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[ 17 janvier 2013 ] Imprimer

Procédure pénale

Retour sur les provocations policières

Mots-clefs : Enquête, Principe de loyauté, Preuve

Les exigences du droit à un procès équitable et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, qui s’imposent aux autorités chargées d’apporter la preuve, emportent l’interdiction des ruses et stratagèmes, manœuvres pour pousser l’individu à commettre l’infraction. Seules les provocations policières qui constatent ou confirment un comportement délictueux déjà soupçonné sont permises.

Au plan européen, la Cour européenne des droits de l’homme a d’abord admis que le principe du procès équitable, consacré à l'article 6 de la Convention EDH, ne fait pas obstacle à l'admission de modes de preuve déloyaux dès lors qu'ils sont débattus contradictoirement (CEDH 12 juil. 1988, Schenk c/ Suisse). Puis, la juridiction européenne a borné le recours aux incitations policières, opérant une distinction entre les infiltrations permises et les provocations, attentatoires à l'article 6 § 1er de la Convention, en ce qu’elles exercent sur la personne qui en fait l'objet une influence de nature à l'inciter à commettre une infraction qu'autrement elle n'aurait pas commise (CEDH 9 juin 1998, Teixiera de Castro c/ Portugal et CEDH, gde ch., 5 février 2008, Ramanauskas c/ Lituanie).

En l’espèce, le requérant, déjà condamné pour acquisition et détention illicites de stupéfiants, a été contacté par un agent de police infiltré, qui envisageait d’effectuer un « achat test » de stupéfiants dans le cadre d’une enquête. L’opération fut autorisée par le parquet général. À deux reprises, le requérant vendit des amphétamines à l’agent, qui le paya avec des billets de banque marqués. À une troisième occasion, il prit l’argent de l’agent infiltré mais, s’étant rendu compte que les billets portaient une marque, ne fournit pas les stupéfiants demandés. Il fut condamné à une peine de dix ans d’emprisonnement pour acquisition et possession illicites aggravées de substances narcotiques dans l’intention de les vendre. Le tribunal se fonda en particulier sur les actes issus de l’opération d’infiltration : déclarations écrites des policiers relatives aux « achats tests », rapports concernant l’enregistrement des conversations entre le requérant et l’agent infiltré, billets de banque portant des marques… Se plaignant d’avoir été incité par un policier à commettre l’infraction, devant la Cour suprême, il fut débouté. Le requérant se tourna alors vers la juridiction européenne alléguant que l’incitation par un policier infiltré à commettre l’infraction pour laquelle il avait été condamné est constitutive d’une violation de l’article 6 § 1er de la Convention.

Pour conclure à la violation, la Cour européenne se fonde sur le fait que les autorités n’ont pas convenablement examiné le grief du requérant selon lequel il avait été incité à commettre une infraction. Les tribunaux auraient dû rechercher s’il avait été victime ou non d’une incitation. La Cour relève que les tribunaux lettons n’ont examiné ni des éléments de preuve objectifs indiquant les raisons pour lesquelles le policier avait tenté d’entrer en contact avec le requérant, ni si les enquêteurs ont participé à une infraction déjà en train d’être commise. À cet égard, il appartient aux juridictions nationales de s'assurer que l’activité de trafic préexistait aux propositions d'achat du policier, ce critère caractérisant l'absence de provocation. Or en l’espèce, la décision par laquelle le parquet général avait autorisé « l’achat test » a été classée secrète et n’a pas été versée au dossier pénal. De surcroît, la Cour constate que rien n’indique que les tribunaux ont tenté de consulter les documents secrets et donc de vérifier les informations en possession du parquet, lesquelles leur auraient été nécessaires pour garantir un procès équitable.

En France, le principe de la loyauté de la preuve s'oppose également à l'admission des preuves obtenues sur provocations policières (Crim. 27 févr. 1996). Ce principe vaut pour toutes les enquêtes, qu'elles soient le fait d'autorités françaises ou étrangères (Crim. 7 févr. 2007). La chambre criminelle opère une distinction entre : 

– provocation à la preuve, destinée à faire apparaître la preuve d'une infraction qui se serait de toute façon commise sans son intervention ;

– et, provocation à l'infraction qui, sans leur intervention, n'aurait pas eu lieu.

