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[ 3 mai 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Résolution unilatérale du contrat : un domaine réservé

L’exigence de mise en demeure du débiteur défaillant prévue par l’article 1226 du Code civil relatif à la résolution unilatérale du contrat ne s’applique pas à la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail.

Dans un avis rendu le 3 avril dernier, la Cour de cassation a refusé d’étendre la règle de droit commun contractuel, relative à la résolution unilatérale du contrat, à la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail.

Alors que le nouvel article 1226 du Code civil impose, préalablement à toute résolution unilatérale du contrat, de mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement, la Cour a estimé que cette exigence procédurale n'avait pas lieu d'incomber au salarié en cas de prise d'acte.

Créée par les juges il y a maintenant plus de quinze ans, la prise d’acte, dont la notion comme le régime restent sans fondement légal, permet au salarié qui reproche des fautes à son employeur de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, cette rupture produisant les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués, en raison de leur gravité, le justifient, soit, le cas échéant, d'une démission (Soc. 25 juin 2003, n° 01-41.150, 01-43.578, 01-42.679, 01-42.335, 01-40.235).

La référence à la gravité des manquements susceptibles d’être reprochés à l’employeur, dans le cadre d’un contrat, certes spécifique – le contrat de travail, mais synallagmatique, permet de comprendre la question en l’espèce soumise à la Cour, à savoir si la condition de droit civil liée à la mise en demeure du débiteur de s’exécuter devait être étendue, en droit social, à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. En effet, sanction propre à l’inexécution d’un contrat synallagmatique, la résolution unilatérale du contrat, sans intervention judiciaire préalable, suppose, pour être valablement opérée, d’être justifiée par la gravité des manquements contractuels reprochés et, sur un plan procédural, la mise en demeure du débiteur fautif. Etant précisé que ce mode désormais codifié de résolution contractuelle est, à l’instar de la prise d’acte, d’origine prétorienne (Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485). 

La question posée consistait donc à savoir s’il convenait également de contraindre le salarié à mettre en demeure son employeur, préalablement à la prise d’acte, de remplir ses obligations.

Dans cette affaire, après qu’un salarié eut ainsi rompu son contrat de travail, son employeur lui avait enjoint de reprendre ses fonctions. Faute d’avoir obtempéré, le salarié avait été licencié pour faute grave. Afin d’obtenir le versement d’heures supplémentaires restées impayées et le versement de dommages-intérêts pour les fautes, graves, que son employeur aurait commises, il avait saisi la juridiction prud’homale. A cette occasion, son employeur avait soumis aux juges la question finalement transmise pour avis à la chambre sociale de la Cour de cassation.

Celle-ci se dit défavorable à une telle extension, pour une raison apparente liée à l’application de la règle selon laquelle les dispositions générales ne s’appliquent qu’à défaut de dispositions particulières régissant le même contrat (C. civ., art. 1105) : « les modes de rupture du contrat de travail, à l'initiative de l'employeur ou du salarié, sont régis par des règles particulières, et emportent des conséquences spécifiques, de sorte que les dispositions de l'article 1226 du code civil ne leur sont pas applicables ». Cependant, la prise d’acte n’étant pas soumise à des règles spécifiques en vertu de la loi, mais de la jurisprudence, l’articulation précédente n’a pas vocation, en l’occurrence, à recevoir application.

La raison doit en fait être trouvée dans les différences de fond opposant, malgré leur apparente proximité, la prise d’acte du contrat de travail et la résolution unilatérale d’un contrat de droit commun. La première réside dans le rôle du juge : si depuis sa création, l’intérêt de la résolution unilatérale du contrat, par essence extrajudiciaire, a consisté à écarter le recours au juge, lequel ne peut intervenir qu’à posteriori, en cas d’éventuelle contestation, la prise d’acte requiert au contraire de faire appel au juge, qui doit en apprécier le bien-fondé, quitte à la requalifier. La seconde tient à la nature de la faute, la prise d'acte pouvant être fondée sur tout manquement imputable à l’employeur, même hors du champ contractuel, tandis que la résolution unilatérale est restreinte à la gravité d’un manquement contractuel du débiteur, et non de son comportement ou d’une autre faute, détachable, du contrat.

Soc., avis, 3 avr. 2019, n° 15003

Références

■ Soc. 25 juin 2003, n° 01-41.15001-43.57801-42.67901-42.33501-40.235: Dr. soc. 2003. 814, avis P. Lyon-Caen ; ibid. 817, note G. Couturier et J.-E. Ray

■ Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485: D. 1999. 197, note C. Jamin ; ibid. 115, obs. P. Delebecque ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre ; ibid. 506, obs. J. Raynard

 

Auteur :Merryl Hervieu


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