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[ 28 octobre 2019 ] Imprimer

Droit de la famille

QPC sur l’obligation d’entretien de l’enfant majeur : vous êtes sérieux ?

Faute de caractère sérieux, la question de la conformité au bloc de constitutionnalité de l’alinéa 2 de l’article 371-2 du Code civil, qui prévoit que l’obligation pour chaque parent de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ne cesse pas de plein droit quand celui-ci atteint la majorité, ne justifie pas son renvoi au Conseil constitutionnel.

A l’effet d’échapper à une augmentation de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de son enfant, majeur, un père divorcé avait soumis à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant l’alinéa 2 de l’article 371-2 du Code civil, selon lequel l’obligation pour chaque parent de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ne cesse pas de plein droit quand celui-ci atteint la majorité. L’auteur de la QPC considérait ce texte attentatoire « aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au principe d’égalité des citoyens devant la loi, au respect du principe de la légalité des délits et des peines, du principe de responsabilité, du droit de mener une vie familiale normale définis aux articles 6, 7, 8 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

Applicable au litige au cœur duquel le requérant se trouvait et l’article questionné n’ayant pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la question était, à ce double titre, susceptible d’être transmise. En revanche, après avoir apprécié la conformité du texte aux principes constitutionnels dont la violation était dénoncée par l’auteur de la QPC, la Cour a jugé, pour en refuser le renvoi, que le critère lié au caractère nouveau ou sérieux de la question posée n’était pas satisfait. 

Le requérant dénonçait, en premier lieu, la rupture d’égalité que créerait, à un double titre, cette obligation d’entretien.

Elle résulterait, tout d’abord, des critères d’appréciation nécessaires à la détermination du montant de la contribution. Si les deux parents sont par principe tenus de cette obligation, ces derniers doivent néanmoins, « dans leurs rapports entre eux, (…) en supporter le poids proportionnellement à leurs ressources » (Civ. 27 nov. 1935). Chaque parent voit donc sa part contributive fixée « à proportion de ses ressources (et) de celles de l’autre » (C. civ., art. 371-2). Concrètement, cela signifie que les dépenses exposées seront rarement divisées par moitié, les ressources respectives des père et mère, telles qu’elles résultent des revenus qu’ils perçoivent et des charges qui leur incombent, n’étant généralement pas comparables. Susceptible d’être inégale en valeur, la contribution parentale ne l’est en revanche jamais en termes d’obligation, « chacun des père et mère étant tenu pour le tout de nourrir, entretenir et élever les enfants communs » (Civ. 27 nov. 1935, préc.). La charge de l’entretien étant équitablement répartie par la loi entre le père et la mère, l’impératif de généralité de la norme qui sous-tend le principe d’égalité des citoyens devant la loi (DDH, art. 6) est ainsi assuré par la règle précitée, qui rend identiquement débiteurs les deux parents. La prise en compte de l’absence d’équivalence de leurs situations respectives ne contrevient pas au principe d’égalité, lequel s’apprécie concrètement, donc en fonction d’éventuelles différences de situations, pourvu que celles-ci soient objectives. Peu importe, donc, la différence arithmétique susceptible d’exister entre chacune des parts contributives. C’est pourquoi la Cour se contente de répondre sur ce point que l’application de l’alinéa 2 de l’article 371-2 « reste soumise aux conditions de l’alinéa 1er de ce texte », qui précise que la contribution d’un parent « est déterminée à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant » et qu’en conséquence, « ce texte, en soi, ne crée aucune rupture d’égalité entre les parents ». 

Le second aspect prétendument inégalitaire avait trait, semble-t-il, à la nécessité pour le parent demandant à être libéré de son obligation de saisir un juge, et de lui administrer la preuve justifiant une telle dispense. Or, conformément au principe du droit commun de la preuve selon lequel il appartient à celui qui se prétend libéré de prouver le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation (C. civ., art. 1353), il incombe au parent débiteur « de rapporter la preuve des circonstances permettant de l’en décharger » (Civ. 2e, 2 avr. 1997, n° 95-18.749 ; Civ. 1re, 7 nov. 2012, n° 12-17.394): il lui faut donc établir soit qu’il se trouve dans l’impossibilité matérielle de verser sa contribution, soit que son enfant, devenu financièrement indépendant, n’a plus besoin de la recevoir. La plus fréquente, la seconde hypothèse, supposant de rapporter la preuve d’un fait négatif (l’absence de besoin), rend l’administration de celle-ci difficile, d’autant plus en l’absence de concours de l’autre parent et ou de l’enfant, généralement peu enclins à lui faciliter sa tâche probatoire. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait un temps consenti (Civ. 2e, 26 sept. 2002, n° 00-21.234), mais pour se rétracter ensuite (Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 06-19.581), à une certaine souplesse en la matière. En toute hypothèse, cet inconvénient probatoire n’était certainement pas suffisant pour caractériser une atteinte au principe d’égalité. Peut-être le requérant entendait-il également dénoncer, en invoquant l’obligation de recourir à un juge, l’interdiction des dispenses conventionnelles, incompatibles avec le caractère impératif de l’obligation d’entretien, d’ordre public (Req. 26 juill. 1928, 2e esp.). Mais là encore, cette impossibilité de contracter pour échapper à la règle ou aménager ce à quoi elle oblige étant propre à toutes les règles d’ordre public, l’argument ne pouvait prospérer. Ainsi la Cour de cassation répond-elle à ce deuxième pan de l’argumentation que « lorsque l’enfant majeur réside avec l’un d’eux, l’obligation qui pèse sur le débiteur tenu au paiement d’une contribution en vertu d’une décision de justice, de saisir un juge et de rapporter la preuve des circonstances permettant de l’en décharger, repose sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi ».

