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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité médicale : un manque d’information, deux préjudices indemnisables
Mots-clefs : Responsabilité médicale, Obligation d’information, Risque, Réalisation, Manquement, Perte de chance, Préjudice d’impréparation, Distinction
Indépendamment des cas dans lesquels le défaut d'information sur les risques a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation de l'un de ces risques, en refusant qu'il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d'information cause à celui auquel l'information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d'un défaut de préparation aux conséquences d'un tel risque.
A la suite du diagnostic d’une sténose carotidienne droite, une patiente avait consulté un chirurgien vasculaire avant d’être admise dans une clinique en vue d’un bilan vasculaire complémentaire. Après la réalisation, le lendemain, d’une artériographie, la patiente avait présenté une hémiplégie des membres inférieur et supérieur gauches. La cour d’appel, reprochant aux praticiens un défaut d’information, les condamna à verser certaines indemnités à la victime et à la caisse de sécurité sociale, en réparation, d’une part, de la perte de chance d’éviter le dommage et, d’autre part, du préjudice moral d’impréparation, la part du dommage corporel non réparée par les praticiens ayant, par ailleurs, été mise à la charge de l’ONIAM.
A l’appui de leur pourvoi en cassation, les praticiens invoquaient, au nom du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, la violation des articles 1147 (devenu 1231-1) et 1382 (devenu 1240) du Code civil, et reprochaient également aux juges du fond d’avoir réparé deux fois le même dommage, le préjudice moral d’impréparation à la réalisation du dommage étant de fait, selon eux, absorbé par la perte de chance de l’éviter. Leur pourvoi est rejeté en ces termes : « Mais attendu qu’indépendamment des cas dans lesquels le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, qui, dès lors qu’il est invoqué, doit être réparé ; qu’il en résulte que la cour d’appel a retenu, à bon droit et sans méconnaître le principe de réparation intégrale, que ces préjudices distincts étaient caractérisés et pouvaient être, l’un et l’autre, indemnisés (…) ».
Le manquement à l’obligation médicale d’informer le patient des soins envisagés, ainsi que de leurs risques éventuels (CSP, art. L. 1111-2) donnait lieu, avant un revirement (Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591), à l'indemnisation de la seule perte de chance pour le patient, s'il avait été suffisamment informé, de renoncer aux soins prodigués ou à l’intervention réalisée. Depuis lors, le défaut d'information ouvre droit à la réparation d'un préjudice distinct dit d'impréparation, sur le fondement des articles 16 et 16-3 du Code civil (Civ. 1re, 3 juin 2010, préc.). Si la doctrine avait auguré la disparition, par la reconnaissance de nouveaux chefs de préjudice, de celui né de la perte de chance, la survie de cette dernière a néanmoins été, comme en témoigne la décision rapportée, confirmée (Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 12-14.813). Les Hauts magistrats rappellent ici l’autonomie de ces deux types de préjudices (V. déjà Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123), la perte de chance constituant un préjudice distinct du préjudice moral d’impréparation, comme elle l’est des éventuelles autres atteintes corporelles constatées.
Indépendant et spécifique, ce préjudice d'impréparation à la réalisation du risque dont le patient n'a pas été informé a également reçu, l'onction du juge administratif (CE 10 oct. 2012, Beaupère c/ CHRU de Rouen, n° 350426).
Administratif ou judiciaire, le juge offre donc au patient insuffisamment informé des risques de l'intervention le droit d'être, outre les dommages-intérêts obtenus à l’effet de réparer sa perte de chance le droit à voir réparer son préjudice moral. La solution retenue en 2012 par le Conseil d’État, si elle semble identique à celle de la première chambre civile, s’en démarque toutefois quant à la définition du préjudice réparable : alors que le Conseil d'État le circonscrit au seul préjudice d'impréparation à la réalisation du risque, la Cour de cassation vise plus largement, outre « le défaut de préparation psychologique aux risques encourus », le « ressentiment éprouvé à l'idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle (i.e. à l'acte médical) » (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510). Ainsi, le droit à réparation ne dépend pas de la perte de chance, ses contours varient ainsi selon le juge saisi : si pour le juge administratif, la réparation du préjudice d'impréparation suppose la seule réalisation du risque, l'entorse au droit de consentir de manière éclairée à l’atteinte portée à l’intégrité corporelle n’est prise en compte que par le seul juge civil, ce second chef de préjudice suivant la logique des droits subjectifs naturellement étrangère au juge administratif, centré sur le seul préjudice d'impréparation. Il en ressort que, sous l’angle purement civil, le droit à l'information est vu comme un droit personnel, détaché des atteintes corporelles et accessoire au droit à l'intégrité physique. L’atteinte à ce droit subjectif cause un préjudice moral évidemment réparable, né tant de l’impréparation psychologique aux risques encourus et réalisés que du ressentiment éprouvé à l'idée d’avoir été privé de consentir librement à l’atteinte portée à son intégrité corporelle (Civ. 1re, 12 juill. 2012, préc.).
Civ. 1re, 25 janvier 2017, n° 15-27.898
Références
■ Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591 P, AJDA 2010. 2169, note C. Lantero ; D. 2010. 1522, obs. I. Gallmeister, note P. Sargos ; ibid. 1801, point de vue D. Bert ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RDSS 2010. 898, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2010. 571, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 10 avr. 2013, n° 12-14.813.
■ Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123 P, D. 2014. 589 ; ibid. 584, avis Léonard Bernard de la Gatinais ; ibid. 590, note M. Bacache ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; ibid. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2014. 295, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2014. 379, obs. P. Jourdain.
■ CE 10 oct. 2012, Beaupère c/ CHRU de Rouen, n° 350426, Lebon ; AJDA 2012. 1927 ; ibid. 2231, note C. Lantero ; D. 2012. 2518, obs. D. Poupeau ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RDSS 2013. 92, note D. Cristol.
■ Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510 P, D. 2012. 2277, note M. Bacache ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 737, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2013. 292-36, obs. N. Rias.
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