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Droit des obligations
Renonciation au bénéfice de la condition suspensive : seul l’acquéreur-emprunteur peut s’en prévaloir
Mots-clefs : Droit de la consommation, Crédit immobilier, Condition suspensive, Obtention d'un prêt, Intérêt exclusif de l'acquéreur, Faculté de renonciation
Seul l’acquéreur-emprunteur peut renoncer au bénéfice de la condition suspensive stipulée, dans un compromis de vente immobilière, dans son intérêt exclusif.
La condition suspensive d'obtention d'un prêt est connue pour être l’objet d’une jurisprudence abondante. La faculté de renoncer à son bénéfice, en particulier, a fait naître certaines confusions que la décision rapportée contribue à clarifier.
En l’espèce, une promesse synallagmatique de vente immobilière avait été conclue en juillet 2005 sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt qui devait être réalisée avant le 9 septembre 2005, tandis que la réitération de la vente devait intervenir au plus tard le 6 février 2006. Faute de réalisation de la condition, les promettants avaient refusé de régulariser la vente, en dépit de la sommation délivrée par les bénéficiaires, puis avaient assigné ces derniers en nullité et, subsidiairement, en caducité de la promesse de vente, tandis que les bénéficiaires avaient poursuivi à titre reconventionnel l'exécution forcée de la vente. Pour dire que la promesse de vente était devenue caduque au 9 septembre 2005 du fait de la défaillance de la condition suspensive et rejeter la demande des bénéficiaires en exécution forcée de la vente, la cour d’appel retint que si la condition litigieuse avait été stipulée dans le seul intérêt des bénéficiaires, ces derniers n'avaient cependant pas renoncé à son bénéfice dans le délai contractuel prévu, en sorte que les promettants pouvaient se prévaloir de la caducité de l'acte.
Au visa de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 (nouv. art. 1103 du Code civil), et de l'article L. 312-16 du Code de la consommation, cette décision est cassée en vertu de la règle prétorienne selon laquelle lorsqu'une condition suspensive est stipulée dans l'intérêt exclusif de l'une des parties, seule celle-ci peut se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de cette condition, en sorte que la cour d'appel, qui avait constaté que l'offre de prêt avait été adressée le 31 octobre 2005 aux acquéreurs qui avaient sommé leurs vendeurs de régulariser l'acte authentique le 2 février 2006, ne pouvait sans violer les textes précités prononcer la caducité de la promesse.
Lorsqu’une condition suspensive est stipulée dans l'intérêt exclusif d'une partie au contrat, seule cette dernière peut y renoncer. Il en va en particulier ainsi de la condition suspensive d'obtention d'un prêt relevant des dispositions de l'article L. 312-16 du Code de la consommation (V. Civ. 3e, 24 sept. 2003, n° 02-11.815 et Civ. 3e, 22 juin 2004, n° 03-10.736). Ce texte présume que tout contrat d'acquisition immobilière, qui fait mention du paiement du prix à l'aide d'un prêt conclu dans les conditions des articles L. 312-1 et suivants du Code de la consommation, est conclu sous la condition suspensive de l'obtention dudit prêt dans les conditions prévues dans l'acte de vente. La jurisprudence a conféré à ce mécanisme suspensif un caractère d'ordre public et annulé toutes les clauses ayant pour effet d’entraver sa mise en œuvre (Civ. 3e, 6 juill. 2005, n° 04-13.381 ; Civ. 3e, 18 juill. 1986, n° 85-12.604).
Ce n’est toutefois que par une décision assez récente que la Cour de cassation affirma que cette condition suspensive est édictée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur-emprunteur (Civ. 3e, 8 juill. 2014, n° 13-17.386). Ainsi l’argument de la ratio legis l’a-t-il emporté sur la lettre du texte, lequel n’impose que l’existence même de la condition suspensive et un délai minimum pour permettre sa réalisation, sans se prononcer sur la possibilité de renoncer ou non à la défaillance de celle-ci. C'est la jurisprudence qui a décidé que ce texte soutenait le seul intérêt de l'acquéreur-emprunteur et que seul celui-ci pouvait en conséquence se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de la condition, stipulée dans son intérêt exclusif. La décision rapportée confirme cette évolution jurisprudentielle, conforme à l’esprit de la loi Scrivener ; en effet, l'article L. 312-16 a été introduit dans la loi n° 79-596 du 13 juillet 1979 dans le seul but de protéger le consommateur : si cette condition suspensive n’avait pas été introduite, le signataire d'un compromis de vente aurait alors été tenu d'honorer son engagement même s'il n’avait pas obtenu le prêt nécessaire au paiement du prix, autrement dit, il aurait dû renoncer à son engagement d'achat et indemniser en conséquence le promettant.
Par faveur pour l’acquéreur-emprunteur, en cas de défaillance de la condition suspensive, ce dernier échappe donc à toute sanction pécuniaire contractuelle. La condition suspensive est donc bien établie dans l'intérêt de l'acquéreur, ce dont la Cour déduit que seul ce dernier peut se prévaloir des conséquences de sa défaillance. Si le bénéficiaire de la condition peut opposer la défaillance de celle-ci à des poursuites en exécution du compromis de vente, à l’inverse, le vendeur ne peut exciper de cette défaillance pour refuser de conclure la vente. Cette conséquence n’est pas exempte de critiques. En effet, si tant qu’elle est pendante, la faculté de renoncer au bénéfice de la condition est tout à fait admissible, le contrat devenant alors parfait (V. Civ. 3e, 13 oct. 1999, n° 97-21.682), une fois la survenance ou la non-survenance de l'événement, son exercice paraît plus contestable dans la mesure où la faculté de renonciation ne devrait être admise que dans le délai imparti pour la réalisation de la condition, c’est-à-dire tant que celle-ci n’est pas accomplie, et avant sa défaillance. Telle n'est pas la position de la jurisprudence, comme en témoigne la décision rapportée. Celle-ci trouve néanmoins écho en doctrine. Ainsi, pour certains auteurs, les effets de la défaillance de la condition suspensive ne doivent se produire que si le bénéficiaire le souhaite, rejetant l'idée de l'automaticité attachée à la condition (V. M. Latina, Essai sur la condition en droit des contrats, préf. D. Mazeaud : LGDJ 2009, n° 605). Et pour justifier la solution ici retenue, ils invitent à considérer qu'il n'y a pas une renonciation aux effets acquis de la défaillance mais au droit de faire produire effet à celle-ci (M. Latina, op. cit., n° 606). Cette analyse aboutit, néanmoins, à rendre le vendeur tributaire du bon vouloir de son co-contractant.
Civ. 3e, 27 oct. 2016, n° 15-23.727
Références
Civ. 3e, 24 sept. 2003, n° 02-11.815 P; D. 2003. 2694, et les obs. ; AJDI 2004. 151, obs. S. Prigent ; RTD civ. 2003. 697, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 2004. 112, obs. P.-Y. Gautier.
Civ. 3e, 22 juin 2004, n° 03-10.736
Civ. 3e, 6 juill. 2005, n° 04-13.381 P; D. 2005. 2145, obs. C. Rondey.
Civ. 3e, 18 juill. 1986, n° 85-12.604 P.
Civ. 3e, 8 juill. 2014, n° 13-17.386; D. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki.
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