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[ 21 avril 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Quelle liberté d’expression de l’avocat sur une procédure pénale en cours ?

Si l'avocat, qui ne concourt pas à l'enquête ou à l'instruction, n'est pas soumis aux dispositions de l'article 11 du Code de procédure pénale, il doit, en application des articles 63-4-4 du même code, 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et 2 bis du Règlement intérieur national, respecter le secret de l'enquête et de l'instruction en matière pénale en s'abstenant de communiquer, sauf pour l'exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours.

Civ. 1re, 29 mars 2023, n° 20-50.042

Le 12 février 2019, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Besançon saisissait le conseil de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel, de poursuites dirigées contre un avocat, en raison de divers propos que ce dernier avait tenus dans les médias au cours d’une procédure criminelle dans laquelle il intervenait pour la défense d’un mari mis en cause après le décès de son épouse. Le conseil de discipline allait relaxer l’avocat et la cour d’appel (Besançon, 28 oct. 2020) confirmer cette décision, estimant que l’avocat, en divulguant et en commentant des éléments d'information couverts par le secret professionnel et le secret de l'enquête et de l'instruction, n'avait fait qu'exercer les droits de la défense et ce, dans la limite de sa liberté d'expression dans le cadre d'une stratégie de sa défense.

Dans son pourvoi, le procureur général soutenait que la cour d’appel avait violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (relatif au droit à la liberté d’expression), les articles 63-4-4 du Code procédure pénale, 226-13 et 226-14 du Code pénal et les principes essentiels de la profession d'avocat, estimant pour sa part que l'exception au principe du secret professionnel, de l'enquête et de l'instruction par l'avocat d'une des parties ne saurait s'analyser qu'à la lumière d'un débat d'intérêt général (1er moyen), de sorte que l’avocat aurait dû en l’espèce être sanctionné disciplinairement (2e moyen). Un troisième moyen invoquait une méconnaissance de l’article 455 du Code de procédure civile.

Par son arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Sur le premier moyen, elle conforte l’approche adoptée par la cour d’appel qui « n’était pas tenue de déterminer si les propos relevaient ou non d’un débat d’intérêt général » (§ 6). Sur le deuxième, elle estime que la cour d'appel a pu relaxer l'avocat des fins de la poursuite disciplinaire engagée contre lui dès lors qu’elle n’a constaté aucun manquement aux règles de confraternité, de modération et de courtoisie (§ 7). Sur le troisième, elle juge qu’en l'absence d'agissements punissables retenus à l'encontre de l’avocat, la cour d'appel n'a pu que dire n'y avoir lieu à sanction et le relaxer des fins de la poursuite disciplinaire (§ 12).

La présente solution, rendue en matière civile, rappelle utilement les contours de la liberté d’expression de l’avocat lorsque celui-ci s’exprime sur une affaire pénale en cours. La Première chambre civile énonce ainsi que si l’avocat n’est pas soumis au secret de l’enquête et de l’instruction puisqu’il ne concourt pas à la procédure au sens de l’article 11 du code de procédure pénale, il doit néanmoins « en application des articles 63-4-4 du même code, 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et 2 bis du Règlement intérieur national, respecter le secret de l'enquête et de l'instruction en matière pénale en s'abstenant de communiquer, sauf pour l'exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours » (v. Crim. 18 sept. 2001 ; 27 oct. 2004, sanctionnant la révélation faite à des tiers d’éléments couverts par le secret de l’instruction).

L’article 63-4-4 du Code de procédure pénale précise, depuis la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 portant réforme de la garde à vue que « Sans préjudice de l'exercice des droits de la défense, l'avocat ne peut faire état auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu'il assiste, ni des informations qu'il a recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions et aux confrontations ». Une même obligation (plus générale car non circonscrite à la seule phase de la garde à vue) est consacrée au titre des principes essentiels de la profession d’avocat, à l’article 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, ainsi qu’à l’article 2 bis du Règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat en ces termes (identiques) : « L'avocat respecte le secret de l'enquête et de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf pour l'exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours. Il ne peut transmettre de copies de pièces ou actes du dossier de la procédure à son client ou à des tiers que dans les conditions prévues à l'article 114 du code de procédure pénale ».

Ainsi, le secret demeure le principe. Au plan pénal, sa violation est sanctionnée dans les conditions énoncées par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal, le premier de ces textes prévoyant à cet égard une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Par ailleurs, l’article 434-7-2 du Code pénal, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 et modifié par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, punit spécialement le fait pour toute personne ayant par ses fonctions connaissance, en application du Code de procédure pénale, d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu’elle sait impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité (les peines étant de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende quand l’enquête ou l’instruction concerne un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement relevant de l’article 706-73 du Code de procédure pénale).

La violation du secret par l’avocat ne peut être justifiée que s'il est démontré que les révélations sont faites à des tiers pour l'exercice des droits de la défense. Dans le même temps, l’éventuelle atteinte au secret de l’enquête, dès lors qu’elle n’est pas justifiée, constitue une faute disciplinaire exposant l’avocat à des poursuites par ses pairs. C’est dans ce dernier cadre que le conseil de discipline de l’ordre avait ici été saisi.

