de la route a été indemnisée du fait d’un syndrome frontal important et de séquelles psychiatriques (incapacité permanente partielle de travail [IPP] évaluée à 66%). Quelques années plus tard, estimant que son état de santé s’est aggravé, elle saisit le juge des référés afin d’obtenir la désignation d’un expert. Ce dernier conclut à l’assistance définitive d’une tierce personne dans tous les actes de la vie courante, notamment les repas et les sorties, compte tenu de l’absence d’espoir d’une évolution positive au plan de l’autonomie.

La personne responsable de l’accident et son assureur contestent alors ces conclusions et font procéder, par un enquêteur privé assisté en partie par un huissier, à une filature de la victime pendant trois jours lors de ses déplacements en dehors de son domicile, sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public et sans stratagème. Il s’avère que les constatations faites au cours de la filature viennent contredire le dernier rapport d’expertise : la victime y conduit seule son véhicule, accompagne des enfants à l’école, effectue des achats, assiste à des jeux de boules, s’attable au café et converse avec des consommateurs. La cour d’appel déboute donc la victime de sa demande. Cette dernière forme un pourvoi en cassation fondé sur un moyen unique, estimant que la cour d’appel a privé de base légale son arrêt au regard des articles 9 du Code civil9 du Code de procédure civile et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour suprême doit ainsi se prononcer sur la validité du procédé de filature portant nécessairement atteinte à la vie privée de la personne suivie et filmée (v. Fr. Terré, D. Fenouillet). Elle rejette le pourvoi (v. contra en droit du travail, à propos d’une immixtion illicite dans la vie privée d’une victime, caractérisée par le fait qu’elle fut épiée, surveillée et suivie jusqu'à son domicile alors qu'elle n'était plus liée par une clause de non-concurrence avec sa société: Civ. 1re, 25 janv. 2000) au motif que la filature effectuée sur la voie publique sans aucune provocation, relative aux seules mobilités et autonomie de la victime n’était pas « disproportionnée au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur et des intérêts de la collectivité ».

Cet arrêt, promis à de nombreux commentaires, constitue une brèche ouverte aux assureurs qui pourront ainsi remettre en cause les rapports médicaux autrement que par une contre-expertise, mais à la double condition énoncée par la Haute cour :

– que la filature soit effectuée sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, sans aucune provocation ;

– que la filature se cantonne à la mobilité et à l’autonomie de la personne suivie.

Sous cette réserve, et afin de préserver leurs droits et les intérêts de la collectivité des assurés, les compagnies d’assurance peuvent désormais procéder à la filature de prétendues victimes.

Civ. 1re, 31 oct. 2012, n°11-17.476

Références

■ R. Cabrillac, Introduction générale au droit, 9e éd., Dalloz, coll. « Cours », n° 168 s.

■ Fr. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 106 s.

■ Civ. 1re, 25 janv. 2000, n° 97-21.846 ; D. 2000. Somm. 267, obs. A. Lepage.

■ Article 9 du Code civil

« Chacun a droit au respect de sa vie privée. 

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »

■ Article 9 du Code de procédure civile

« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

■ Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

Auteur :L. T.


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