Actualité > À la une

À la une

[ 22 novembre 2013 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Rupture brutale des relations commerciales et respect du délai de préavis

Mots-clefs : Relations commerciales établies, Rupture brutale, Préavis contractuel, Pouvoirs du juge

L’existence d’un délai de préavis contractuel ne dispense pas la juridiction d’examiner si ce délai de préavis tient compte de la durée de la relation commerciale et d’autres circonstances au moment de la notification de la rupture.

Le droit français prohibe les engagements perpétuels, mais dans quelles conditions une partie peut-elle mettre fin à des relations commerciales établies ?

C'est à cette question que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce répond, en prévoyant l’engagement de la responsabilité de celui qui met un terme à une relation commerciale établie dans des conditions contraires à l'exigence de loyauté. Ainsi le texte définit-il la rupture brutale en ces termes : « (...) rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». 

En toute hypothèse et à défaut de remplir l'ensemble des critères exigés par ce texte, propre aux pratiques restrictives de concurrence, la victime de la rupture conserve la possibilité de fonder son action sur l'article 1382 du Code civil (Com. 14 mars 2000).

C’est sur ce texte de droit commun que la société victime de la rupture avait, dans la décision rapportée, sollicité la condamnation de son ancien partenaire commercial au paiement d’une indemnité calculée en fonction du délai de préavis contractuel. En appel, les juges refusèrent de tenir compte du délai de vingt-quatre mois contractuellement convenu pour le limiter à six mois, compte tenu de la brièveté de la relation commerciale existant entre les parties. La victime de la rupture forma alors un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir ainsi porté atteinte à la force obligatoire des conventions.

La question se posait donc de savoir si le juge est lié, en cas de rupture d’une relation commerciale établie, par le délai de préavis contractuellement convenu entre les parties. La Cour de cassation y répond par la négative, jugeant que « l’existence d’un délai de préavis contractuel ne dispense pas la juridiction d’examiner si ce délai de préavis tient compte de la durée de la relation commerciale et d’autres circonstances au moment de la notification de la rupture » (v. déjà Com. 6 nov. 2012). 

Si l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui fonde la sanction de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, renvoie aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels pour déterminer ce qu’est un préavis suffisant, la Cour de cassation a récemment eu l'occasion de préciser que l'existence d'usages professionnels ne dispense pas les juges du fond de vérifier si le préavis, quand bien même il respecterait le délai minimal fixé par ces usages, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce (Com. 3 mai 2012). 

La décision rapportée révèle, à propos du préavis contractuel, une analyse identique. Ainsi, indépendamment de ce que prévoient les usages, les normes professionnelles ou les stipulations des parties, il appartient au juge d'apprécier souverainement le caractère suffisant du délai de préavis, au regard de la durée de la relation commerciale et des circonstances entourant sa rupture. Eu égard à l’appréciation in concreto à laquelle se livre le juge en cette matière, le respect du délai contractuellement convenu par les parties, s’il n’est pas automatique, demeure possible.

La Cour de cassation en a témoigné dans une espèce concernant la résiliation d'un contrat à durée indéterminée, en cours depuis de nombreuses années, par un concessionnaire ayant respecté un préavis contractuellement limité à six mois. La Cour avait rejeté le pourvoi de son ancien partenaire commercial en ces termes : « Après avoir constaté que la Société Y. avait respecté le délai de préavis de six mois prévu par le contrat à durée indéterminée la liant à la Société L., l'arrêt écarte l'appréciation des premiers juges, fondée sur la seule durée des relations contractuelles, et observe que le délai convenu permettait à la Société L., concessionnaire de plusieurs marques, de pallier les inconvénients de la perte de la concession Y. ; que la cour d'appel (...) a pu décider que le délai contractuel était raisonnable et suffisant » (Com. 31 janv. 2006). 

À ce titre, les juges retiennent généralement qu'un délai de six à douze mois doit être regardé comme « raisonnable » (Lyon, 15 mars 2002 ; T. com. Paris, 2 avr. 1999 ;  Paris, 16 févr. 1993 ; Paris, 3 déc. 1999) et qu'un préavis supérieur à un an ne peut être exigé qu’en cas de circonstances exceptionnelles (Versailles, 27 avr. 2000). 