Dans cette dernière hypothèse, la preuve est illégale.

Certains tempéraments ont été introduits par le législateur. D’abord, en matière de criminalité organisée, le Code de procédure pénale prévoit, depuis la loi n° 2004-904 du 2 mars 2004, dite « loi Perben II », la possibilité pour des officiers de police judiciaire de procéder à des opérations de surveillance, d'infiltrations et de sonorisation de locaux privés (C. pr. pén., art. 706-80 s.). Cependant, leur simple témoignage ne pourra suffire à fonder une condamnation (C. pr. pén., art. 706-87) sauf à ce que les agents infiltrés déposent sous leur véritable identité. En matière du trafic de stupéfiants, ensuite, la loi interdit toute provocation de la part des enquêteurs en prévoyant que l'autorisation de procéder à une livraison contrôlée de produits stupéfiants « ne peut être donnée que pour des actes ne déterminant pas la commission des infractions visées au premier alinéa » (C. pr. pén., art. 706-32, al. 2, in fine). Enfin, l’article 706-47-3 du Code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, autorise les enquêteurs à participer à des échanges électroniques, donc à des forums pédophiles.

CEDH 08 janv. 2013, Baltiņš c. Lettonie, n°25282/07

Références

■ CEDH 12 juil. 1988, Schenk c/ SuisseRSC 1988. 840, obs. L.-E. Pettiti et F. Teitgen

■ CEDH 9 juin 1998, Teixiera de Castro c/ Portugal.

■ CEDH, gde ch., 5 février 2008, Ramanauskas c/ Lituanie.

 Crim. 27 févr. 1996, n°95-81.366.

■ Crim. 7 févr. 2007, n°06-87.753, AJ pén. 2007. 233, obs. M.-E. C. ; RSC 2007. 560, obs. J. Francillon.

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable 

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ Code de procédure pénale

Article 706-32

« Sans préjudice des dispositions des articles 706-81 à 706-87 du présent code, et aux seules fins de constater les infractions d'acquisition, d'offre ou de cession de produits stupéfiants visées aux articles 222-37 et 222-39 du code pénal, d'en identifier les auteurs et complices et d'effectuer les saisies prévues au présent code, les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, les agents de police judiciaire peuvent, avec l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits qui en avise préalablement le parquet, et sans être pénalement responsables de ces actes : 

1° Acquérir des produits stupéfiants ; 

2° En vue de l'acquisition de produits stupéfiants, mettre à la disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication. 

A peine de nullité, l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure et les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction. »

Article 706-47-3

« Dans le but de constater les infractions mentionnées aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal et, lorsque celles-ci sont commises par un moyen de communication électronique, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, les officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l'enquête ou sur commission rogatoire peuvent, s'ils sont affectés dans un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin, dans des conditions précisées par arrêté, procéder aux actes suivants sans en être pénalement responsables : 

1° Participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ; 

2° Être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de ces infractions ; 

3° Extraire, transmettre en réponse à une demande expresse, acquérir ou conserver des contenus illicites dans des conditions fixées par décret. 

A peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions. »

Article 706-80

« Les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, les agents de police judiciaire, après en avoir informé le procureur de la République et sauf opposition de ce magistrat, peuvent étendre à l'ensemble du territoire national la surveillance de personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de les soupçonner d'avoir commis l'un des crimes et délits entrant dans le champ d'application des articles 706-73 ou 706-74 ou la surveillance de l'acheminement ou du transport des objets, biens ou produits tirés de la commission de ces infractions ou servant à les commettre. 

L'information préalable à l'extension de compétence prévue par le premier alinéa doit être donnée, par tout moyen, au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel les opérations de surveillance sont susceptibles de débuter ou, le cas échéant, au procureur de la République saisi en application des dispositions de l'article 706-76. »

Article 706-87

« Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites par les officiers ou agents de police judiciaire ayant procédé à une opération d'infiltration. 

Les dispositions du présent article ne sont cependant pas applicables lorsque les officiers ou agents de police judiciaire déposent sous leur véritable identité. »

 

Auteur :C. L.


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