En l’occurrence, la Cour de cassation relève, à la suite de la cour d’appel, que l’avocat « n’avait publié ni communiqué aucun document ni aucune pièce ou lettre intéressant l'enquête en cours, ni transmis de copies de pièces ou d'actes du dossier de la procédure à quiconque, et qu'il n'avait pas davantage révélé, divulgué ou communiqué des renseignements extraits du dossier », auquel il n’avait pas encore accès au stade de la garde à vue (§ 6). Interrogé par des journalistes, celui-ci « s'était borné à faire des commentaires publics sur des éléments de l'enquête en cours dont il avait eu connaissance par des organes de presse qui les avaient précédemment divulgués sur leur site internet, en donnant son avis de juriste sur leur caractère nécessairement accablant pour son client » et « s'était exprimé en sa qualité d'avocat de son client dans l'unique objectif d'assurer au mieux sa défense pénale » (ibid.). Dans ces conditions, « le manquement tiré de la violation du secret professionnel et du secret de l'enquête et de l'instruction n'était pas constitué, de sorte qu'il n'avait pas outrepassé les limites de la liberté d'expression dans l'exercice des droits de la défense » (ibid.). On peut ici douter de l’existence d’une violation en l’absence même de toute divulgation d’éléments couverts par le secret, l’avocat s’étant contenté de commenter des éléments déjà divulgués… sur le plan matériel, la divulgation apparaît très discutable, indépendamment de savoir si les propos en cause étaient nécessaires ou non aux droits de la défense.

La solution confirme encore que la levée du secret demeure subordonnée à la (seule) condition de l’exercice effectif des droits de la défense ; ainsi, « la cour d’appel n'était pas tenue de déterminer si les propos tenus relevaient ou non d'un débat d'intérêt général » (§ 6). L’argument soulevé par le parquet général entendait se fonder sur la jurisprudence européenne relative à l’article 10 de la Convention, notamment l’arrêt Mor contre France (CEDH 15 déc. 2011, Mor c/ France). Dans cette affaire, une avocate avait été condamnée pénalement pour avoir tenu dans la presse des propos relatifs à un rapport d’expertise couvert par le secret de l’instruction, et la Cour EDH avait conclu à une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, relevant notamment que les déclarations de la requérante, qui concernaient une question de santé publique et la responsabilité de laboratoires pharmaceutiques et de représentants de l’État, s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général.

Pour la Cour européenne, les avocats, en tant qu’auxiliaires de justice, doivent contribuer au bon fonctionnement de l’institution judiciaire et à la confiance qu’elle doit inspirer (v. not. CEDH 20 mai 1998, Schöpfer c/ Suisse, § 29-30). La liberté d’expression de l’avocat pouvant entrer en jeu avec d’autres intérêts, tels que le droit du public d’être informé sur les questions qui touchent au fonctionnement du pouvoir judiciaire ou les impératifs d’une bonne administration de la justice, elle ne saurait être illimitée, et l’article 10, précisément, accorde une protection particulière au secret de l’instruction, compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen (arrêt Mor c/ France, préc., § 48).

Comme on l’a dit, la loi française arbitre expressément le conflit éventuel entre le respect du secret de l’instruction, d’une part, et la liberté d’expression de l’avocat, d’autre part, en autorisant une communication pour l’exercice des droits de la défense. C’est bien cette seule finalité, directement liée à la profession considérée, qui justifie la violation du secret. Ajouter le critère de la contribution à un débat d’intérêt général (certes issu de la jurisprudence européenne mais plus généralement appliqué aux journalistes ou aux particuliers qui viendraient à révéler des informations couvertes par le secret), reviendrait à ajouter à la lettre de la loi, dans un sens défavorable à la liberté d’expression et en méconnaissance du rôle de l’avocat qui consiste également à démontrer sa capacité à représenter effectivement les justiciables et à défendre leurs intérêts (CEDH, gr. ch., 15 déc. 2005, Kyprianou c/ Chypre, § 105 § 119).

Références :

■ Crim. 18 sept. 2001, n° 00-86.518 P D. 2001. 3171.

■ Crim. 27 oct. 2004, n° 04-81.513 P : D. 2004. 3112 ; AJ pénal 2005. 74, obs. J. C.

■ CEDH 15 déc. 2011, Mor c/ France, req. n° 28198/09 AJDA 2012. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 667, obs. S. Lavric, note L. François ; ibid. 2013. 136, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2012. 337, note C. Porteron ; Légipresse 2012. 14 et les obs. ; ibid. 101, comm. B. Ader ; RSC 2012. 260, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 20 mai 1998, Schöpfer c/ Suisse, req. n° 25405/94 D. 1999. 272, obs. N. Fricero.

■ CEDH, gr. ch., 15 déc. 2005, Kyprianou c/ Chypre, req. n° 73797/01 D. 2007. 825, obs. B. Blanchard.

 

Auteur :Sabrina Lavric


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