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[ 8 octobre 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

Sanctions administratives et sanctions pénales, l’inapplication persistante de non bis in idem

La réserve émise par la France pour l’application de l’article 4 du protocole 7 à la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas contraire à l’article 57 de la Convention et justifie alors l’inapplication du principe non bis in idem aux sanctions pénales prononcées après des sanctions fiscales avec lesquelles elles peuvent se cumuler. La seule réserve à ce cumul réside dans le principe de proportionnalité des peines qui suppose quant à lui une comparaison de peines de même nature. 

Br. M et B. M ont revendu des véhicules provenant d’un autre État de l’Union européenne en faisant application du régime de la TVA sur la marge et non sur le prix de vente totale, consistant dans une fraude à la TVA. Suite à l’avis conforme de la commission des infractions fiscales, l’administration fiscale a déposé plainte pour fraude fiscale. L’enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République devait se solder par la poursuite de Br. M et B. M sur les fondements respectifs de fraude fiscale aggravée et de complicité de fraude fiscale aggravée pour minoration des déclarations de TVA. Ayant déjà fait l’objet de pénalités fiscales de 80% pour les mêmes faits, Br. M soulève, dès la première instance, une exception de procédure sur le fondement de l’application du principe non bis in idem tel qu’il est énoncé à l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme. Le tribunal correctionnel le relaxe sur ce même fondement. A la suite de l’appel interjeté par les prévenus, le procureur de la République et l’administration publique, la cour d’appel de Besançon infirme le jugement du tribunal correctionnel, rejetant l’exception tirée de l’application de non bis in idem, et condamnant notamment Br. M à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis. Les prévenus se pourvoient en cassation et avancent deux moyens dont seul le premier est recevable, tiré de la violation de l’article 4 du protocole n° 7 précité. 

Les deux premières branches du moyen sont relatives à l’application du principe d’interdiction du cumul des poursuites pour de mêmes faits sous-tendu par non bis in idem. Il est avancé au soutien du pourvoi que la réserve émise par la France pour l’application de l’article 4 du protocole n° 7 selon laquelle « le gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole » n’est pas conforme à l’article 57 de la Convention. Ce dernier subordonne la validité des réserves à plusieurs conditions, notamment le caractère non général des réserves, qui ne seraient pas réunies par la réserve émise par la France. Un tel argument pouvait d’ailleurs convaincre vu l’arrêt Grande Stevens c/ Italie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 4 mars 2014. Par cet arrêt d’ailleurs soulevé par les prévenus, la Cour EDH a invalidé la réserve émise par l’Italie, réserve analogue à celle émise par la France. La Cour d’appel devait au contraire considérer que cette réserve n’est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme vu l’arrêt postérieur A et B c/ Norvège du 15 novembre 2016. Les prévenus reprochent également à la cour d’appel de n’avoir pas, alors qu’elle y était invitée, recherché si cette même réserve émise par la France n’était pas contraire aux dispositions de l’article 57 de la Convention qui imposent que les réserves ne soient pas générales et soient accompagnées d’un bref exposé des lois. La dernière branche du moyen est relative à l’insuffisance de motivation de la cour d’appel à qui il est reproché de n’avoir pas recherché la disproportion invoquée eu égard à la sanction pénale prononcée en regard du redressement fiscal prononcé préalablement à l’encontre du prévenu. 

La Cour de cassation après avoir rappelé sa jurisprudence constante consistant dans un refus d’application de non bis in idem aux sanctions fiscales et pénales, même postérieure à l’arrêt Grande Stevens de 2014 rejette le pourvoi. Elle ajoute que la réserve émise par la France n’a pas été remise en cause par l’arrêt A et B de 2016, justifiant ainsi le rejet du pourvoi. Le pourvoi est également rejeté sur la troisième branche du moyen relatif à l’exigence de proportionnalité. La Cour de cassation rappelle à ce titre la limite énoncée par le Conseil constitutionnel sur le cumul des sanctions fiscales et pénales qui approuve le cumul des sanctions sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Elle souligne que cette réserve ne concerne à l’évidence que les sanctions de même nature et n’était dès lors pas applicable en l’espèce, la cour d’appel ayant prononcé une peine d’emprisonnement avec sursis insusceptible d’être comparée avec l’amende fiscale préalablement prononcée. 

Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la position de la Cour de cassation tant relative à l’application de non bis in idem en regard de la réserve émise par la France pour l’application du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme que relative au cumul des sanctions de mêmes natures. A ce titre, ce même jour, la Cour de cassation dans l’affaire Thévenoud allait rejeter le pourvoi sur les mêmes fondements que ceux avancés dans l’arrêt ici commenté. La Cour de cassation énonçait pareillement que « la Cour de cassation juge de façon constante que l’interdiction d’une double condamnation en raison des mêmes faits, prévue par l’article 4 du protocole n°7 ne trouve à s’appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif ». De même, elle allait rejeter, à l’occasion de trois arrêts, l’application de non bis in idem au cumul de sanctions fiscales et pénales pour le motif de la gravité de l’infraction qui peut justifier, selon le Conseil constitutionnel, l’application de peines cumulées fussent-elles de même nature (2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juill. 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 nov. 2018). 

Crim. 11 septembre 2019, n° 18-82.430.

Crim. 11 septembre 2019, n° 18-81.067.

Crim. 11 septembre 2019, n° 18-84.144, n° 18-81.040 et n° 18-81.980

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Art. 57  « Réserves.   1. Tout État peut, au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article.

  2. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause. »

■ CEDH, gr. ch., 15 nov. 2016, A. et B. c/ Norvège, n° 24130/11 et 29758/11:  AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128, obs. J.-F. Renucci et A. Renucci ; AJ pénal 2017. 45, obs. M. Robert ; RSC 2017. 134, obs. D. Roets

■ CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c/ Italie, n° 18640/10, 18647/10, 18662/10, 18668/10 et 18698/10 : RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud

■ Cons. const. 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et 2016-546 QPC : D. 2016. 2442, note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville ; Constitutions 2016. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz

■ Cons. const. 22 juill. 2016, n° 2016-556 QPC : D. 2016. 1569

■ Cons. const. 23 nov. 2018, n° 2018-745 QPC D. 2018. 2237; ibid. 2019. 439, point de vue J. Roux

 

Auteur :Chloé Liévaux


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