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[ 10 juin 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : la révision pour imprévision

Mots-clefs : Changement de circonstances, Imprévisibilité, Éxécution excessivement onéreuse, renégociation, Résolution, Révision

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations consacre et pose les conditions de la révision pour imprévision (C. civ., art. 1195, tel qu’issu de l’ordonnance). Cette disposition entre en vigueur le 1er octobre 2016 ; les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.

Depuis l’affaire du Canal de Craponne et son arrêt rendu le 6 mars 1876, la Cour de cassation refuse d’admettre la révision pour imprévision. Bien que des tempéraments légaux soient admis (ex. C. civ., art. 828 et 900-2) et que des aménagements conventionnels soient possibles (ex. clause d’indexation, de hardship), la jurisprudence a maintenu la solution de 1876. Elle a parfois pris en compte l’imprévision mais sans admettre la révision judiciaire et dans des arrêts à portée limitée (ex. Com. 3 nov. 1992, n° 90-18.547, arrêt Huard et Com. 29 juin 2010, n° 09-67.369, arrêt Soffimat). 

Le nouvel article 1195 du Code civil revient désormais sur la solution actuelle, en énonçant que : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. 

« En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

Plusieurs exigences conditionnent l’application de ce texte. Tout d’abord, l’imprévision est caractérisée par un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat. L’absence de précisions sur le type de circonstances visées, laisse à penser que celles-ci pourront être entendues largement. Des changements de circonstances économiques, mais aussi technologiques ou juridiques pourront, par exemple, peut-être être pris en compte.

Par ailleurs, ce changement doit rendre l'exécution excessivement onéreuse pour une partie. Cette condition accorde au juge une marge de manœuvre importante, quant à l’appréciation de l’onérosité et de son caractère excessif qui semble être une condition restrictive à l’application de l’article 1195 du Code civil. Il est possible de se demander si l’onérosité concernerait une augmentation du coût de l’exécution, mais également, sans augmentation du coût, une perte de profit pour une partie contractante.

Le texte précise également que le demandeur ne doit pas avoir accepté d'en assumer le risque. Cela réduit donc la portée du mécanisme de l’article 1195 qui peut être écarté par une clause du contrat. Reste à savoir si une telle clause sera admise dans les contrats d’adhésion, ou si elle sera réputée non écrite sur le fondement du nouvel article 1171 du Code civil qui prévoit que toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Cet article 1171 précise que l'appréciation du déséquilibre significatif ne doit porter ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. L’hypothèse d’une acceptation des risques pour imprévision ne semblant pas rentrer dans ces cas d’exclusions, une telle clause dans un contrat d’adhésion pourrait, peut-être, être qualifiée d’abusive.

Concernant les effets du dispositif prévu à l’article 1195, celui-ci comporte plusieurs phases. En premier lieu, la partie peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant, mais elle doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. La renégociation n’est pas obligatoire mais, en raison de l’éventuelle intervention judiciaire postérieure les parties seront sûrement incitées à y recourir. Cette étape permet de mener les parties vers une solution amiable. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. Ici encore, les parties sont incitées à prendre l’initiative de la solution. Le texte utilise dans cette hypothèse le terme d’ « adaptation » et non de « révision ». Il est possible de se demander si l’existence de deux termes différenciés aura des conséquences sur l’étendue des pouvoirs du juge dans la modification du contrat.

En dernier lieu, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, il est prévu que : « le juge [puisse], à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ». Ainsi, la révision ou la résolution judiciaire pourra être obtenue à la demande d’une partie unique, mais seulement en cas d’échec des mécanismes basés sur la volonté des deux parties. L’immixtion du juge dans le cadre de son pouvoir de révision, atténuant la liberté contractuelle et la force obligatoire du contrat, est ainsi nécessaire afin de rééquilibrer le contrat. Reste alors à la jurisprudence de déterminer les critères du délai raisonnable et l’étendue du pouvoir de révision, laquelle n’est pas bornée dans le texte.

En définitive, la consécration de la révision pour imprévision semble avoir une portée limitée par la possibilité pour les parties d’exclure le mécanisme de l’article 1195 et par ce long processus qui les incite à trouver une solution amiable afin d’éviter l’intervention judiciaire. De surcroît, le champ d’application de l’article 1195 sera déterminé par l’interprétation que la jurisprudence aura des conditions du texte, s’agissant notamment, de l’appréciation des « circonstances » et de « l’exécution excessivement onéreuse ».

Article 1195 du code civil, tel qu’issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrant en vigueur le 1er octobre 2016. 

Références

■ Civ. 6 mars 1876Canal de Craponne.

■ Com. 3 nov. 1992, n° 90-18.547 P, D. 1995. 85, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 1993. 124, obs. J. Mestre.

■ Com. 29 juin 2010, n° 09-67.369, D. 2010. 2481, note D. Mazeaud ; ibid. 2485, note T. Genicon ; ibid. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2010. 782, obs. B. Fages ; ibid. 2011. 87, obs. P. Deumier.

 

Auteur :C. D.


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