En second lieu, le requérant invoquait une atteinte au principe de la légalité des délits et des peines (DDH, art. 7 et 8). A l’incongruité d’une telle affirmation, révélant dans l’esprit de son auteur la confusion entre une obligation civile et une sanction pénale, la Cour de cassation oppose simplement que le second alinéa de l’article 371-2 du Code civil, ne définissant aucune incrimination et n’instaurant aucune sanction, ne porte pas atteinte au principe invoqué.

Une méconnaissance du principe de responsabilité était, en troisième lieu, dénoncée. Fondé sur l’article 4 de la Déclaration de 1789, le principe général selon lequel la liberté ne peut être limitée que par la loi a notamment été traduit par le Conseil constitutionnel comme l’interdiction de convertir sa liberté individuelle en droit de nuire à autrui et, corrélativement, comme l’obligation de réparer tout fait personnel ayant causé à autrui un dommage (Cons. const. 22 oct. 1982, n° 82-144 DC § 3), comme s’entend traditionnellement le principe de la responsabilité civile pour faute. Faute de précision sur l’argumentation du requérant, on peut supposer que ce dernier estimait fautif le manque d’indépendance financière de l’enfant sitôt atteint l’âge de sa majorité, et donc, le fait de suivre des études supérieures, ou bien encore de prendre le temps nécessaire à chercher puis à obtenir un emploi, ce qui, juridiquement (V. Civ. 2e, 29 mai 1996, n° 94-20.511), moralement et sociologiquement, ne pouvait guère convaincre. Il est encore possible d’envisager qu’il regardait comme injuste l’inapplicabilité au devoir d’entretien de l’article 207, alinéa 2 du Code civil, qui permet au débiteur d’une dette alimentaire d’en être dispensé quand son créancier a « manqué gravement à ses obligations » envers lui. Or, quasi inconditionnelle, l’obligation d’entretien de l’enfant reste, même dans cette hypothèse, exigible (Civ. 2e, 17 juill. 1985, n° 83-13.552), ne cessant que si le majeur reste délibérément oisif (V. Civ. 1re, 25 juin 1996, n° 94-17.619 et 94-17.773). Quoiqu’il en soit, la Cour se contente d’affirmer que le maintien de l’obligation d’entretien des parents après la majorité de l’enfant « ne méconnaît pas le principe de responsabilité, qui ne vaut qu’en matière de responsabilité pour faute », sans autre précision.

En quatrième et dernier lieu, l’auteur de la QPC considérait que l’obligation légale d’entretien contrevenait au droit de mener une vie familiale normale, tel qu’il résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires de leur développement »), texte qui n’était d’ailleurs pas mentionné dans la QPC. Généralement invoqué à l’effet de maintenir l’unité des familles menacées d’être désunies (par le placement ou l’adoption d’enfants par exemple), l’invocation de ce texte était une fois encore inappropriée, « la persistance de cette obligation (d’entretien) n’a(yant) pas pour effet d’empêcher les membres d’une même famille de vivre ensemble ». Il est seulement exclu que la contribution du père à l’entretien de son enfant majeur, libre de choisir sa résidence, dépende de leur cohabitation ; la loi n’exige pas, en effet, que le majeur vive avec ses parents pour obtenir le versement de la contribution (Civ. 2e, 28 janv. 1981, n° 79-13.209). 

Civ. 1re, 18 sept. 2019, n° 19-40.022

Références

■ Civ. 27 nov. 1935 DP 1936.1.25

■ Civ. 2e, 2 avr. 1997, n° 95-18.749 P

■ Civ. 1re, 7 nov. 2012, n° 12-17.394 P : D. 2012. 2661 ; ibid. 2013. 591, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; ibid. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2012. 607, Pratique E. Buat-Ménard ; RTD civ. 2013. 96, obs. J. Hauser

■ Req. 26 juill. 1928 : DP 1929.1.9, 2e esp., note R. Savatier

■ Civ. 2e, 26 sept. 2002, n° 00-21.234 : D. 2002. 2775; AJ fam. 2002. 379, obs. F. B. ; RTD civ. 2003. 74, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 06-19.581 : D. 2008. 353 ; ibid. 2009. 53, obs. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2008. 119

■ Cons. const. 22 oct. 1982, n° 82-144 DC § 3 : D. 1983. 189, note Luchaire

■ Civ. 2e, 29 mai 1996, n° 94-20.511 P : D. 1997. 455, note D. Bourgault-Coudevylle ; RDSS 1997. 396, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1996. 602, obs. J. Hauser

■ Civ. 2e, 17 juill. 1985, n° 83-13.552 P

■ Civ. 1re, 25 juin 1996, n° 94-17.619 et 94-17.773 P : D. 1997. 455, note D. Bourgault-Coudevylle ; RTD civ. 1996. 889, obs. J. Hauser

■ Civ. 2e, 28 janv. 1981, n° 79-13.209

 

Auteur :Merryl Hervieu


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