En l’espèce, de telles circonstances faisaient défaut au vu, tant du peu d’ancienneté des relations commerciales entretenues par les parties, que de l’inexécution des travaux d’aménagement du magasin que ces dernières avaient à l’origine prévu d’engager au profit de la victime de la rupture. Par conséquent, le préavis de vingt-quatre mois stipulé au contrat devait, dans cette affaire, être écarté et limité à six mois, délai que la teneur des relations des parties et les autres circonstances de l’espèce suffisaient à rendre raisonnable.

Com. 22 oct. 2013, n°12-19.500

 

Références

■ Com. 14 mars 2000, n°97-15.981, CDE 2000, n° 4, p. 20, obs. Mainguy et Respaud.

■ Com. 6 nov. 2012, n° 11-24.570.

■ Com. 3 mai 2012, n° 11-10.544.

■ Com. 31 janv. 2006, n°03-13.739.

 Lyon, 15 mars 2002, Lettre distrib. 04/2002, p. 1.

■  T. com. Paris, 2 avr. 1999, JCP E 2000, p. 178, Mainguy ; D. Affaires 1999. 980.

■ Paris, 16 févr. 1993, RJDA 8-9/1993, n° 689.

■ Paris, 3 déc. 1999, BRDA 6/2000, n° 13.

■ Versailles, 27 avr. 2000, RJDA 9-10/2000, n° 834, p. 664. 

 Article 1382 du Code civil

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » 

■ Article L. 442-6 du Code de commerce

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires ou en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ; 

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; 

3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ; 

4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ; 

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ; 

6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ; 

7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6. Est notamment abusif le fait, pour le débiteur, de demander au créancier, sans raison objective, de différer la date d'émission de la facture ; 

8° De procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ; 

9° De ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une activité professionnelle ; 

10° De refuser de mentionner sur l'étiquetage d'un produit vendu sous marque de distributeur le nom et l'adresse du fabricant si celui-ci en a fait la demande conformément à l'article L. 112-6 du code de la consommation ; 

11° D'annoncer des prix hors des lieux de vente, pour un fruit ou légume frais, sans respecter les règles définies aux II et III de l'article L. 441-2 du présent code ; 

12° De ne pas joindre aux fruits et légumes frais destinés à la vente ou à la revente à un professionnel établi en France, lors de leur transport sur le territoire national, le document prévu à l'article L. 441-3-1 ; 

13° De bénéficier de remises, rabais et ristournes à l'occasion de l'achat de fruits et légumes frais en méconnaissance de l'article L. 441-2-2. 

II.-Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité : 

a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ; 

b) D'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ; 

c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur lui ; 

d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ; 

e) D'obtenir d'un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 mètres carrés qu'il approvisionne mais qui n'est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert de son activité ou une obligation de non-concurrence postcontractuelle, ou de subordonner l'approvisionnement de ce revendeur à une clause d'exclusivité ou de quasi-exclusivité d'achat de ses produits ou services d'une durée supérieure à deux ans.

L'annulation des clauses relatives au règlement entraîne l'application du délai indiqué au deuxième alinéa de l'article L. 441-6, sauf si la juridiction saisie peut constater un accord sur des conditions différentes qui soient équitables. 

III.-L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. 

Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation. 

La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée. 

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte. 

Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. 

Ces juridictions peuvent consulter la Commission d'examen des pratiques commerciales prévue à l'article L. 440-1 sur les pratiques définies au présent article et relevées dans les affaires dont celles-ci sont saisies. La décision de saisir la commission n'est pas susceptible de recours. La commission fait connaître son avis dans un délai maximum de quatre mois à compter de sa saisine. Il est sursis à toute décision sur le fond de l'affaire jusqu'à réception de l'avis ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de quatre mois susmentionné. Toutefois, des mesures urgentes ou conservatoires nécessaires peuvent être prises. L'avis rendu ne lie pas la juridiction. 

IV.-Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. »

 

 

Auteur :M. H.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr